À travers son modèle d’économie éthique et solidaire, Fair Trade Lebanon s’emploie depuis 2006 à améliorer les conditions de vie et les moyens de subsistance des populations rurales défavorisées, en promouvant les produits issus de leur savoir-faire traditionnels. Une mission ardue, mais qui selon l’ONG contribuerait à faire bouger les lignes d’un secteur moribond en générant des retombées économiques tangibles.
Le pavillon libanais au Salon SIAL qui s’est tenu à Paris, du 15 au 19 octobre 2022 et auquel avaient pris part 19 compagnies libanaises. ©DR
C’est à Hazmieh dans une petite boutique servant de lieu d’exposition que l’association de commerce équitable Fair Trade Lebanon a pignon sur rue. Condiments, graines, sirops, confitures, miel, fromages, mezzés, huile d’olive, vin et même savons… ici, l’ONG propose des produits traditionnels, naturels ou bio, provenant des quatre coins du pays qu’elle commercialise sous ses marques engagées «Terroirs du Liban» et «Jana», une gamme plus accessible. Fondée en 2006 par une petite poignée d’amis ayant à cœur de se retrousser les manches pour apporter une aide concrète au pays, Fair Trade Lebanon s’est fixé comme mission de lutter contre l’exode rural, la désespérance et la pauvreté du monde agricole.
Un secteur en décrépitude
Car au Liban, l’agriculture agonise et les racines du mal sont profondes. «Notre économie agricole a périclité», explique Riad Fouad Saadé, ingénieur agronome, fondateur et directeur général du Centre de recherches et d’études agricoles libanais (Creal). «Depuis 1990, l’action publique dans le domaine agricole s’est illustrée par le désinvestissement total de l’État, avec pour résultante l’annihilation de l’économie réelle et des secteurs productifs au profit d’un développement tous azimuts du secteur tertiaire, poursuit-il. La part du budget national alloué à l’agriculture ne représente d’ailleurs que 1% du budget de l’État, c’est dire…».
Une filière branlante que la corruption endémique, le clientélisme et la mauvaise gouvernance ont fini d’achever. Ainsi, malgré ses atouts (ressource en eau, diversité agro-climatique et terres agricoles abondantes), le Liban produit très peu. En moyenne, l’agriculture et l’industrie ne représentent respectivement que 4% et 13% du PIB, contre plus de 73% pour les services. «Pire, le PIB agricole est le même en valeur constante depuis 1962, alors que, comparativement, ceux des États-Unis et de l’Europe ont augmenté de 400 et 500%», constate M. Saadé. En important 80% de ses besoins agroalimentaires, le pays se place d’office dans une extrême dépendance aux importations et voit sa sécurité alimentaire mise sous forte pression, suite aux records à la baisse de la monnaie nationale et à l’explosion des prix des aliments. «Le Liban doit passer d’une culture de commerçant à une culture de production», insiste-t-il.
Des partenariats à long terme
Pour Samir Abdel Malak, président et cofondateur de Fair Trade Lebanon (FTL), l’agriculture au Liban pourrait trouver son salut dans les principes du commerce équitable. «C’est en contribuant à promouvoir la richesse des traditions culinaires locales et en apportant l’assistance nécessaire pour le faire que l’on permet aux populations paysannes de vivre dignement du fruit de leur labeur et de rester ainsi sur leurs terres», avance-t-il.
Comme les communautés agricoles ne possèdent ni les équipements requis ni les compétences suffisantes pour prospecter de nouveaux marchés et commercialiser efficacement leurs produits, l’action de l’ONG s’est focalisée d’emblée sur l’amélioration de la qualité et de la productivité – tout en offrant de meilleures conditions de travail – ainsi que sur l’apport de nouveaux débouchés commerciaux à l’export. Concrètement, comment cela se traduit-il sur le terrain? Par un encadrement continu via des formations régulières et la fourniture d’équipements adaptés, ou encore par le renforcement des capacités de production selon les normes internationales.
