Attaques aux drones, missiles... La guerre en Ukraine a mis en évidence les capacités offensives de l’Iran. La vente d’armements à la Russie a renforcé les craintes des pays occidentaux qui s’inquiètent de la montée en puissance de l’industrie militaire iranienne. Cependant, cette industrie reste mal connue, malgré les craintes que suscite ce pays dans la région.
L'utilisation par Moscou de drones kamikazes iraniens de type Shahed-136 et de drones Mohajer-6 dans sa guerre en Ukraine a marqué un tournant dans le conflit. D’autant que la collaboration entre les deux pays pourrait s’accentuer en raison de l’enlisement russe.
Fort en armements efficaces et peu chers, l’Iran n’en est pas à son coup d’essai, malgré l’embargo prononcé par le Conseil de Sécurité de l’ONU en 2007. Outre les alliés traditionnels, comme la Syrie et le Yémen, plusieurs pays ont bénéficié dans le passé d’équipements iraniens comme le Venezuela, le Soudan et l’Éthiopie. Mais les échanges entre la Russie et l’Iran pourraient atteindre un tout autre niveau.
Rampe de lancement de drones kamikazes Shahed-136 (AFP)
Outre les drones, Moscou serait intéressé par l’acquisition de missiles de courte portée iraniens, tels que le Fateh-110. Cette collaboration est suffisante pour inquiéter les occidentaux, d’autant que selon un major iranien, 22 pays souhaiteraient désormais acquérir des drones. Cependant, l’interdiction par l’ONU reste un frein pour les exportations, souligne à Ici Beyrouth l’analyste géopolitique Emile Bouvier, alors que « l’Iran ne devrait retrouver sa pleine capacité d’exportation que le 18 octobre 2023, date de la fin de l’embargo sur les armes »... Si les sanctions américaines et européennes le permettent encore.
L’industrie militaire iranienne a débuté sous l’impulsion du Shah qui fonde en 1973, l'Industrie iranienne de l’électronique avec pour objectif de réparer et d'assembler les armes importées. En effet, de 1971 à 1975, l’Iran a multiplié les achats militaires, à hauteur de 8 milliards de dollars uniquement en provenance des États-Unis. Parallèlement, un programme de missiles a été développé en partenariat avec Israël.
Avec l’avènement de la République islamique, les efforts de développement militaire vont s’accélérer, sous pression de la guerre Iran-Irak (1980-1988), qui laissa l’armée nationale quasiment exsangue.
La Corée du Nord va alors se révéler être un appui indéniable, en fournissant des missiles à l’Iran à la fin des années 1980, puis en établissant une chaîne locale de production de missiles nord-coréens Scud-B au début des années 1990. Par ailleurs, la Russie a été un soutien fondamental de Téhéran, dont les importations d’armement provenaient à plus de 70% de la Russie de 1995 à 2005.
La situation géopolitique délicate de l’Iran, qui se sent encerclé par des puissances occidentales et régionales telles que les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, va l’amener à moderniser son armée. Mais, affaibli par les sanctions occidentales, Téhéran réalise rapidement qu’une compétition technologique avec les États-Unis se révèle impossible.
À défaut, le pays va développer une "stratégie défensive" axée sur la dissuasion et le développement de proxys à l’étranger pour soutenir sa politique étrangère. « Consciente de son retard technologique, qu’elle ne saurait rattraper pour concurrencer les États-Unis ou Israël, l’Iran a adopté la stratégie de l’attaque en essaim, tant sur les mers que dans les airs », explique à Ici Beyrouth Emile Bouvier. L’objectif, selon le spécialiste, est de multiplier les petits équipements peu couteux et rapides afin de causer de lourdes pertes en cas d’invasion ennemie, rendant ainsi impossible le contrôle du territoire national. En parallèle, Téhéran transfère allègrement des armements à ses groupes alliés dans la région pour atteindre ses objectifs géopolitiques en dehors de son territoire.
