Jeudi, la Place de l’Étoile, où se tenait la séance pour l'élection du président de la République, et son entrée du côté de la municipalité de Beyrouth, où étaient rassemblés les proches des victimes du 4 août 2022, ont formé une seule et même entité. Sur ce petit espace géographique, les deux causes ont fusionné.

La onzième séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président de la République aura été celle où deux causes principales actuellement défendues au Liban se sont rejointes: la vérité et la justice dans la double explosion au port de Beyrouth ; et l’établissement d’un État de droit fondé sur des institutions fonctionnelles, notamment la présidence de la République, fonction vacante depuis bientôt trois mois.

Jeudi, la Place de l’Étoile, où se tenait la séance électorale, et son entrée du côté de la municipalité de Beyrouth, où étaient rassemblés les proches des victimes du 4 août 2022, ont formé en quelque sorte une seule et même entité. Sur ce petit espace géographique, les deux causes ont fusionné.

Non seulement parce qu’un grand nombre de députés a participé aux deux évènements. Non seulement parce que plusieurs parlementaires ont évoqué l’enquête sur l’explosion au port dans leurs interventions lors de la séance électorale et ont réclamé une position de la Chambre à cet égard. Non seulement parce que certains élus sont entrés dans l’hémicycle en arborant des portraits de victimes du 4 août. Mais aussi et surtout parce que les deux causes sont intrinsèquement liées, car on ne peut pas bâtir un État souverain sans justice. « La bataille, dehors, avec les familles des victimes, et la bataille, dedans, pour élire un président, sont en fait une seule et même bataille, pour construire un nouveau Liban et récupérer notre nation », a relevé à juste titre le député Michel Moawad, dans une déclaration à Ici Beyrouth.

https://youtu.be/gVcTBiUXRSQ

Sit-in…dans l’hémicycle

Le lien entre les deux rencontres ne s’est pas arrêté là. Tout comme les familles des victimes ont observé un sit-in, certains députés ont décidé de terminer la séance…également par un sit-in, même s’il est d’une autre nature.

Le député Melhem Khalaf avait annoncé dès l’ouverture de la séance parlementaire qu’il restera, avec sa collègue Najat Saliba, dans l’hémicycle jusqu’à la tenue de séances électorales successives. À l’issue de la réunion, les deux parlementaires ont tenu leur engagement et ne sont sortis de la salle que pour s’adresser aux journalistes présents, avant d’y entrer de nouveau. Plusieurs députés, notamment de la contestation et du parti Kataëb, sont entrés dans l’hémicycle pour exprimer leur solidarité avec leurs deux collègues.

Dans une déclaration à Ici Beyrouth, Melhem Khalaf a expliqué que cette démarche vise à demander l’application de l’alinéa 2 de l’article 49 de la Constitution, qui prévoit la tenue de séances électorales successives. « Face à l’impasse, nous assumons notre responsabilité nationale », a-t-il précisé.

https://youtu.be/p56PFKr9dx4

Rôle de Bou Saab

À la lumière de ce sit-in inédit au siège même du Parlement, des mesures spéciales ont été mises en place. La porte principale étant fermé généralement à 14 h 30, il a été décidé, suite à des contacts entrepris par le vice-président de la Chambre Elias Bou Saab avec le président du Parlement Nabih Berry, de garder une porte latérale ouverte.

Un salon a également été mis à la disposition des députés pour qu’ils puissent dormir. Pour ce qui est du courant électrique, il est quotidiennement coupé à 14 heures 30, en raison de la pénurie de mazout, ont précisé des sources parlementaires.

Certains députés sont venus exprimer leur solidarité avec Melhem Khalaf et Najat Saliba. Outre les députés du Changement, des membres du bloc Kataëb et du bloc de la Modération nationale leur ont ainsi rendu visite.


Des sources parlementaires croient savoir que M. Bou Saab s’est entretenu après la séance avec les députés qui se trouvent dans l’hémicycle et devrait à nouveau les rencontrer vendredi à midi et demi. L’objectif de ces discussions, qui auraient lieu dans le salon, est de sortir de l’impasse au niveau de la présidentielle.