Gage de qualité
Au démarrage, l’association Artisanat SEL France, qui œuvre depuis 1983 dans la sphère équitable, a aidé à la mise en place des fondations en accompagnant l’ONG novice à adapter les produits aux goûts occidentaux et aux contraintes réglementaires européennes au nombre desquelles un packaging précis affichant ingrédients et valeurs nutritionnelles. «Nous avons un département spécialisé dans le contrôle de qualité car nous vendons en Europe, dans les pays arabes et bientôt aux États-Unis, détaille Samir Abdel Malak. La question de l’hygiène est primordiale, le cahier des charges dans ce sens est très strict. Des laboratoires financés par l’Union européenne délivrent des certificats à nos produits.»
Fort de son expérience, FTL possède aujourd’hui l’expertise suffisante pour sélectionner les gammes éligibles, les ajuster à la demande extérieure et les faire certifier bio ou naturels en plus du label Fair Trade. Les produits équitables restent néanmoins 7 à 10% plus chers que leurs pendants conventionnels, mais font appel à la conscience solidaire du consommateur qui, par cet acte d’achat, participe à l’entraide.
Centre de services communs des coopératives de commerce équitable à Ferzol, district de Zahlé, Beqaa, Liban. Empaquetage des conserves.
©Philippe Lissac/GODONG pour SIDI
Deux cents coopératives
Dix-sept ans après ses débuts, FTL a bien grandi. L’équipe compte 72 personnes qui collaborent avec les 200 coopératives de transformation alimentaire et les PME du réseau situées dans les zones rurales et défavorisées du pays, du sud jusqu’au Akkar en passant par la Békaa. Car l’ONG encourage l’entrepreneuriat coopératif. Un modèle solidaire et participatif dans lequel le pouvoir est exercé démocratiquement et qui permet à ses membres de partager les outils de production, le savoir-faire ou l’accès au capital.
«Nous avons ensuite créé des hubs selon la spécialité de la région, explique M. Abdel Malak. L’huile d’olive et les olives proviennent du sud de Kleyaa, une région connue pour ses oliviers où une quarantaine de producteurs appartiennent à la même coopérative. À Deir el-Ahmar, 300 agriculteurs cultivent aujourd’hui un raisin organique alors qu’au tournant des années 2000 cette région vivait encore de la culture illicite du cannabis, sous la coupe des trafiquants, des milices et dans la peur des perquisitions de l’armée». Avec près de 1.200 tonnes récoltées par an et vendues aux grands domaines du pays, la coopérative Heliopolis est devenue le plus gros producteur de raisins à cuves du Liban. L’ONG achète d’ailleurs une partie de la récolte et y produit «Coteaux Les Cèdres», son vin certifié à la fois bio et Fair Trade.
Levier du développement durable
Membre de la World Trade Fair Organization (WTFO), Fair Trade Lebanon met en pratique les dix grands principes du commerce équitable établis par l’organisation internationale au nombre desquels la non-discrimination, le bien-être des travailleurs, la rémunération sur base d’un prix équitable, la transparence, le préfinancement ou encore le respect de l’environnement. Avec ses opérations concrètes sur le terrain – valorisation du vivre ensemble, soutien à des projets de développement ou encore sauvegarde de la durabilité des eaux souterraines – l’ONG s’inscrit précisément dans les préceptes phares du développement durable, puisqu’elle exerce un impact positif sur ses trois composantes que sont les dimensions sociales, économiques et environnementales.
Stimuler les exportations agroalimentaires
Cependant, avec zéro ligne de crédit bancaire accordée aux ONG, déjà avant la crise, les fondateurs de Fair Trade Lebanon ont dû rapidement débrouiller des solutions. «Outre le bras commercial pour prospecter de nouveaux marchés, FTL dispose d’un bras pour les financements de projets», explique Samir Abdel Malak. Grâce à la relation de confiance tissée avec les bailleurs de fonds tels que USAid ou l’Agence française de développement (AFD), la crise financière n’a pas affecté outre mesure le travail de l’ONG, puisque cette dernière était déjà autonome par rapport au circuit bancaire. Exemple récent de projets soutenus par les organisations internationales: la mise sur pied du pavillon libanais au salon SIAL qui s’est tenu à Paris du 15 au 19 octobre dernier, et dont la participation a été financée par The US-Middle East Partnership Initiative (MEPI – ambassade américaine).
