Des entourloupes pour prolonger le mandat de Abbas Ibrahim
Le ministre sortant de l’Intérieur Bassam Maoulaoui serait en train d’étudier la possibilité de procéder à une démobilisation/extension de la mission du directeur de la Sûreté générale, une procédure empruntée à celle qu’on retrouve dans la loi de la défense nationale.

Le report de la réunion du bureau de la Chambre, qui devait s’entendre sur l’ordre du jour de la séance législative souhaitée par le président du Parlement Nabih Berry, ne signifie pas pour autant que tout est perdu pour le directeur de la Sûreté générale (SG), le général Abbas Ibrahim. Ce dernier atteindra le 2 mars l’âge de la retraite et le Parlement devait prolonger son mandat pour éviter un vide à la tête du service de sécurité qu’il dirige. En dépit de ce rendez-vous manqué, sa reconduction à son poste reste possible. Comment?

Le prétexte de l’équilibre confessionnel refait surface dans l’affaire des fins de mandat des directeurs généraux. Une affaire gérée par les autorités politiques sur base du principe du donnant-donnant. La réunion du bureau de la Chambre, lundi en début d’après-midi à Aïn el-Tiné, devait porter sur deux éléments: voter la loi sur le contrôle des capitaux et celle sur la prorogation pour deux ans (jusqu’en 2025) du mandat de tous les directeurs généraux qui doivent partir à la retraite en 2023, sans exception aucune.

Pour que Abbas Ibrahim, un chiite proche du Hezbollah soit reconduit à la tête de la SG, on réclame en face une rallonge des mandats du directeur des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Imad Osman (sunnite) et du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun (chrétien et candidat à l’élection présidentielle).

En temps normal, le directeur de la SG est nommé sur proposition du ministre de l’Intérieur, par décret pris en Conseil des ministres. La même démarche s’applique pour proroger le mandat du directeur des FSI.

Or, la conjoncture actuelle rend les choses compliquées. D’abord, le général Ibrahim est sur le point de passer à l’âge de la retraite, fixé à 64 ans. Ensuite, en raison de la vacance présidentielle et au vu du bras-de-fer politique autour de l’opportunité d’une tenue de Conseils de ministres en l’absence d’un président, le gouvernement a du mal à prévoir une séance à tout moment. Sans compter qu’une rallonge du mandat d’un directeur général n’entre pas dans la catégorie des affaires courantes que l’équipe du Premier ministre sortant Najib Mikati assume, en attendant l’élection d’un nouveau chef de l’État.

Aussi, la reconduction de Abbas Ibrahim dans ses fonctions n’est plus possible, ni en vertu d’une décision du ministre de l’Intérieur, ni par décret ministériel, même si sa succession pourrait être considérée, par certains, comme faisant partie des «affaires courantes». Selon quels procédés pourrait-il donc être reconduit à son poste?

Le cas Jezzini

Le même cas s’était présenté en 2011, lorsqu’il avait été question de proroger le mandat de l’ancien directeur de la SG Wafic Jezzini, qui était passé à l’âge de la retraite. Le gouvernement d’alors, sous l’ancien Premier ministre Saad Hariri, était démissionnaire. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Ziad Baroud, avait refusé de le reconduire à son poste puisque la loi ne le permet pas, étant donné que la limite d’âge avait été dépassée. Dans des cas pareils, les textes prévoient que le plus haut gradé prend la relève à titre intérimaire. Telle est la solution à laquelle avait eu recours, cette année-là, l’ancien ministre Baroud (en nommant le général Siham Haraki, puis le général Raymond Khattar) à la place de Wafic Jezzini.


Cependant, ce dénouement ne convient pas aujourd’hui aux parties au pouvoir. Ni la proposition de loi prévue à l’ordre du jour de la réunion avortée du lundi, d’ailleurs.

Selon une source interrogée, «pour franchir l’obstacle de la loi sur l’âge de la retraite et partant du principe du parallélisme des formes, les autorités concernées ont recours à une loi qui modifie à titre exceptionnel certaines clauses de la première à des fins spécifiques». Car, seule une loi peut modifier une loi. D’où le texte qui devait figurer à l’ordre du jour censé être élaboré par le bureau de la Chambre.

Mais d’après une autre source, «la proposition de loi en question porte atteinte aux caractères dont devrait jouir toute règle de droit qui se doit d’être générale, abstraite, et impersonnelle». «Quand le Parlement légifère pour des cas particuliers ceci entache la loi d’inconstitutionnalité», estime-t-on de même source.

Début mars, si le bras-de-fer politique autour de l’opportunité d’une réunion parlementaire se poursuit une vacance à la tête de la SG est plausible. Les Forces libanaises, le Courant patriotique libre et des indépendants refusent d’y prendre part, et considèrent que la priorité doit être accordée à l’élection d’un président de la République.

Démobilisation-Extension de mission

Pour l’éviter, une «sortie de crise» est actuellement explorée par les parties au pouvoir. C’est ce qui a du moins été confirmé à Ici Beyrouth, par une source proche du dossier. Le ministre sortant de l’Intérieur Bassam Maoulaoui serait en train d’étudier la possibilité de procéder à une démobilisation/extension de la mission du directeur de la SG, une procédure empruntée à celle qu’on retrouve dans la loi de la défense nationale (un décret-loi de 1983), qui permet expressément au ministre de la Défense de prendre une telle mesure à l’égard du commandant en chef de l’armée. C’est en vertu de ce décret-loi que le général Jean Kahwaji avait été reconduit en 2016 à son poste après sa retraite. Or, une telle disposition n’est pas prévue dans les textes relatifs à l’organisation de la Sûreté générale, ce qui la rend «discutable voire illégale», comme le commente la personne interrogée sous couvert d’anonymat. Celle-ci entrevoit difficilement cependant comment et par qui elle serait attaquée, le cas échéant devant le Conseil d’État.

Nommé à son poste en 2011, Abbas Ibrahim a réussi, le long de 12 années, à étendre son rôle sur la scène politique aussi bien locale qu’internationale. Cette année-là, le gouvernement de Najib Mikati avait mis fin au débat autour du fait que la direction de la SG devait être attribuée à un chrétien. Une fonction qu’a exercée traditionnellement, jusqu’en 1998, un maronite. À l’époque, l’officier chiite Jamil el-Sayyed, proche du camp syrien, avait été nommé à la tête de la Sûreté par l’ancien président Émile Lahoud, proche du même camp.

Voulant conserver leur mainmise sur tous les dossiers qui relèvent de ce service, comme le contrôle aux frontières, les «amis» de Abbas Ibrahim, mis en cause par ailleurs dans l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020, ne semblent pas vraiment inquiets.
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