Première distinction à faire: le langage provient d’une culture qui dépasse l’individu et dans laquelle il baigne dès sa conception. La parole est le résultat de l’appropriation du langage. Ainsi, par exemple, l’enfant découvre son univers transmis par la langue maternelle, mais ce n’est que quand il prend la parole qu’il se découvre et se révèle à lui-même et aux autres. «Nous ne sommes humains et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole», relève Montaigne.
Ainsi donc, le langage préexiste à l’être humain. Celui-ci s’y trouve plongé avant même sa venue au monde, les sons articulés de son environnement lui parvenant à travers la paroi utérine. Il y est happé immédiatement à sa naissance. Il est parlé, pour paraphraser Lacan. S’impose alors à lui une langue maternelle provenant des générations qui l’ont précédé et qui lui est transmise sans choix possible à cette étape de son développement. Plus tard, il pourra l’accepter ou la refuser, faire le choix d’une autre par identification à un(e) autre membre de la famille. Bien que tout être humain naisse en possession des dispositions organiques pour parler, il ne parlera qu’à condition qu’on lui parle. Et la première personne à lui adresser la parole sera, probablement, sa mère. Si personne ne le fait, un enfant restera muet. Des recherches ont même établi que sans la parole et les intonations affectives qu’elle véhicule, un nourrisson peut mourir. Les observations des enfants recueillis dans les orphelinats d'anciens pays de l’Est ont montré qu’ils se mouraient psychiquement s’ils étaient isolés de toute communication. Survivaient ceux dont les lits étaient situés près des lieux où se regroupaient les femmes de ménage pour bavarder entre elles durant leur pause. Ces voix humaines avivaient leurs pulsions vitales.
Si la parole de la mère parvient à toucher le nourrisson à travers les sonorités émues et aimantes, il lui répondra d’abord par le sourire et le babil puis, un peu plus tard, il prendra la parole et apprendra à dire «Je». Il s’inscrira alors en tant que membre de la communauté humaine. F. Dolto souligne la fonction symbolique du langage: elle est propre aux humains et se situe au-delà de l’espace et du temps, elle relie un sujet avec les hommes et les femmes d’autres époques, d’autres lieux, d’autres générations. Elle ne sera totalement acquise que vers sept ans et habilitera alors pleinement un sujet à donner du sens à tout objet, tout acte, tout sentiment ou toute pensée. Ce sera grâce au langage et aux mimiques infantiles que l’enfant exprimera les souffrances liées à l’apprentissage du nécessaire et de l’inéluctable processus de séparation. Toutes ses expériences devront passer dans le langage sinon il ne pourra pas se les approprier. «Les émotions inexprimées ne meurent jamais. Elles sont enterrées vivantes et réapparaissent plus tard sous la pire des façons», constate S. Freud.
La naissance de la communication entre l’enfant et sa mère remonte à la vie intra-utérine. Dès le cinquième mois de la grossesse, F. Dolto décelait une force interne qui lui intimait l’ordre de se reposer alors qu’elle ne se sentait pas fatiguée. Elle la qualifiait de «communication d’âme à âme». Aux premiers instants de la naissance, cet échange inaugure beaucoup plus nettement une relation subtile fondée sur une transmission inconsciente. Dolto recommande ainsi aux parents d’apprendre à parler «avec» l’enfant plutôt «qu’à» l’enfant et de toujours lui «parler vrai», comme à un sujet à qui l’on doit le respect, notamment celui de sa subjectivité. Ce parler ne sera vrai que si le parent apprend à saisir avec empathie le ressenti intérieur de son enfant à travers ses expressions verbales et non verbales, en abandonnant ses critères logiques d’adulte et sans tomber dans un langage bêtifiant. Un parler non authentique ne fera que provoquer le trouble dans le psychisme enfantin. Celui-ci, comme on l’a vu, est en communication directe avec l’inconscient du parent, car ce qui parle en chaque humain, c’est d’abord l’inconscient en lui. «J’espère, nous dit-elle, faire comprendre ainsi le rôle du “parler-vrai”, le vrai tel que les adultes le communiquent à des enfants qui, non seulement le désirent inconsciemment, mais ont besoin de la vérité et y ont droit, même si leur désir conscient lorsqu’ils s’expriment en paroles, à l’invitation des adultes, préfère le silence trompeur qui génère l’angoisse à la vérité, souvent douloureuse à entendre, mais qui, si elle est parlée et dite de part et d’autre, permet au sujet de s’en construire et de s’en humaniser.»
