C’est un petit café, juste en face d’une pompe à essence où le carburant se vend désormais à prix d’or. Un client termine son assiette de foul, le genre de plat qui tient au corps et que Mahmoud, le patron, a servi en faisant claquer l’assiette sur la table.
Salah débarque. Un habitué. Il est en rogne. Cela fait plus d’un mois qu’il attend le renouvellement de son passeport français, mais toujours pas de nouvelles. Salah hésite encore entre rester et partir, mais s’il avait ce passeport, il en est persuadé, il serait plus serein. Même s’il ne l’utilise pas tout de suite.
C’est au cas où.
Il a vécu quelques années en France, travaillé au service distribution du temps où France-Soir était encore un journal. Il a vécu chez son frère, puis chez un ami, avant de prendre une chambre de bonne à Paris qui lui coûtait une fortune. Alors, Salah est revenu, profitant d’une période calme, parce que, tout de même, il trouvait la vie au Liban moins dure qu’en France où «c’est travail-maison, travail-maison».
Il gérait un petit immeuble du quartier, encaissait les loyers, trouvait les artisans pour les travaux, sélectionnait les nouveaux locataires. Il y a quelques années, le propriétaire a vendu les appartements les uns après les autres, étage après étage. Il a eu du flair. C’était avant que la bulle financière n’éclate et n’abatte les économies des ménages comme de pauvres châteaux de carte.
Ceux qui ont la chance de toucher leurs salaires en dollars subissent la folle inflation des prix, mais arrivent encore à s’en sortir à peu près. Les autres, payés en livres libanaises, grossissent les rangs des Libanais qui vivent désormais sous le seuil de pauvreté. On parle de près de 80% de la population. La classe moyenne est en voie de disparition. Dans les quartiers commerçants, on ne compte plus les rideaux de fer baissés et qui ne sont pas prêts de réouvrir. Le coiffeur pour dames, pas très loin du café de Mahmoud, passe ses journées à attendre les rares clientes. Il n’a jamais connu ça. Même pendant la guerre civile, quand il pouvait ouvrir, il n’arrêtait pas de couper, brusher, colorer.
L’autre jour, dans une ONG locale qui distribue des denrées alimentaires à un millier de familles d’Achrafieh, un policier est venu demander de l’aide. Il n’arrive plus à faire vivre sa famille. Et pourtant, tous les matins, il enfile son uniforme et part au travail.
Salah dit que le Liban est «devenu le royaume du chaos». Il s’emporte contre ses dirigeants «qui ont volé le pays» et étrille ceux d’entre eux qui se pavanent dans les restaurants chers du centre-ville. «Ils me dégoûtent, avec leurs têtes de nouveaux riches, avec leur étalage de richesse.» Salah est lancé. De temps en temps, il traduit en arabe sa colère à Mahmoud qui hoche la tête.
Il en viendrait presque à espérer un embrasement général «pour que l’ambassade rapatrie les Français, comme en 2006», quand Israël a bombardé la banlieue sud de Beyrouth et qu’on se demandait comment tout cela allait finir. Embarqué à bord du Mistral, il avait passé quelques jours à Chypre, quelques semaines en France, puis il est rentré au Liban.
Salah en veut même aux employés de banque qui «mettent leur costume pour aller travailler alors que, nous, on ne peut même plus retirer l’argent que nous avions mis à la banque». Il ajoute: «C’est le casse du siècle. Oui, madame, le casse du siècle.»
Il paie son café, trop cher, mais Mahmoud n’a pas eu d’autre choix que de monter ses prix, forcément. Salah s’en va en maugréant. Il en est sûr, si ça continue ainsi, même le café du midi chez Mahmoud, il ne pourra plus se l’offrir. Il s’éloigne en répétant à voix haute, en criant presque: «Le casse du siècle, le casse du siècle!»
Prochain article le samedi 25 décembre
Salah débarque. Un habitué. Il est en rogne. Cela fait plus d’un mois qu’il attend le renouvellement de son passeport français, mais toujours pas de nouvelles. Salah hésite encore entre rester et partir, mais s’il avait ce passeport, il en est persuadé, il serait plus serein. Même s’il ne l’utilise pas tout de suite.
C’est au cas où.
Il a vécu quelques années en France, travaillé au service distribution du temps où France-Soir était encore un journal. Il a vécu chez son frère, puis chez un ami, avant de prendre une chambre de bonne à Paris qui lui coûtait une fortune. Alors, Salah est revenu, profitant d’une période calme, parce que, tout de même, il trouvait la vie au Liban moins dure qu’en France où «c’est travail-maison, travail-maison».
Il gérait un petit immeuble du quartier, encaissait les loyers, trouvait les artisans pour les travaux, sélectionnait les nouveaux locataires. Il y a quelques années, le propriétaire a vendu les appartements les uns après les autres, étage après étage. Il a eu du flair. C’était avant que la bulle financière n’éclate et n’abatte les économies des ménages comme de pauvres châteaux de carte.
Ceux qui ont la chance de toucher leurs salaires en dollars subissent la folle inflation des prix, mais arrivent encore à s’en sortir à peu près. Les autres, payés en livres libanaises, grossissent les rangs des Libanais qui vivent désormais sous le seuil de pauvreté. On parle de près de 80% de la population. La classe moyenne est en voie de disparition. Dans les quartiers commerçants, on ne compte plus les rideaux de fer baissés et qui ne sont pas prêts de réouvrir. Le coiffeur pour dames, pas très loin du café de Mahmoud, passe ses journées à attendre les rares clientes. Il n’a jamais connu ça. Même pendant la guerre civile, quand il pouvait ouvrir, il n’arrêtait pas de couper, brusher, colorer.
L’autre jour, dans une ONG locale qui distribue des denrées alimentaires à un millier de familles d’Achrafieh, un policier est venu demander de l’aide. Il n’arrive plus à faire vivre sa famille. Et pourtant, tous les matins, il enfile son uniforme et part au travail.
Salah dit que le Liban est «devenu le royaume du chaos». Il s’emporte contre ses dirigeants «qui ont volé le pays» et étrille ceux d’entre eux qui se pavanent dans les restaurants chers du centre-ville. «Ils me dégoûtent, avec leurs têtes de nouveaux riches, avec leur étalage de richesse.» Salah est lancé. De temps en temps, il traduit en arabe sa colère à Mahmoud qui hoche la tête.
Il en viendrait presque à espérer un embrasement général «pour que l’ambassade rapatrie les Français, comme en 2006», quand Israël a bombardé la banlieue sud de Beyrouth et qu’on se demandait comment tout cela allait finir. Embarqué à bord du Mistral, il avait passé quelques jours à Chypre, quelques semaines en France, puis il est rentré au Liban.
Salah en veut même aux employés de banque qui «mettent leur costume pour aller travailler alors que, nous, on ne peut même plus retirer l’argent que nous avions mis à la banque». Il ajoute: «C’est le casse du siècle. Oui, madame, le casse du siècle.»
Il paie son café, trop cher, mais Mahmoud n’a pas eu d’autre choix que de monter ses prix, forcément. Salah s’en va en maugréant. Il en est sûr, si ça continue ainsi, même le café du midi chez Mahmoud, il ne pourra plus se l’offrir. Il s’éloigne en répétant à voix haute, en criant presque: «Le casse du siècle, le casse du siècle!»
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