Le corps des Gardiens de la révolution a été créé en 1979 par la République islamique (AFP)
Outre l’armée traditionnelle qui compte environ 350 000 membres, la République islamique a formé le corps des Gardiens de la révolution, véritable second pouvoir au sein des forces armées. Selon The Military Balance de 2021, publié par l’Institut international des études stratégiques, leur nombre est estimé à 260 000 hommes. À cela, il faut ajouter environ 40 000 paramilitaires. Véritable contre-pouvoir, les pasdarans iraniens disposent de leur propre organisation, et de leurs propres équipements militaires, souvent plus modernes et mieux fournis que celui de l’armée traditionnelle.
Le rôle des Gardiens de la Révolution est également interne, incarnant le soutien le plus sûr du régime. Les brigades de pasdarans seraient ainsi réparties sur tout le territoire afin d’assurer un certain contrôle de la population. Les pasdarans assument également une grande part du développement de l’industrie militaire, profitant de la manne pétrolière : ils détiendraient ainsi des parts entières de l’économie du pays, ce qui leur permet de financer armes et opérations extérieures. Ils s’illustrent également sur le plan spatial, avec l’envoi en orbite, en 2020, du premier satellite militaire iranien. Spécialisés dans la guérilla, ses membres seraient de redoutables adversaires en cas d’invasion occidentale.
Les dépenses militaires iraniennes ont enregistré un bond en 2021, passant de 15,83 milliards de dollars à 24,59 milliards selon la Banque mondiale, représentant 2,3% du PIB. L’Iran fait ainsi partie du top 15 des pays les plus dépensiers en termes de budget militaire, dépassant Israël (24,34 milliards de dollars). Dans ces dépenses, les gardiens de la révolution se taillent la part du lion, avec 34% des dépenses totales affectées à leur corps.
Malgré les sanctions internationales, l’Iran a su développer des armements de pointe, tels que des missiles, des drones, des systèmes de défense antiaérienne, des véhicules blindés, des chars, des avions etc… L’organisation des industries de l’aviation (IAIO) joue un rôle central dans la production d’avions et d'hélicoptères, mais également dans le programme de missiles balistiques. Ainsi, en 2012, le pays affirmait avoir atteint l’autosuffisance dans la production de matériel militaire.
La stratégie iranienne s’articule cependant principalement autour de la production de missiles et de drones, appuyés par des systèmes de défense antiaérienne et des esquifs particulièrement mobiles. À l'instar du nucléaire, ces productions font partie de la stratégie essentielle de dissuasion. Les missiles permettraient ainsi des frappes à longue portée, tandis que les forces navales pourraient paralyser le Golfe et le détroit d’Ormuz. Les forces navales sont constituées d’un nombre important de patrouilleurs rapides, équipés de missiles antinavires performants, dont certains ont une portée de 700 km.
Selon les experts, l’Iran dispose d’une vingtaine de types de missiles balistiques (AFP)
Les forces navales sont également composées de plusieurs modèles de sous-marins « de petites tailles, bien moins coûteux que les imposants sous-marins américains, mais à même d'être utilisés en plus grand nombre et d’infliger de sévères dommages à l’adversaire », selon Emile Bouvier. Ils sont également performants dans le mouillage de mines, permettant d’affecter gravement la navigation dans le secteur.
Selon l’Institut international des études stratégiques, l’Iran disposerait en outre d’une vingtaine de types de missiles balistiques, ainsi que des missiles de croisières. Le pays poursuit une lutte effrénée pour développer de nouveaux missiles, alors qu’ils disposent d’une portée maximale de 2.000 km, limite volontaire fixée par les autorités. Leur précision avait surpris les autorités américaines, notamment lors de l’attaque de Saudi Aramco en 2019.
L’aviation, cependant, constitue le talon d’Achille des forces armées, le gros des efforts militaires ayant été orienté vers la défense aérienne et les missiles sol-air. Le développement de drones armés tient également une grande place dans la stratégie iranienne. Peu chers et faciles à produire, ces derniers vont être particulièrement développés dans les années 2010, comme les modèles Shahed et Mohajer, avant de s’illustrer en Ukraine.