L’apparition de la parole s’accompagne de l’interrogation sur sa sincérité, et donc également sur la possibilité qu’elle soit mensongère. C’est la mère et le père qui transmettent à l’enfant le sens et la valeur des mots. Ce sera leur parole qui divulguera à l’enfant son contenu vrai ou mensonger, avec des conséquences sérieuses sur leur relation, puisque parler mensongèrement à un enfant revient à lui tenir deux langages simultanés: celui des mots mensongers et celui de la communication inconsciente qui leur est opposée. C’est celle-ci qu’il saisira avec sa sensibilité, qu’il percevra même s’il n’est pas en mesure d’en être conscient ou de la formuler. C’est ce qui fera que l’enfant croira ou non à la vérité de la parole parentale énoncée.
Écoutons le psychanalyste Patrick Guyomard: «Qu’est-ce que le vrai? Ce n’est pas l’exactitude. C’est une parole qui a le sens que quelqu’un d’autre y a mis. C’est parce que j’ai confiance dans ce quelqu’un que je le crois, que je crois à la vérité qu’il énonce, mais qu’est-ce qui prouve que ce quelqu’un a dit est vrai? Vrai pour lui? De façon absolue? Relative? Quelqu’un peut parler et dire quelque chose qui n’est pas vrai. Qui garantit la vérité d’une parole? C’est celui qui parle et la confiance que l’on met en lui. C’est ce qui fait la force et la faiblesse de la parole: sa faiblesse parce que l’autre peut nous mentir et nous leurrer, sa force parce qu’on croit à cette parole».
Finalement, la seule garantie de la vérité d’un dire, c’est la croyance que l’on a en la parole de celui qui le prononce. D’où sa très grande fragilité: la confiance en l’autre s’estompe dès lors que le doute en la sincérité de sa parole s’installe.
Ainsi donc, le langage préexiste à l’être humain. Celui-ci s’y trouve plongé avant même sa venue au monde, les sons articulés de son environnement lui parvenant à travers la paroi utérine. Il y est happé immédiatement à sa naissance. Il est parlé, pour paraphraser Lacan. S’impose alors à lui une langue maternelle provenant des générations qui l’ont précédé et qui lui est transmise sans choix possible à cette étape de son développement. Plus tard, il pourra l’accepter ou la refuser, faire le choix d’une autre par identification à un(e) autre membre de la famille. Bien que tout être humain naisse en possession des dispositions organiques pour parler, il ne parlera qu’à condition qu’on lui parle. Et la première personne à lui adresser la parole sera, probablement, sa mère. Si personne ne le fait, un enfant restera muet. Des recherches ont même établi que sans la parole et les intonations affectives qu’elle véhicule, un nourrisson peut mourir. Les observations des enfants recueillis dans les orphelinats d'anciens pays de l’Est ont montré qu’ils se mouraient psychiquement s’ils étaient isolés de toute communication. Survivaient ceux dont les lits étaient situés près des lieux où se regroupaient les femmes de ménage pour bavarder entre elles durant leur pause. Ces voix humaines avivaient leurs pulsions vitales.
Si la parole de la mère parvient à toucher le nourrisson à travers les sonorités émues et aimantes, il lui répondra d’abord par le sourire et le babil puis, un peu plus tard, il prendra la parole et apprendra à dire «Je». Il s’inscrira alors en tant que membre de la communauté humaine. F. Dolto souligne la fonction symbolique du langage: elle est propre aux humains et se situe au-delà de l’espace et du temps, elle relie un sujet avec les hommes et les femmes d’autres époques, d’autres lieux, d’autres générations. Elle ne sera totalement acquise que vers sept ans et habilitera alors pleinement un sujet à donner du sens à tout objet, tout acte, tout sentiment ou toute pensée. Ce sera grâce au langage et aux mimiques infantiles que l’enfant exprimera les souffrances liées à l’apprentissage du nécessaire et de l’inéluctable processus de séparation. Toutes ses expériences devront passer dans le langage sinon il ne pourra pas se les approprier. «Les émotions inexprimées ne meurent jamais. Elles sont enterrées vivantes et réapparaissent plus tard sous la pire des façons», constate S. Freud.