«Fair Trade Lebanon et ses partenaires ont permis à 19 PME libanaises issues du secteur agroalimentaire d’exporter leurs produits, leurs talents et de bénéficier d’une incroyable visibilité», précise le cofondateur. Selon lui, ce projet dont la mission est d’accroître les exportations agroalimentaires locales aurait largement porté ses fruits puisqu’il a ainsi permis au chiffre d’affaire à l’export au niveau national d’augmenter de 160 millions de dollars en seulement un an et demi au lieu des 50 millions comme objectif de départ.
Samir Abdel Malak, président de Fair Trade Lebanon. ©DR
Les retombées économiques
Le commerce équitable est-il donc en mesure d’influencer positivement un secteur agricole en si piteux état? Les retombées économiques sur les populations rurales appartenant à la filière sont certes indéniables. Selon Samir Abdel Malak, ce serait d’ailleurs pas moins de 20.000 bénéficiaires directs et indirects dont 80% de femmes. «Traditionnellement, les produits de mouné sont préparés par des femmes, dit-il. Elles constituent, de facto, la majorité des unités de transformation et possèdent aujourd’hui un réel pouvoir économique au sein de leur foyer.»
En rachetant entre 50% et 80% de la production des coopératives du réseau pour les revendre en quasi-totalité à l’étranger, l’ONG assure des rémunérations stables aux producteurs et en dollars de surcroît. Les produits qui ne sont pas rachetés par FTL sont aisément écoulés sur le marché local par les agriculteurs eux-mêmes, mais à des marges plus restreintes. Un cercle vertueux qui, en somme, permet à une petite échelle, d’endiguer la migration des populations rurales. «Les terres agricoles représentent la sécurité alimentaire du pays, pointe Samir Abdel Malak. Aujourd’hui, avec la crise multiforme que traverse le Liban, l’effondrement de sa monnaie jumelé à l’explosion des tarifs des denrées, il existe un phénomène de retour à la terre que l’on perçoit à nouveau avec son potentiel productif et non plus comme un simple produit de spéculation.»
Les vignobles de Heliopolis à Deir el-Ahmar. ©DR
L’indispensable autorité publique
Ce constat positif reste cependant très atténué par certains. Pour Riad Saadé, l’intervention de l’État reste primordiale dans la société rurale. «L’absence d’un organisme national censé diriger, coordonner et superviser la mise en œuvre des projets des ONG afin de les intégrer dans un plan national – qui inclurait toutes les composantes régionales et sectorielles du développement agricole – amoindrit fortement l’efficacité de ces projets qui n’ont à ce jour aucun impact mesurable sur le développement du secteur.»
Même son de cloche du côté de la coopérative Héliopolis, fondée en 1999, et dont la longévité fait office d’exemple. Un succès qui tient surtout à l’incroyable mutation qu’a opéré cette région pauvre et agricole sans le moindre entretien, passant de la culture du cannabis à celle de la vigne. «Les régions agricoles ont besoin de soutiens financiers et commerciaux, ainsi que de l’appui de l’État pour développer leurs infrastructures sinon l’agriculture ne vaut rien», insiste Charbel Fakhri, copropriétaire et directeur général de Couvent rouge, le vin de la coopérative.
En 2016, FTL a placé sa première commande de Coteaux Les Cèdres fabriquée à Deir el-Ahmar, mais a depuis engrangé peu de résultats palpables. «Je crois très fort à la philosophie du commerce équitable, poursuit Charbel Fakhri. Elle participe à changer les mentalités, mais aujourd’hui ce n’est ni FTL ni l’argent avancé par les organisations internationales, telles que USAid, qui permettront à l’agriculture libanaise de sortir du gouffre.»