Malgré les sanctions occidentales, l’Iran a donc su développer son industrie militaire, et pourrait semer le chaos dans la région en cas de conflit ouvert.
L'utilisation par Moscou de drones kamikazes iraniens de type Shahed-136 et de drones Mohajer-6 dans sa guerre en Ukraine a marqué un tournant dans le conflit. D’autant que la collaboration entre les deux pays pourrait s’accentuer en raison de l’enlisement russe.
Fort en armements efficaces et peu chers, l’Iran n’en est pas à son coup d’essai, malgré l’embargo prononcé par le Conseil de Sécurité de l’ONU en 2007. Outre les alliés traditionnels, comme la Syrie et le Yémen, plusieurs pays ont bénéficié dans le passé d’équipements iraniens comme le Venezuela, le Soudan et l’Éthiopie. Mais les échanges entre la Russie et l’Iran pourraient atteindre un tout autre niveau.
Rampe de lancement de drones kamikazes Shahed-136 (AFP)
Outre les drones, Moscou serait intéressé par l’acquisition de missiles de courte portée iraniens, tels que le Fateh-110. Cette collaboration est suffisante pour inquiéter les occidentaux, d’autant que selon un major iranien, 22 pays souhaiteraient désormais acquérir des drones. Cependant, l’interdiction par l’ONU reste un frein pour les exportations, souligne à Ici Beyrouth l’analyste géopolitique Emile Bouvier, alors que « l’Iran ne devrait retrouver sa pleine capacité d’exportation que le 18 octobre 2023, date de la fin de l’embargo sur les armes »... Si les sanctions américaines et européennes le permettent encore.
L’industrie militaire iranienne a débuté sous l’impulsion du Shah qui fonde en 1973, l'Industrie iranienne de l’électronique avec pour objectif de réparer et d'assembler les armes importées. En effet, de 1971 à 1975, l’Iran a multiplié les achats militaires, à hauteur de 8 milliards de dollars uniquement en provenance des États-Unis. Parallèlement, un programme de missiles a été développé en partenariat avec Israël.
Avec l’avènement de la République islamique, les efforts de développement militaire vont s’accélérer, sous pression de la guerre Iran-Irak (1980-1988), qui laissa l’armée nationale quasiment exsangue.
La Corée du Nord va alors se révéler être un appui indéniable, en fournissant des missiles à l’Iran à la fin des années 1980, puis en établissant une chaîne locale de production de missiles nord-coréens Scud-B au début des années 1990. Par ailleurs, la Russie a été un soutien fondamental de Téhéran, dont les importations d’armement provenaient à plus de 70% de la Russie de 1995 à 2005.
Une stratégie de dissuasion
La situation géopolitique délicate de l’Iran, qui se sent encerclé par des puissances occidentales et régionales telles que les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, va l’amener à moderniser son armée. Mais, affaibli par les sanctions occidentales, Téhéran réalise rapidement qu’une compétition technologique avec les États-Unis se révèle impossible.
À défaut, le pays va développer une "stratégie défensive" axée sur la dissuasion et le développement de proxys à l’étranger pour soutenir sa politique étrangère. « Consciente de son retard technologique, qu’elle ne saurait rattraper pour concurrencer les États-Unis ou Israël, l’Iran a adopté la stratégie de l’attaque en essaim, tant sur les mers que dans les airs », explique à Ici Beyrouth Emile Bouvier. L’objectif, selon le spécialiste, est de multiplier les petits équipements peu couteux et rapides afin de causer de lourdes pertes en cas d’invasion ennemie, rendant ainsi impossible le contrôle du territoire national. En parallèle, Téhéran transfère allègrement des armements à ses groupes alliés dans la région pour atteindre ses objectifs géopolitiques en dehors de son territoire.
