La traversée cathartique d'Afaf Zurayk
Beirut octet, un titre d’exposition énigmatique choisi par l’artiste Afaf Zurayk afin d’esquisser le parcours de toute une génération faisant preuve de résilience et de foi malgré les catastrophes. L’artiste, par un délicat mélange de mots et de peintures, nous guide sur un chemin qu’elle a tracé. Celui-ci est aussi bien palpable qu’immatériel, on y voyage en s’égarant à la frontière d’un trait d’encre insolent et d’une vaporeuse étendue de couleur. On se retrouve dans la résonance d’un mot et de la spontanéité d’une larme. Ce voyage est entrepris à travers huit chapitres correspondant à différents moments d’une journée, il débute par un crépuscule et s’aboutit par la nuit. Pourtant, il semble que la temporalité disparaît lorsque l’on s’immerge dans les œuvres, il n’y a pour réel et d’actuel que les ressentis. Finalement, il semble qu’il ne s’agit pas seulement d’une génération mais d’un parcours universel. Polymorphe, la vie jaillit sous différents aspects: on se reconnaît dans la trajectoire aussi bien qu’on la façonne. Comme l’évoque Afaf, il existe un espace entre les œuvres et ceux qui les regardent. Ces espaces ne seraient-ils pas un foyer dans lequel la foi et les possibilités jaillissent de la manière la plus primaire? Pas de réponse évidente, à vous d’y répondre jusqu’au 26 février à la galerie Saleh Barakat.

Afaf Zukayk est née en 1948. Peintre et écrivain, ces deux chapeaux lui permettent d’aborder ses ressentis avec plusieurs outils et sous différents angles. L’exposition se compose de huit espaces indépendants tout en ayant une frontière commune. Disposant d’une certaine intimité, il est possible de se vouer à une immersion totale suggérée par la musicalité des mots et de la composition de la toile. Cette alliance des mots et de la peinture est née lorsqu’elle résidait à Washington: elle souhaitait «donner du sens» à ses œuvres, comprendre cette longue trajectoire artistique. Travaillant de manière obsessive pendant un an, elle s’est adonnée à la composition des textes puis des œuvres picturales.



Afaf Zurayk a su concilier une histoire générationnelle et personnelle sans que l'une n'empiète l’une sur l’autre. Le visiteur prend également part à cette histoire. Il serait aisé de résumer l’approche d’Afaf à l’adjectif empathique, pourtant son approche témoigne d’une sensibilité allant au-delà d’une simple compréhension d’autrui. Elle ne reçoit pas, elle agit: c’est bien ici toute la différence. Son génie ne réside ni dans un élan hors du commun ni dans la simple écoute, mais dans l’action et la recherche sincère d’un sens et d’une matérialisation de celui-ci. Elle prend de la hauteur sur le réel passé et actuel tout en l'accueillant et côtoyant le monde. Lorsqu’elle parle de son processus artistique, elle suggère que «les choses arrivent quand c’est le bon moment». Son travail, bien que composé de réflexions préalables, garde en son sein une spontanéité, témoignage d’un sursaut du réel.




Voici un élan témoignant par sa simple existence de la sincérité performative de l’artiste. L’interprétation diffère également selon les moyens d’expression; quand il s’agit des peintures l’interprétation est davantage figurative. L’encre noire sur les quelques toiles met l’accent sur ces étendues de couleurs douces et contraste avec elles.

Afaf n’aime pas utiliser le terme sublimation. Selon elle, ce terme est utilisé trop fréquemment et perd de sa teneur usuelle. À cet égard, elle choisit d’utiliser l’expression creative imagination, employée par le philosophe Ibn Arabi. Davantage inclusif et positif, il semble plus accessible. Une désacralisation s’opère, chaque individu a la capacité de créer avec ses émotions, avec celles qui peuvent le plus nous tourmenter. Les artisans de ces mutations prennent part à ce voyage insufflé par Afaf, mettant plus d’importance dans le processus que dans la finalité. La journée présentée par l’artiste au sein de la galerie Saleh Barakat n’aboutit pas lorsque l’ombre irradie le ciel, la journée continue, des semaines, des mois, des années. Une vie parallèle semble se dessiner entre le réel et l'au-delà: une route permettant d’aller aux confins des ressentis et de leur compréhension, de tout simplement faciliter «le métier de vivre».



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Noame Toumiat

Cet a article a été originalement publié sur le site de l'Agenda culturel. 
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