©Le think thank recommande la construction d’un réseau permettant d’éviter une interconnexion trop forte avec le régime syrien. (Carte : Washington Institute)
Dans un récent rapport, un groupe de chercheurs a tracé les lignes directrices qui devraient accompagner l’accord énergétique conclu sous l’égide des Etats-Unis, pour approvisionner le Liban en gaz et en électricité via la Syrie. En ligne de mire, les enjeux liés au régime Assad.
Empêcher le régime syrien de faire main basse sur les futurs approvisionnements en électricité et en gaz du Liban, tel est l’enjeu posé par le deal scellé sous l’égide des Etats-Unis en septembre dernier. Six chercheurs du Washington Institute - Katherine Bauer, Ben Fishman, Hanin Ghaddar, Simon Henderson, David Schenker, and Andrew J. Tabler – se sont penché sur ce dossier. Ceux-ci recommandent de « faire pression sur les acteurs internationaux impliqués dans la réhabilitation des infrastructures électriques et gazières syriennes, afin d’élaborer des dispositifs permettant d’atténuer le détournement ou la livraison d'énergie à l'armée du régime d'Assad, aux services de renseignement ou aux centres de détention ».
De plus, le think thank recommande la construction ultérieure d’un réseau parallèle permettant d’éviter une interconnexion trop forte avec le régime syrien, le but étant de contourner les sites militaires. « De nouveaux pylônes séparés contournant le réseau syrien pour le transport vers le Liban devraient être nécessaires pour les phases futures », selon les chercheurs.
Les crises économiques, sécuritaires et humanitaires qui s'aggravent au Liban ont poussé le pays au bord de l’abysse, ces deux dernières années, alors que les prix des produits de base deviennent prohibitifs et que la violence intercommunautaire menace de déborder à Beyrouth et dans tout le pays. L'accès à l'électricité n'est plus que de quelques heures par jour, une fatalité de plus en plus difficile à gérer pour les habitants et les nombreuses entreprises.
Défis techniques
D’après les observations du Washington Institute, « la crise de la dette et l'inflation galopante du Liban ont été aggravées par l'influence croissante du Hezbollah, un groupe classé terroriste par les États-Unis et soutenu par l'Iran, dans un pays paralysé par la mauvaise gestion et la corruption, qui ont tous précipité un effondrement de plus de 90 % de la valeur de la livre libanaise par rapport au dollar américain au cours des deux dernières années ». Pour combler le fossé énergétique et gagner les cœurs et les esprits, le Hezbollah a lancé des efforts pour importer du carburant et des produits pétroliers iraniens de la Syrie voisine. « Les États-Unis et leurs alliés arabes, dans un schéma concurrent et beaucoup plus compliqué, cherchent à apporter davantage d'électricité et de gaz au Liban via des câbles électriques et des pipelines traversant la Syrie, une option qui promet d'être plus durable pour le pays et l'environnement que le plan du Hezbollah - et pour empêcher le Liban de se rapprocher davantage de l'effondrement de l'État et de s'enfoncer plus loin dans l'orbite iranienne », analyse les chercheurs. Cependant, il reste encore à déterminer quelle quantité d'énergie sera importée, quelles améliorations d'infrastructure seront nécessaires et, en fin de compte, comment les avantages du plan pour le Liban peuvent être maximisés tout en minimisant les avantages pour le régime syrien d'Assad et ses bailleurs de fonds.
Créer un plan d'assistance énergétique bénéfique pour le Liban sans créer une manne pour le régime d'Assad, tel est le défi actuel selon l’organisme américain. Comme l’explique le rapport, tout d’abord, il faut que la Jordanie génère et transmette l'électricité excédentaire au Liban via des pylônes traversant la Syrie. La deuxième composante, inédite et compliquée d'un point de vue logistique, consiste à envoyer du gaz naturel via un gazoduc depuis l'Égypte (et Israël) vers la Jordanie, puis la Syrie, puis vers le Liban pour être utilisé dans ses centrales électriques. Une troisième possibilité signalée est que le gaz jordanien soit utilisé par la Syrie pour produire de l'électricité, libérant ainsi le gaz syrien pour qu'il se dirige vers le nord du Liban pour y produire de l'électricité.
