Dans son ouvrage vedette, 12 règles pour une vie. Un antidote au chaos, paru pour la traduction française en 2018 chez Michel Lafon, le professeur émérite de psychologie Jordan Peterson développe au cours de douze chapitres douze règles de vie dont la deuxième me semble d’une importance majeure et s’énonce par les mots suivants: «Prenez soin de vous comme vous le faites avec les autres.»
L’incontournable autopunition
D’entrée de jeu, l’auteur explique que l’être humain a la propension à négliger sa santé, son équilibre, son bien-être, son bien-vivre alors même que, le plus souvent, il n’hésite pas à s’occuper de la santé, de l’équilibre, du bien-être et du bien-vivre d’autrui, plus particulièrement lorsque l’autre lui est lié, ou lui est cher. Pis encore, puisqu’il ne se contente pas d’y opposer de la négligence: il semble y mettre même une espèce d’assiduité à les saborder. L’exemple le plus illustratif que Jordan Peterson trouve à évoquer dans ce sillage est celui de la médication quand on est malade, car il est bien facile de noter qu’un individu est plus naturellement porté à faire empirer sa situation qu’à la rendre meilleure. «Imaginez cent personnes à qui on a prescrit un médicament. Réfléchissez à ce qui suit. Un tiers d’entre elles n’iront pas le chercher à la pharmacie. La moitié des 67% restants l’achèteront, mais ne le prendront pas correctement. Ils sauteront des prises, arrêteront le traitement avant la fin, voire n’y toucheront pas.» (Peterson, 2018: 130) Jordan Peterson en arrive à tirer le bien triste constat que l’on s’occupe en réalité bien mieux de son animal de compagnie que de soi-même: «Nous sommes plus à même d’administrer correctement un traitement à notre animal de compagnie qu’à nous-mêmes. Ce n’est pas bien, même du point de vue de votre animal. Ce dernier vous aime probablement et serait plus heureux si vous preniez vos médicaments. Il est difficile de tirer la moindre conclusion de cette série de faits, à part que les gens semblent adorer leurs chiens, chats, furets, oiseaux (voire leurs lézards) plus qu’eux-mêmes.» (Peterson, 2018: 134)
Pour éclairer ce comportement qui a bien l’air déviant, bien qu’il soit naturel, le psychologue clinicien recourt au premier livre de la Bible: la Genèse. Là on voit bien ce que l’orgueil adamique, la transgression de l’interdit divin ont généré comme désastre dans la vie édénique d’Adam et d’Ève, en l’occurrence, la perte du paradis et de l’innocence, la chute inéluctable, la connaissance du Bien et du Mal, de la douleur, du labeur, mais pire que tout l’intégration définitive d’une honte irrémédiable. L’être humain porte donc cette honte originelle tant dans ses gènes que dans l’inconscient collectif: elle l’accule à se sentir pathétique, indigne, ignoble, quand bien même les jeux du paraître, notamment social, pourraient parfois gommer ce ressenti. Conséquemment, mû par cette honte même, il ne saurait, ne pourrait que se saboter, se punir, parce que ce serait peut-être sinon la seule manière, du moins la meilleure d’essayer de s’en laver. En se punissant très souvent sans discontinuité, l’être humain s’inflige des châtiments tant pour le passé que, par anticipation, pour tous ses échecs à venir.
Il arrive, évidemment, qu’en cherchant à se prémunir de ce sentiment d’humiliation de se savoir coupable, en œuvrant inconsciemment à l’anesthésier, certains veuillent le projeter sur les autres. C’est dans ce sillage que nous assistons à l’exercice du dénigrement, de la violence, voire de la torture exercés sur autrui: chacun de nous se sait «nu», fragile, coupable, décevant, pathétique et en sait tout autant de chacun des autres pour réussir à les exploiter.