Photo Dory Ziadé

   

Vers un boycott du PSP?

« Sortir de l’impasse » est également l’objectif du Parti socialiste progressiste. Hadi Aboulhosn, député du Rassemblement démocratique (PSP), a pris la parole lors de la séance pour faire valoir qu’à cette fin, « toutes les options restent ouvertes ». Il a précisé que le bloc « pourrait suspendre sa participation aux séances électorales », appelant à des concertations entre tous les députés. Il a expliqué à Ici Beyrouth que le bloc ne souhaite pas contribuer au blocage, mais créer une nouvelle dynamique. Cette position n’a pas été discutée avec d’autres blocs, mais les choses devraient se préciser au cours des prochains jours, a-t-il ajouté.

Les résultats

Pour en revenir à la séance de jeudi, le résultat du vote a été plus ou moins similaire à celui des dix réunions précédentes. Sur les 110 députés présents, 34 ont voté pour le député Michel Moawad (appuyé par les blocs et députés souverainistes) et 37 ont glissé des bulletins blancs (le Hezbollah, le mouvement Amal et leurs alliés).

Les autres voix se sont réparties comme suit: deux voix pour l’ancien ministre Ziad Baroud, une voix pour l’ancien député Salah Honein, 7 pour le professeur Issam Khalifé, 14 en faveur « du Liban nouveau », et une voix pour le candidat déclaré Milad Bou Malhab. À l’annonce de son nom, ce dernier, qui assistait à la séance à partir de la tribune réservée aux journalistes et aux personnalités, a lancé un tonitruant Allah Akbar, ce qui a poussé Nabih Berry à réagir et interdire à M. Abou Malhab d’assister désormais aux séances électorales.

Il convient de noter que les seuls bulletins portant des slogans, et non des noms propres, qui n’ont pas été annulés par M. Berry sont ceux qui portaient l'inscription « Liban nouveau », déposés depuis la première séance par les membres du bloc de la Modération nationale (Akkar) et leurs alliés. Interrogé à ce sujet par le député Nadim Gémayel, le président du Parlement a répondu : « Ils ont annoncé qu’ils déposent ces bulletins ». Le député Sajih Attieh, membre de la Modération nationale, a réagi en plaisantant : « Nous avons dans notre localité une personne dont le prénom est Liban et le nom nouveau ».

Parmi les 15 bulletins annulés, il est intéressant de noter que sept portent les termes « les priorités présidentielles ». Il semble que les députés du Courant patriotique libre ont choisi de voter de la sorte pour se démarquer, de plus en plus clairement, des autres composantes du 8 Mars, notamment le Hezbollah et le mouvement Amal.

Alors qu’ils ont continué à voter blanc jusqu’à la huitième séance, les députés CPL avaient commencé, dès la neuvième, à glisser des bulletins portant des slogans ou des noms qui ne changent rien à la donne. Cette démarche reflète la détérioration des relations entre le CPL et le Hezbollah, qui a été démontrée à la faveur du Conseil des ministres mercredi, tenu en dépit de l’opposition du parti aouniste, et avec l’appui du parti de Hassan Nasrallah.

En levant la séance, Nabih Berry n’a pas convié les députés à une nouvelle réunion. Des tractations devraient avoir lieu ce week-end. Mais en attendant que le dossier de la présidentielle se débloque, celui de l’enquête sur la double explosion du 4 août est de nouveau au centre de l’actualité.

Lors de la mobilisation politique contre l’arrestation de l’activiste William Noun, symbole de la lutte pour la justice dans ce dossier, les députés souverainistes et ceux du Changement étaient du même bord. Pendant le sit-in des familles des victimes, jeudi, c’était également le cas. Les observateurs et les citoyens ont réalisé cela. Les députés du Changement qui refusent de prendre parti au niveau de la présidentielle, ont-ils, eux, remarqué cela ?

Photo Ali Fawaz
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