Commencer la journée dans ce quartier en contrebas d'Achrafieh. Les joueurs de trictrac sont déjà installés, indifférents aux bruits de la circulation. Concentrés. Goûter le silence de la petite église arménienne et prendre le premier café de la journée. Les échoppes sont ouvertes. Le petit commerce n’a pas encore rendu l’âme ici. Le réparateur de petits électroménagers est à l’ouvrage sur un gaufrier récalcitrant. Il peste un peu, mais pour la forme. Il dit que rien ne lui résiste.
En remontant vers la place Sassine, sensation étrange devant ce qui fût un restaurant. Il n’y a plus de vitrine. Rien. Tout est là, pourtant. Les tables, les chaises, bien rangées. On pourrait penser que le patron est sorti le temps d’une course, mais la poussière dit autre chose. Un abandon? Une fuite? Comment savoir? C’est fini et, pourtant, en bordure de cette rue très passante, nul n’a songé à embarquer le mobilier. Il suffirait de ressortir la vaisselle et de dresser les tables pour ce midi. Mais non.
Retrouver Hyam et s’arrêter à Basta, chez un marchand de jus de fruits, entre une petite mosquée et une pompe à essence. Le patron, derrière un étalage de boîtes de conserves à l’ananas et d’avocats en équilibre sur des bouteilles en verre, parle de "la douleur de ce pays". Il dit aussi que "Beyrouth est comme une amante, elle passe avant ma femme". Il vomit les mafieux et tous ceux qui "ont fait de nous des étrangers dans notre pays". Il a sa lecture des événements qui se sont empilés, pour en arriver au marasme d'aujourd'hui et à la manière dont se règlent les jeux de pouvoir, à l’échelle du pays comme de son quartier.
Quitter le cœur de ville et monter jusque chez Nayla. C’est une grande dame et une mémoire vive des années de guerre civile, dont elle a tout connue. Elle était en première ligne, travaillait pour le CICR, a sillonné le sud du pays quand Israël bombardait les villages, monté un hôpital de campagne à Achrafieh, arraché des gamins à une mort certaine, négocié des trêves avec les snipeurs. Dans "Beyrouth, comme si l’oubli..." que Hyam a écrit pour elle, Nayla n’a pas manqué de raconter ce jour où, pendant ce qu’on appelle "la guerre des hôtels", elle a vu débarquer un milicien palestinien.
Il voulait du Maxiton pour ses hommes, en vue d’un assaut prévu le soir. Des amphétamines pour rendre fous ses guerriers. Nayla a fait mine d’accepter, mais, dans le thé très sucré qu’elle leur a servi, c’est du Valium qu’elle a versé, un sacré dosage même.
Le milicien est revenu le lendemain, furieux, lui demander des comptes. Nayla lui a expliqué que, parfois, les médicaments ont un effet paradoxal, on ne sait pas trop pourquoi, et a juré que, oui, c’est bien du Maxiton qu’elle leur avait donné. Le journal du jour, surpris, titrait sur une nuit particulièrement calme. Personne ne semblait trop s’expliquer cette curieuse trêve.
Une tasse de tisane à la main, Nayla en rit encore. Et nous avec elle.
Prochain article le mercredi 29 décembre
En remontant vers la place Sassine, sensation étrange devant ce qui fût un restaurant. Il n’y a plus de vitrine. Rien. Tout est là, pourtant. Les tables, les chaises, bien rangées. On pourrait penser que le patron est sorti le temps d’une course, mais la poussière dit autre chose. Un abandon? Une fuite? Comment savoir? C’est fini et, pourtant, en bordure de cette rue très passante, nul n’a songé à embarquer le mobilier. Il suffirait de ressortir la vaisselle et de dresser les tables pour ce midi. Mais non.
Retrouver Hyam et s’arrêter à Basta, chez un marchand de jus de fruits, entre une petite mosquée et une pompe à essence. Le patron, derrière un étalage de boîtes de conserves à l’ananas et d’avocats en équilibre sur des bouteilles en verre, parle de "la douleur de ce pays". Il dit aussi que "Beyrouth est comme une amante, elle passe avant ma femme". Il vomit les mafieux et tous ceux qui "ont fait de nous des étrangers dans notre pays". Il a sa lecture des événements qui se sont empilés, pour en arriver au marasme d'aujourd'hui et à la manière dont se règlent les jeux de pouvoir, à l’échelle du pays comme de son quartier.
Quitter le cœur de ville et monter jusque chez Nayla. C’est une grande dame et une mémoire vive des années de guerre civile, dont elle a tout connue. Elle était en première ligne, travaillait pour le CICR, a sillonné le sud du pays quand Israël bombardait les villages, monté un hôpital de campagne à Achrafieh, arraché des gamins à une mort certaine, négocié des trêves avec les snipeurs. Dans "Beyrouth, comme si l’oubli..." que Hyam a écrit pour elle, Nayla n’a pas manqué de raconter ce jour où, pendant ce qu’on appelle "la guerre des hôtels", elle a vu débarquer un milicien palestinien.
Il voulait du Maxiton pour ses hommes, en vue d’un assaut prévu le soir. Des amphétamines pour rendre fous ses guerriers. Nayla a fait mine d’accepter, mais, dans le thé très sucré qu’elle leur a servi, c’est du Valium qu’elle a versé, un sacré dosage même.
Le milicien est revenu le lendemain, furieux, lui demander des comptes. Nayla lui a expliqué que, parfois, les médicaments ont un effet paradoxal, on ne sait pas trop pourquoi, et a juré que, oui, c’est bien du Maxiton qu’elle leur avait donné. Le journal du jour, surpris, titrait sur une nuit particulièrement calme. Personne ne semblait trop s’expliquer cette curieuse trêve.
Une tasse de tisane à la main, Nayla en rit encore. Et nous avec elle.
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