«Redresser un secteur laissé en friche depuis des décennies est un travail de longue haleine. Nous ne prétendons pas changer le monde, mais juste donner le bon exemple et offrir des opportunités pour motiver les jeunes à rester», conclut de son côté Samir Abdel Malak.
Le pavillon libanais au Salon SIAL qui s’est tenu à Paris, du 15 au 19 octobre 2022 et auquel avaient pris part 19 compagnies libanaises. ©DR
C’est à Hazmieh dans une petite boutique servant de lieu d’exposition que l’association de commerce équitable Fair Trade Lebanon a pignon sur rue. Condiments, graines, sirops, confitures, miel, fromages, mezzés, huile d’olive, vin et même savons… ici, l’ONG propose des produits traditionnels, naturels ou bio, provenant des quatre coins du pays qu’elle commercialise sous ses marques engagées «Terroirs du Liban» et «Jana», une gamme plus accessible. Fondée en 2006 par une petite poignée d’amis ayant à cœur de se retrousser les manches pour apporter une aide concrète au pays, Fair Trade Lebanon s’est fixé comme mission de lutter contre l’exode rural, la désespérance et la pauvreté du monde agricole.
Un secteur en décrépitude
Car au Liban, l’agriculture agonise et les racines du mal sont profondes. «Notre économie agricole a périclité», explique Riad Fouad Saadé, ingénieur agronome, fondateur et directeur général du Centre de recherches et d’études agricoles libanais (Creal). «Depuis 1990, l’action publique dans le domaine agricole s’est illustrée par le désinvestissement total de l’État, avec pour résultante l’annihilation de l’économie réelle et des secteurs productifs au profit d’un développement tous azimuts du secteur tertiaire, poursuit-il. La part du budget national alloué à l’agriculture ne représente d’ailleurs que 1% du budget de l’État, c’est dire…».
Une filière branlante que la corruption endémique, le clientélisme et la mauvaise gouvernance ont fini d’achever. Ainsi, malgré ses atouts (ressource en eau, diversité agro-climatique et terres agricoles abondantes), le Liban produit très peu. En moyenne, l’agriculture et l’industrie ne représentent respectivement que 4% et 13% du PIB, contre plus de 73% pour les services. «Pire, le PIB agricole est le même en valeur constante depuis 1962, alors que, comparativement, ceux des États-Unis et de l’Europe ont augmenté de 400 et 500%», constate M. Saadé. En important 80% de ses besoins agroalimentaires, le pays se place d’office dans une extrême dépendance aux importations et voit sa sécurité alimentaire mise sous forte pression, suite aux records à la baisse de la monnaie nationale et à l’explosion des prix des aliments. «Le Liban doit passer d’une culture de commerçant à une culture de production», insiste-t-il.
Des partenariats à long terme
Pour Samir Abdel Malak, président et cofondateur de Fair Trade Lebanon (FTL), l’agriculture au Liban pourrait trouver son salut dans les principes du commerce équitable. «C’est en contribuant à promouvoir la richesse des traditions culinaires locales et en apportant l’assistance nécessaire pour le faire que l’on permet aux populations paysannes de vivre dignement du fruit de leur labeur et de rester ainsi sur leurs terres», avance-t-il.
Comme les communautés agricoles ne possèdent ni les équipements requis ni les compétences suffisantes pour prospecter de nouveaux marchés et commercialiser efficacement leurs produits, l’action de l’ONG s’est focalisée d’emblée sur l’amélioration de la qualité et de la productivité – tout en offrant de meilleures conditions de travail – ainsi que sur l’apport de nouveaux débouchés commerciaux à l’export. Concrètement, comment cela se traduit-il sur le terrain? Par un encadrement continu via des formations régulières et la fourniture d’équipements adaptés, ou encore par le renforcement des capacités de production selon les normes internationales.