Mais, revenons à l’autopunition: pour Jordan Peterson, il n’est pas impossible de s’en affranchir. Toutefois, pour ce faire, il faudrait un vrai travail de connaissance de soi, de clairvoyance sur soi et de gain en respect de soi et des autres à la fois. C’est bien à cette seule condition que l’individu apprendra enfin, en se respectant, en louant son existence au monde, comme celle d’autrui, à mettre un terme à son auto-flagellation. C’est à cette seule condition qu’il comprendra le devoir moral qu’il a, à l’égard de lui-même avant tout, de prendre soin de lui, sinon mieux, du moins autant qu’il le ferait pour les personnes qu’il aime. Sans doute s’agirait-il là du labeur, du travail de toute une vie, mais ce labeur, ce travail en valent bien le détour: «Vous pouvez prendre part à la direction du monde. Influer sur sa trajectoire oscillante, la pousser un peu plus vers le paradis, l’éloigner un peu plus de l’enfer. Dès que vous aurez compris l’enfer, que vous aurez fait des recherches sur le sujet – notamment sur votre enfer personnel –, vous pourrez refuser d’aller dans certaines directions. Vous viserez ailleurs. En fait, vous pourrez même y consacrer votre existence pour lui donner un sens, la justifier. Cela vous permettrait de vous racheter, compte tenu de votre nature inavouable, et de remplacer votre honte et votre gêne par la fierté et l’assurance naturelles de celui qui a réappris à marcher dans le jardin, au côté de Dieu. Vous pourriez commencer par prendre soin de vous comme vous le faites avec les autres.» (Peterson, 2018: 203-204).
Accourir pour les autres…
Aux lendemains des terribles séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, dont le bilan excède les 40.000 victimes et continue malheureusement de monter, les Libanais n’ont pas hésité une seule seconde à se rendre sur les terres fendues, fracassées pour aider à déblayer les décombres et à sauver les survivants. Voler à la rescousse de personnes en danger est certainement digne de louanges et confine à l’héroïsme.
Une amie que j’apprécie au plus haut point m’a raconté qu’aux lendemains même de ces séismes meurtriers sa fille d’à peine 11 ans s’était organisée avec une petite bande de copains et sans la connaissance de sa mère pour une grande collecte de vêtements et d’objets de première utilité à acheminer aux enfants rescapés du désastre. Quelle ne fut pas l’émotion de mon amie à la découverte des caisses et des sacs au bas de l’immeuble à transporter en urgence vers une ONG spécialisée!
Aujourd'hui encore, des centaines de Libanais sont en Syrie pour aider à déblayer les territoires dévastés. Il va sans dire que cet altruisme, cette humanité en nous sont dignes d’une très grande admiration. Et, cependant, ne serait-il pas temps de nous rendre à l’évidence que nous, Libanais, nous occupons toujours d’autrui au détriment de nous-mêmes? Voire n’est-il pas évident que plus nous nous occupons des autres plus nous nous faisons du mal à nous-mêmes? L’inverse serait, en tout cas, tout autant vérifiable.
Prenons donc soin de nous! Il en est grand temps! Commençons donc à prendre conscience que nous pouvons bien avoir de la valeur, que nous valons beaucoup, bien que nous ne soyons que très peu, que nos vies méritent bien d’être respectées, louées. Que chacun de nous prenne conscience du devoir moral qu’il a à l’égard de lui-même de respecter son être-là et de le conforter. Car, aucun de nous ne se respecte ni n’a aucun respect de sa propre existence. Autrement, chacun de nous (et tous ensemble comme une seule force) œuvrerait à arracher de notre paysage politique et social tous ces incompétents, corrompus, parrains du mal, mafieux, assassins qui nous vampirisent.
Par ailleurs, du fond de nos misères de toutes sortes, cessons aussi d’attendre que les autres nous aident, contribuent à nous relever: les autres ne nous font que du mal. Tous sans exception. Si l’OMS Europe reconnaît être témoin de la pire catastrophe naturelle dans la région dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur et en appelle aux aides de toutes parts pour la Turquie et la Syrie, qu’a donc fait l’ONU jusque-là après avoir tout de même reconnu que la crise économique libanaise est la pire qui soit dans l’histoire de l’humanité depuis 150 ans? Rien. Que des paroles. Que du vent. Ou pire: des conciliabules, au mieux louches et oiseux, en réalité maléfiques et criminels. Tous les Libanais ont bien vu comment se termine le documentaire en trois volets sur l’enquête interdite de Jérôme Fritel et Sofia Amara: les grands du monde font toujours prévaloir la raison d’État, quel qu’en soit l’atrocité du prix qui sera à payer par les victimes…
La troisième règle pour la vie de l’ouvrage de Jordan Peterson est bien logiquement liée à la deuxième exposée dans le présent article: «Choisissez pour amis des gens qui souhaitent ce qu’il y a de mieux pour vous.» Ces amis, pour nous Libanais, ne sont certainement pas les Syriens, mais non plus les Américains… Notre véritable ami est essentiellement nous-mêmes. Allons donc à sa rencontre dans le respect de qui nous sommes.