Annoncé par le ministre jordanien de l'Énergie à l'issue d'une rencontre le 28 octobre avec ses homologues libanais et syrien, le premier volet du plan fournirait théoriquement au Liban 400 mégawatts d'électricité par jour (150 MW entre 12 h et 6 h, 250 MW pour le reste. Le Liban fait actuellement face à une pénurie d'électricité estimée à 1 500 MW/jour, ce plan ne résoudrait donc pas entièrement la crise, mais comblerait 15% à 30% du déficit existant. Pour leur part, les responsables syriens ont cité un coût de 5,5 millions de dollars pour réparer les lignes en Syrie le reliant au réseau jordanien. Selon les calculs établis par le rapport, pour pérenniser l'objectif de 400 MW, le plan impliquerait d'augmenter les volumes de gaz de l'Egypte vers la Jordanie pour compenser le gaz israélien qui irait normalement en Jordanie. Le gaz israélien serait ensuite détourné vers la Syrie étant donné l'orientation actuelle de l'Arab Gas Pipeline (AGP) – un réseau régional s'étendant de la péninsule égyptienne du Sinaï, à travers la Jordanie et à travers certaines parties de la Syrie jusqu'au nord du Liban. La manière dont ce gaz pourrait être détourné vers le Liban reste incertaine en raison du statut compliqué des connexions gazières existantes entre la Syrie et le Liban. S’il reste un certain nombre de défis techniques, logistiques et politiques à régler, le plan tel qu’annoncé se traduira par une augmentation substantielle et durable pour les consommateurs libanais, si l’on adopte une position optimiste.
Plusieurs recommandations sur la table
Selon le think thank, il faut « exiger du gouvernement libanais qu'il promulgue des réformes globales relatives au secteur énergétique, conformément aux recommandations de la conférence CEDRE 2018, en contrepartie du soutien de Washington au financement de la Banque mondiale. Ces réformes serviraient, au minimum, à garantir que le peuple et l'État libanais bénéficient de l’entièreté de l'électricité promise, aux dépens du Hezbollah ».
Deuxièmement, délimiter clairement dans quelles mesures la Syrie sera autorisée à détourner de l'électricité ou du gaz à titre de paiement en nature pour le transit ou dans le cadre d'un échange.
Troisièmement, afin de répondre aux motivations économiques de la Jordanie pour vendre son énergie excédentaire, encourager et aider à faciliter les plans existants pour étendre la connexion électrique Jordanie-Irak. La production d'électricité de la Jordanie ne serait probablement pas suffisante pour soutenir à la fois les exportations vers le Liban via la Syrie et vers l'Irak.
Les experts appellent à ne pas faire de concessions trop rapides avec Assad et recommandent notamment d’obtenir un accès humanitaire transfrontalier sur le long terme, entre les territoires tenus par Assad et les zones tenues par l'opposition. Sont également à prendre en compte, la libération des détenus et les progrès liés au processus politique épinglé par la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'ONU, ainsi que le degré de la présence ou de l'influence de l'Iran en Syrie.
Dans une optique maximaliste pour potentiellement retirer complètement la Syrie de l'équation, les experts du Washington Institute encouragent la communauté internationale à faciliter le financement au Liban d'une usine de regazéification sur la côte nord du Liban afin que les méthaniers puissent décharger du gaz naturel destiné à la centrale de Deir Ammar. « L'installation réduirait, voire supprimerait la dépendance du Liban vis-à-vis du gaz arrivant par gazoduc en provenance de Syrie. En cas de succès, l'option pourrait être étendue à d'autres centrales électriques si elles sont équipées pour utiliser le gaz comme combustible, à condition que l'énergie produite ne profite pas au Hezbollah et à ses alliés politiques ».
En guise de conclusion, le rapport note que « compte tenu de la complexité du programme américano-arabe existant, ainsi que de sa vulnérabilité aux risques politiques et militaires, il faut travailler avec des alliés pour que la Banque mondiale mène une étude de faisabilité sur la livraison rapide de ressources énergétiques renouvelables au Liban ». Ceux-ci pourraient inclure des panneaux solaires, des onduleurs, des compteurs bidirectionnels, des éoliennes, ainsi que des micro-réseaux et des technologies géothermiques. « Cela serait bien plus conforme à la politique américaine et européenne en matière d'énergie propre, et bien plus durable dans un Liban peu susceptible d'avoir un État en marche de fonctionnement de sitôt. En attendant les résultats d'une telle étude, les États-Unis et leurs alliés devraient explorer le financement d'un tel projet », conclu le centre de réflexion.
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