Gage de qualité
Au démarrage, l’association Artisanat SEL France, qui œuvre depuis 1983 dans la sphère équitable, a aidé à la mise en place des fondations en accompagnant l’ONG novice à adapter les produits aux goûts occidentaux et aux contraintes réglementaires européennes au nombre desquelles un packaging précis affichant ingrédients et valeurs nutritionnelles. «Nous avons un département spécialisé dans le contrôle de qualité car nous vendons en Europe, dans les pays arabes et bientôt aux États-Unis, détaille Samir Abdel Malak. La question de l’hygiène est primordiale, le cahier des charges dans ce sens est très strict. Des laboratoires financés par l’Union européenne délivrent des certificats à nos produits.»
Fort de son expérience, FTL possède aujourd’hui l’expertise suffisante pour sélectionner les gammes éligibles, les ajuster à la demande extérieure et les faire certifier bio ou naturels en plus du label Fair Trade. Les produits équitables restent néanmoins 7 à 10% plus chers que leurs pendants conventionnels, mais font appel à la conscience solidaire du consommateur qui, par cet acte d’achat, participe à l’entraide.
Centre de services communs des coopératives de commerce équitable à Ferzol, district de Zahlé, Beqaa, Liban. Empaquetage des conserves.
©Philippe Lissac/GODONG pour SIDI
Deux cents coopératives
Dix-sept ans après ses débuts, FTL a bien grandi. L’équipe compte 72 personnes qui collaborent avec les 200 coopératives de transformation alimentaire et les PME du réseau situées dans les zones rurales et défavorisées du pays, du sud jusqu’au Akkar en passant par la Békaa. Car l’ONG encourage l’entrepreneuriat coopératif. Un modèle solidaire et participatif dans lequel le pouvoir est exercé démocratiquement et qui permet à ses membres de partager les outils de production, le savoir-faire ou l’accès au capital.
«Nous avons ensuite créé des hubs selon la spécialité de la région, explique M. Abdel Malak. L’huile d’olive et les olives proviennent du sud de Kleyaa, une région connue pour ses oliviers où une quarantaine de producteurs appartiennent à la même coopérative. À Deir el-Ahmar, 300 agriculteurs cultivent aujourd’hui un raisin organique alors qu’au tournant des années 2000 cette région vivait encore de la culture illicite du cannabis, sous la coupe des trafiquants, des milices et dans la peur des perquisitions de l’armée». Avec près de 1.200 tonnes récoltées par an et vendues aux grands domaines du pays, la coopérative Heliopolis est devenue le plus gros producteur de raisins à cuves du Liban. L’ONG achète d’ailleurs une partie de la récolte et y produit «Coteaux Les Cèdres», son vin certifié à la fois bio et Fair Trade.
Levier du développement durable
Membre de la World Trade Fair Organization (WTFO), Fair Trade Lebanon met en pratique les dix grands principes du commerce équitable établis par l’organisation internationale au nombre desquels la non-discrimination, le bien-être des travailleurs, la rémunération sur base d’un prix équitable, la transparence, le préfinancement ou encore le respect de l’environnement. Avec ses opérations concrètes sur le terrain – valorisation du vivre ensemble, soutien à des projets de développement ou encore sauvegarde de la durabilité des eaux souterraines – l’ONG s’inscrit précisément dans les préceptes phares du développement durable, puisqu’elle exerce un impact positif sur ses trois composantes que sont les dimensions sociales, économiques et environnementales.
Stimuler les exportations agroalimentaires
Cependant, avec zéro ligne de crédit bancaire accordée aux ONG, déjà avant la crise, les fondateurs de Fair Trade Lebanon ont dû rapidement débrouiller des solutions. «Outre le bras commercial pour prospecter de nouveaux marchés, FTL dispose d’un bras pour les financements de projets», explique Samir Abdel Malak. Grâce à la relation de confiance tissée avec les bailleurs de fonds tels que USAid ou l’Agence française de développement (AFD), la crise financière n’a pas affecté outre mesure le travail de l’ONG, puisque cette dernière était déjà autonome par rapport au circuit bancaire. Exemple récent de projets soutenus par les organisations internationales: la mise sur pied du pavillon libanais au salon SIAL qui s’est tenu à Paris du 15 au 19 octobre dernier, et dont la participation a été financée par The US-Middle East Partnership Initiative (MEPI – ambassade américaine).