L’incontournable autopunition
D’entrée de jeu, l’auteur explique que l’être humain a la propension à négliger sa santé, son équilibre, son bien-être, son bien-vivre alors même que, le plus souvent, il n’hésite pas à s’occuper de la santé, de l’équilibre, du bien-être et du bien-vivre d’autrui, plus particulièrement lorsque l’autre lui est lié, ou lui est cher. Pis encore, puisqu’il ne se contente pas d’y opposer de la négligence: il semble y mettre même une espèce d’assiduité à les saborder. L’exemple le plus illustratif que Jordan Peterson trouve à évoquer dans ce sillage est celui de la médication quand on est malade, car il est bien facile de noter qu’un individu est plus naturellement porté à faire empirer sa situation qu’à la rendre meilleure. «Imaginez cent personnes à qui on a prescrit un médicament. Réfléchissez à ce qui suit. Un tiers d’entre elles n’iront pas le chercher à la pharmacie. La moitié des 67% restants l’achèteront, mais ne le prendront pas correctement. Ils sauteront des prises, arrêteront le traitement avant la fin, voire n’y toucheront pas.» (Peterson, 2018: 130) Jordan Peterson en arrive à tirer le bien triste constat que l’on s’occupe en réalité bien mieux de son animal de compagnie que de soi-même: «Nous sommes plus à même d’administrer correctement un traitement à notre animal de compagnie qu’à nous-mêmes. Ce n’est pas bien, même du point de vue de votre animal. Ce dernier vous aime probablement et serait plus heureux si vous preniez vos médicaments. Il est difficile de tirer la moindre conclusion de cette série de faits, à part que les gens semblent adorer leurs chiens, chats, furets, oiseaux (voire leurs lézards) plus qu’eux-mêmes.» (Peterson, 2018: 134)
Pour éclairer ce comportement qui a bien l’air déviant, bien qu’il soit naturel, le psychologue clinicien recourt au premier livre de la Bible: la Genèse. Là on voit bien ce que l’orgueil adamique, la transgression de l’interdit divin ont généré comme désastre dans la vie édénique d’Adam et d’Ève, en l’occurrence, la perte du paradis et de l’innocence, la chute inéluctable, la connaissance du Bien et du Mal, de la douleur, du labeur, mais pire que tout l’intégration définitive d’une honte irrémédiable. L’être humain porte donc cette honte originelle tant dans ses gènes que dans l’inconscient collectif: elle l’accule à se sentir pathétique, indigne, ignoble, quand bien même les jeux du paraître, notamment social, pourraient parfois gommer ce ressenti. Conséquemment, mû par cette honte même, il ne saurait, ne pourrait que se saboter, se punir, parce que ce serait peut-être sinon la seule manière, du moins la meilleure d’essayer de s’en laver. En se punissant très souvent sans discontinuité, l’être humain s’inflige des châtiments tant pour le passé que, par anticipation, pour tous ses échecs à venir.
Il arrive, évidemment, qu’en cherchant à se prémunir de ce sentiment d’humiliation de se savoir coupable, en œuvrant inconsciemment à l’anesthésier, certains veuillent le projeter sur les autres. C’est dans ce sillage que nous assistons à l’exercice du dénigrement, de la violence, voire de la torture exercés sur autrui: chacun de nous se sait «nu», fragile, coupable, décevant, pathétique et en sait tout autant de chacun des autres pour réussir à les exploiter.