Le corps des Gardiens de la révolution a été créé en 1979 par la République islamique (AFP)
Outre l’armée traditionnelle qui compte environ 350 000 membres, la République islamique a formé le corps des Gardiens de la révolution, véritable second pouvoir au sein des forces armées. Selon The Military Balance de 2021, publié par l’Institut international des études stratégiques, leur nombre est estimé à 260 000 hommes. À cela, il faut ajouter environ 40 000 paramilitaires. Véritable contre-pouvoir, les pasdarans iraniens disposent de leur propre organisation, et de leurs propres équipements militaires, souvent plus modernes et mieux fournis que celui de l’armée traditionnelle.
Le rôle des Gardiens de la Révolution est également interne, incarnant le soutien le plus sûr du régime. Les brigades de pasdarans seraient ainsi réparties sur tout le territoire afin d’assurer un certain contrôle de la population. Les pasdarans assument également une grande part du développement de l’industrie militaire, profitant de la manne pétrolière : ils détiendraient ainsi des parts entières de l’économie du pays, ce qui leur permet de financer armes et opérations extérieures. Ils s’illustrent également sur le plan spatial, avec l’envoi en orbite, en 2020, du premier satellite militaire iranien. Spécialisés dans la guérilla, ses membres seraient de redoutables adversaires en cas d’invasion occidentale.
Une industrie en plein essor
Les dépenses militaires iraniennes ont enregistré un bond en 2021, passant de 15,83 milliards de dollars à 24,59 milliards selon la Banque mondiale, représentant 2,3% du PIB. L’Iran fait ainsi partie du top 15 des pays les plus dépensiers en termes de budget militaire, dépassant Israël (24,34 milliards de dollars). Dans ces dépenses, les gardiens de la révolution se taillent la part du lion, avec 34% des dépenses totales affectées à leur corps.
Malgré les sanctions internationales, l’Iran a su développer des armements de pointe, tels que des missiles, des drones, des systèmes de défense antiaérienne, des véhicules blindés, des chars, des avions etc… L’organisation des industries de l’aviation (IAIO) joue un rôle central dans la production d’avions et d'hélicoptères, mais également dans le programme de missiles balistiques. Ainsi, en 2012, le pays affirmait avoir atteint l’autosuffisance dans la production de matériel militaire.
La stratégie iranienne s’articule cependant principalement autour de la production de missiles et de drones, appuyés par des systèmes de défense antiaérienne et des esquifs particulièrement mobiles. À l'instar du nucléaire, ces productions font partie de la stratégie essentielle de dissuasion. Les missiles permettraient ainsi des frappes à longue portée, tandis que les forces navales pourraient paralyser le Golfe et le détroit d’Ormuz. Les forces navales sont constituées d’un nombre important de patrouilleurs rapides, équipés de missiles antinavires performants, dont certains ont une portée de 700 km.
Selon les experts, l’Iran dispose d’une vingtaine de types de missiles balistiques (AFP)
Les forces navales sont également composées de plusieurs modèles de sous-marins « de petites tailles, bien moins coûteux que les imposants sous-marins américains, mais à même d'être utilisés en plus grand nombre et d’infliger de sévères dommages à l’adversaire », selon Emile Bouvier. Ils sont également performants dans le mouillage de mines, permettant d’affecter gravement la navigation dans le secteur.
Selon l’Institut international des études stratégiques, l’Iran disposerait en outre d’une vingtaine de types de missiles balistiques, ainsi que des missiles de croisières. Le pays poursuit une lutte effrénée pour développer de nouveaux missiles, alors qu’ils disposent d’une portée maximale de 2.000 km, limite volontaire fixée par les autorités. Leur précision avait surpris les autorités américaines, notamment lors de l’attaque de Saudi Aramco en 2019.
L’aviation, cependant, constitue le talon d’Achille des forces armées, le gros des efforts militaires ayant été orienté vers la défense aérienne et les missiles sol-air. Le développement de drones armés tient également une grande place dans la stratégie iranienne. Peu chers et faciles à produire, ces derniers vont être particulièrement développés dans les années 2010, comme les modèles Shahed et Mohajer, avant de s’illustrer en Ukraine.
Malgré les sanctions occidentales, l’Iran a donc su développer son industrie militaire, et pourrait semer le chaos dans la région en cas de conflit ouvert.
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