«Fair Trade Lebanon et ses partenaires ont permis à 19 PME libanaises issues du secteur agroalimentaire d’exporter leurs produits, leurs talents et de bénéficier d’une incroyable visibilité», précise le cofondateur. Selon lui, ce projet dont la mission est d’accroître les exportations agroalimentaires locales aurait largement porté ses fruits puisqu’il a ainsi permis au chiffre d’affaire à l’export au niveau national d’augmenter de 160 millions de dollars en seulement un an et demi au lieu des 50 millions comme objectif de départ.
Samir Abdel Malak, président de Fair Trade Lebanon. ©DR
Les retombées économiques
Le commerce équitable est-il donc en mesure d’influencer positivement un secteur agricole en si piteux état? Les retombées économiques sur les populations rurales appartenant à la filière sont certes indéniables. Selon Samir Abdel Malak, ce serait d’ailleurs pas moins de 20.000 bénéficiaires directs et indirects dont 80% de femmes. «Traditionnellement, les produits de mouné sont préparés par des femmes, dit-il. Elles constituent, de facto, la majorité des unités de transformation et possèdent aujourd’hui un réel pouvoir économique au sein de leur foyer.»
En rachetant entre 50% et 80% de la production des coopératives du réseau pour les revendre en quasi-totalité à l’étranger, l’ONG assure des rémunérations stables aux producteurs et en dollars de surcroît. Les produits qui ne sont pas rachetés par FTL sont aisément écoulés sur le marché local par les agriculteurs eux-mêmes, mais à des marges plus restreintes. Un cercle vertueux qui, en somme, permet à une petite échelle, d’endiguer la migration des populations rurales. «Les terres agricoles représentent la sécurité alimentaire du pays, pointe Samir Abdel Malak. Aujourd’hui, avec la crise multiforme que traverse le Liban, l’effondrement de sa monnaie jumelé à l’explosion des tarifs des denrées, il existe un phénomène de retour à la terre que l’on perçoit à nouveau avec son potentiel productif et non plus comme un simple produit de spéculation.»
Les vignobles de Heliopolis à Deir el-Ahmar. ©DR
L’indispensable autorité publique
Ce constat positif reste cependant très atténué par certains. Pour Riad Saadé, l’intervention de l’État reste primordiale dans la société rurale. «L’absence d’un organisme national censé diriger, coordonner et superviser la mise en œuvre des projets des ONG afin de les intégrer dans un plan national – qui inclurait toutes les composantes régionales et sectorielles du développement agricole – amoindrit fortement l’efficacité de ces projets qui n’ont à ce jour aucun impact mesurable sur le développement du secteur.»
Même son de cloche du côté de la coopérative Héliopolis, fondée en 1999, et dont la longévité fait office d’exemple. Un succès qui tient surtout à l’incroyable mutation qu’a opéré cette région pauvre et agricole sans le moindre entretien, passant de la culture du cannabis à celle de la vigne. «Les régions agricoles ont besoin de soutiens financiers et commerciaux, ainsi que de l’appui de l’État pour développer leurs infrastructures sinon l’agriculture ne vaut rien», insiste Charbel Fakhri, copropriétaire et directeur général de Couvent rouge, le vin de la coopérative.
En 2016, FTL a placé sa première commande de Coteaux Les Cèdres fabriquée à Deir el-Ahmar, mais a depuis engrangé peu de résultats palpables. «Je crois très fort à la philosophie du commerce équitable, poursuit Charbel Fakhri. Elle participe à changer les mentalités, mais aujourd’hui ce n’est ni FTL ni l’argent avancé par les organisations internationales, telles que USAid, qui permettront à l’agriculture libanaise de sortir du gouffre.»
«Redresser un secteur laissé en friche depuis des décennies est un travail de longue haleine. Nous ne prétendons pas changer le monde, mais juste donner le bon exemple et offrir des opportunités pour motiver les jeunes à rester», conclut de son côté Samir Abdel Malak.
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