Mais, revenons à l’autopunition: pour Jordan Peterson, il n’est pas impossible de s’en affranchir. Toutefois, pour ce faire, il faudrait un vrai travail de connaissance de soi, de clairvoyance sur soi et de gain en respect de soi et des autres à la fois. C’est bien à cette seule condition que l’individu apprendra enfin, en se respectant, en louant son existence au monde, comme celle d’autrui, à mettre un terme à son auto-flagellation. C’est à cette seule condition qu’il comprendra le devoir moral qu’il a, à l’égard de lui-même avant tout, de prendre soin de lui, sinon mieux, du moins autant qu’il le ferait pour les personnes qu’il aime. Sans doute s’agirait-il là du labeur, du travail de toute une vie, mais ce labeur, ce travail en valent bien le détour: «Vous pouvez prendre part à la direction du monde. Influer sur sa trajectoire oscillante, la pousser un peu plus vers le paradis, l’éloigner un peu plus de l’enfer. Dès que vous aurez compris l’enfer, que vous aurez fait des recherches sur le sujet – notamment sur votre enfer personnel –, vous pourrez refuser d’aller dans certaines directions. Vous viserez ailleurs. En fait, vous pourrez même y consacrer votre existence pour lui donner un sens, la justifier. Cela vous permettrait de vous racheter, compte tenu de votre nature inavouable, et de remplacer votre honte et votre gêne par la fierté et l’assurance naturelles de celui qui a réappris à marcher dans le jardin, au côté de Dieu. Vous pourriez commencer par prendre soin de vous comme vous le faites avec les autres.» (Peterson, 2018: 203-204).
Accourir pour les autres…
Aux lendemains des terribles séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, dont le bilan excède les 40.000 victimes et continue malheureusement de monter, les Libanais n’ont pas hésité une seule seconde à se rendre sur les terres fendues, fracassées pour aider à déblayer les décombres et à sauver les survivants. Voler à la rescousse de personnes en danger est certainement digne de louanges et confine à l’héroïsme.
Une amie que j’apprécie au plus haut point m’a raconté qu’aux lendemains même de ces séismes meurtriers sa fille d’à peine 11 ans s’était organisée avec une petite bande de copains et sans la connaissance de sa mère pour une grande collecte de vêtements et d’objets de première utilité à acheminer aux enfants rescapés du désastre. Quelle ne fut pas l’émotion de mon amie à la découverte des caisses et des sacs au bas de l’immeuble à transporter en urgence vers une ONG spécialisée!
Aujourd'hui encore, des centaines de Libanais sont en Syrie pour aider à déblayer les territoires dévastés. Il va sans dire que cet altruisme, cette humanité en nous sont dignes d’une très grande admiration. Et, cependant, ne serait-il pas temps de nous rendre à l’évidence que nous, Libanais, nous occupons toujours d’autrui au détriment de nous-mêmes? Voire n’est-il pas évident que plus nous nous occupons des autres plus nous nous faisons du mal à nous-mêmes? L’inverse serait, en tout cas, tout autant vérifiable.
Prenons donc soin de nous! Il en est grand temps! Commençons donc à prendre conscience que nous pouvons bien avoir de la valeur, que nous valons beaucoup, bien que nous ne soyons que très peu, que nos vies méritent bien d’être respectées, louées. Que chacun de nous prenne conscience du devoir moral qu’il a à l’égard de lui-même de respecter son être-là et de le conforter. Car, aucun de nous ne se respecte ni n’a aucun respect de sa propre existence. Autrement, chacun de nous (et tous ensemble comme une seule force) œuvrerait à arracher de notre paysage politique et social tous ces incompétents, corrompus, parrains du mal, mafieux, assassins qui nous vampirisent.
Par ailleurs, du fond de nos misères de toutes sortes, cessons aussi d’attendre que les autres nous aident, contribuent à nous relever: les autres ne nous font que du mal. Tous sans exception. Si l’OMS Europe reconnaît être témoin de la pire catastrophe naturelle dans la région dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur et en appelle aux aides de toutes parts pour la Turquie et la Syrie, qu’a donc fait l’ONU jusque-là après avoir tout de même reconnu que la crise économique libanaise est la pire qui soit dans l’histoire de l’humanité depuis 150 ans? Rien. Que des paroles. Que du vent. Ou pire: des conciliabules, au mieux louches et oiseux, en réalité maléfiques et criminels. Tous les Libanais ont bien vu comment se termine le documentaire en trois volets sur l’enquête interdite de Jérôme Fritel et Sofia Amara: les grands du monde font toujours prévaloir la raison d’État, quel qu’en soit l’atrocité du prix qui sera à payer par les victimes…
La troisième règle pour la vie de l’ouvrage de Jordan Peterson est bien logiquement liée à la deuxième exposée dans le présent article: «Choisissez pour amis des gens qui souhaitent ce qu’il y a de mieux pour vous.» Ces amis, pour nous Libanais, ne sont certainement pas les Syriens, mais non plus les Américains… Notre véritable ami est essentiellement nous-mêmes. Allons donc à sa rencontre dans le respect de qui nous sommes.
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