Père Salim Daccache: «La joie est fondamentale dans la doctrine chrétienne» (2)
Nous avons un pape François qui ne parle que d’épanouissement de la personne et de sa liberté, de sa capacité de se mettre en projet d’aimer et de ne pas condamner autrui.

L’USJ et l’Hôtel-Dieu, État des lieux


Malgré la hausse spectaculaire du dollar, L’USJ avait été la seule université prestigieuse à garder les scolarités au taux de change officiel (1500 LL), avant de le hausser à seulement 2700 LL. Pendant combien de temps cette autorisation de paiement sera appliquée et quelles sont les nouvelles décisions et autres facilités à ce propos?

Il est vrai que cette mesure que nous avons adoptée était un geste de solidarité avec les familles libanaises, surtout celles issues de la classe moyenne laminée par la crise économique et sociale; un étudiant paie en moyenne de nos jours quelque 20 millions tandis que le coût réel dépasse les 35 millions. Nous essayons de compenser par des donations et des collectes de fonds, par une politique d’austérité, mais la crise touche non seulement le Liban mais beaucoup de pays. Actuellement, nous trouvons une difficulté dans la collecte des fonds afin de continuer avec la même politique de solidarité. Il se peut qu’on aille vers une revalorisation des scolarités pour pouvoir payer ne serait-ce que d’une manière limitée nos équipes d’enseignants et d’administratifs en devise étrangère réelle et non fictive; sinon nous allons perdre nos meilleurs enseignants et notre niveau d’excellence. Plus de 20% des parents d’étudiants travaillent en dehors du Liban et nous voudrions qu’ils soient coopératifs. En tout cas, toute modification des scolarités sera suivie par une aide supplémentaire aux personnes qui n’ont pas les moyens de payer et nous les connaissons.

Peut-on dresser un état des lieux rapide concernant la jeunesse estudiantine de l’USJ qui s’étend sur les deux dernières années 2019-2021?
- Ceux et celles qui restent malgré l’hyperinflation et la chute abyssale de la livre?

Nous pouvons entrevoir cela du nombre d’étudiants qui demandent des bourses d’études: ils étaient 35% en 2019, ils sont 50% aujourd’hui.

- Ceux et celles qui ont quitté le Liban vers un pays d’accueil?

Difficile à dire. Mais nous avons des chiffres donnés par les autorités françaises. Il y a cinq ans, quelque 1 500 bacheliers quittaient pour la France, pour faire leur licence dans des universités françaises. Cette année les autorités françaises ont annoncé que 6 900 visas ont été accordés à de jeunes Libanais. C’est dire les départs vertigineux des jeunes bacheliers vers la France où ils sont bien accueillis car ce sont de bons francophones et des plurilingues qui font honneur à l’université française.

- Les étudiant.e.s qui ont abandonné leurs études faute de moyens financiers, obligé.e.s de travailler pour assurer leur gagne-pain?

Normalement, les étudiants en master dans leur majorité travaillent pour assurer leur subsistance. Mais ce qui frappe aujourd’hui, c’est les jeunes en cycle de licence qui travaillent pour subsister. En fait, la paupérisation est rampante, toutes classes sociales confondues, sauf les 2% de Libanais qui détiennent 70% de la richesse nationale.


Qu’en est-il également des médecins et du corps infirmier à l’Hôtel-Dieu?
Beaucoup d’infirmières de l’HDF – plus d’une centaine –, ont quitté vers des pays comme la Belgique et la France ou les Émirats arabes unis; Ce qui peine c’est le départ des infirmières spécialisées. Des médecins sont également partis, une vingtaine sur 200, mais d’autres sont restés tout en effectuant de courts séjours de travail à l’étranger.