La naissance de la communication entre l’enfant et sa mère remonte à la vie intra-utérine. Dès le cinquième mois de la grossesse, F. Dolto décelait une force interne qui lui intimait l’ordre de se reposer alors qu’elle ne se sentait pas fatiguée. Elle la qualifiait de «communication d’âme à âme». Aux premiers instants de la naissance, cet échange inaugure beaucoup plus nettement une relation subtile fondée sur une transmission inconsciente. Dolto recommande ainsi aux parents d’apprendre à parler «avec» l’enfant plutôt «qu’à» l’enfant et de toujours lui «parler vrai», comme à un sujet à qui l’on doit le respect, notamment celui de sa subjectivité. Ce parler ne sera vrai que si le parent apprend à saisir avec empathie le ressenti intérieur de son enfant à travers ses expressions verbales et non verbales, en abandonnant ses critères logiques d’adulte et sans tomber dans un langage bêtifiant. Un parler non authentique ne fera que provoquer le trouble dans le psychisme enfantin. Celui-ci, comme on l’a vu, est en communication directe avec l’inconscient du parent, car ce qui parle en chaque humain, c’est d’abord l’inconscient en lui. «J’espère, nous dit-elle, faire comprendre ainsi le rôle du “parler-vrai”, le vrai tel que les adultes le communiquent à des enfants qui, non seulement le désirent inconsciemment, mais ont besoin de la vérité et y ont droit, même si leur désir conscient lorsqu’ils s’expriment en paroles, à l’invitation des adultes, préfère le silence trompeur qui génère l’angoisse à la vérité, souvent douloureuse à entendre, mais qui, si elle est parlée et dite de part et d’autre, permet au sujet de s’en construire et de s’en humaniser.»
L’apparition de la parole s’accompagne de l’interrogation sur sa sincérité, et donc également sur la possibilité qu’elle soit mensongère. C’est la mère et le père qui transmettent à l’enfant le sens et la valeur des mots. Ce sera leur parole qui divulguera à l’enfant son contenu vrai ou mensonger, avec des conséquences sérieuses sur leur relation, puisque parler mensongèrement à un enfant revient à lui tenir deux langages simultanés: celui des mots mensongers et celui de la communication inconsciente qui leur est opposée. C’est celle-ci qu’il saisira avec sa sensibilité, qu’il percevra même s’il n’est pas en mesure d’en être conscient ou de la formuler. C’est ce qui fera que l’enfant croira ou non à la vérité de la parole parentale énoncée.
Écoutons le psychanalyste Patrick Guyomard: «Qu’est-ce que le vrai? Ce n’est pas l’exactitude. C’est une parole qui a le sens que quelqu’un d’autre y a mis. C’est parce que j’ai confiance dans ce quelqu’un que je le crois, que je crois à la vérité qu’il énonce, mais qu’est-ce qui prouve que ce quelqu’un a dit est vrai? Vrai pour lui? De façon absolue? Relative? Quelqu’un peut parler et dire quelque chose qui n’est pas vrai. Qui garantit la vérité d’une parole? C’est celui qui parle et la confiance que l’on met en lui. C’est ce qui fait la force et la faiblesse de la parole: sa faiblesse parce que l’autre peut nous mentir et nous leurrer, sa force parce qu’on croit à cette parole».
Finalement, la seule garantie de la vérité d’un dire, c’est la croyance que l’on a en la parole de celui qui le prononce. D’où sa très grande fragilité: la confiance en l’autre s’estompe dès lors que le doute en la sincérité de sa parole s’installe.
Lire aussi
Commentaires