Le prix international du Workplace of the year 2021 et une formation académique à la citoyenneté

Vous avez étudié pendant dix ans les systèmes d’éducation scolaire chrétienne et musulmane et vous êtes spécialiste du dialogue interreligieux. Comment évaluez-vous notre marche vers la citoyenneté au Liban, d’autant plus que les établissements jésuites ont été les premiers à instaurer un dialogue interreligieux? Sommes-nous menacé.e.s de nous replier dans les identités confessionnelles meurtrières, a fortiori après les derniers évènements?

Il s’agit d’une énorme et importante question. Difficile de la traiter en quelques lignes. Pour nous au Liban, beaucoup de musulmans et de chrétiens se comportent et veulent vivre comme de bons citoyens au-delà des clivages confessionnels. La preuve, la révolution du 19 octobre 2019 qui malgré tout et en dépit de sa diabolisation et de l’indifférence des politiciens au pouvoir, demeure d’actualité. Mon point de vue est que nos politiciens ont manipulé et instrumentalisent la religion dans leur propre intérêt politique, ce qui relève du sordide et de l’étroit. Certains parlent de droits des communautés, mais leur langage n’a aucun lien avec la foi, qu’elle soit musulmane ou chrétienne. À l’USJ, nous avons décidé pour le centenaire du Liban et le début du deuxième centenaire, de fonder une Académie de formation pour nos étudiants (mais pour d’autres aussi) à la citoyenneté avec un programme sur une année académique. Ce sera notre contribution pour le relèvement de la citoyenneté libanaise.

Le 14 décembre 2021, le prix du meilleur lieu de travail ou «Workplace of the year» du THE Awards Asia 2021 a été décerné à l’Université Saint-Joseph pour ces deux initiatives «Rise to Bloom» et «USJ en mission». En quoi consistaient ces deux initiatives et que signifie pour vous cette reconnaissance internationale?

Selon le jury de l’agence internationale Times Higher Education, la réactivité de l'USJ face à des circonstances vraiment atroces a témoigné de son engagement à la fois en termes de soutien à la communauté interne et de sensibilisation à l’intention du grand public, un engagement dont l'Université et le personnel peuvent être fiers. «C'est une réponse adaptée à ces circonstances qui a abouti à la création d'un environnement de travail très positif», ont-ils noté.

À la suite de la double explosion de Beyrouth en août 2020, «Rise to Bloom» a été créée pour fournir un soutien psychologique et spirituel à la communauté USJ (étudiants, personnel et professeurs). Cette initiative a fourni une variété de programmes gratuits, pour faire revivre l'espoir dans l’ensemble des membres de la communauté USJ: conseils individuels, thérapies de groupe, podcasts humoristiques et éducatifs, webinaires sur la santé mentale dans la vie personnelle et professionnelle, et un club de lecture «Read to Bloom». Plus important encore, le projet a motivé les membres de l'USJ à trouver de l'espoir en eux-mêmes et à le communiquer aux autres, en suivant la devise «Élevez-vous pour fleurir et fleurir pour aider les autres à s’élever».

«USJ en mission» a commencé avec la campagne «Kitfi bi Kitfak», parrainée par le Service de la vie étudiante, dont le but était de distribuer 2150 rations de nourriture aux familles dans le besoin, entre mars et avril 2020. Cette initiative a été transférée à l’Aumônerie de l’USJ, qui a coordonné avec les différentes parties, à savoir le Service de la vie étudiante, l'Opération 7e jour et le Service des ressources humaines. Après l'explosion du 4 août, une décision a été prise d'élargir ses tâches ainsi que le nombre de familles bénéficiant d’aide, notamment les familles touchées par l'explosion; d'abord au sein de la communauté universitaire (enseignants, étudiants et employés), puis dans les quartiers affectés.

«USJ en Mission» a pris de l'ampleur et vise désormais à aider également les petites entreprises, à créer des opportunités d'emploi par le biais de projets de développement durable dans les villages libanais, à organiser des activités de bien-être pour les étudiants et à promouvoir la culture dans le pays.
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