C’est en l’an 46 avant J.-C., on le sait bien, que l’empereur romain, Jules César, prend une décision liée à la célébration de l’avènement de la nouvelle année : désormais, c’est le 1er janvier qui sera le Jour de l’An, jour que les Romains de l’Antiquité dédiaient au dieu Janus, dieu à deux visages, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir, dieu des portes et des passages, des décisions et des choix, des commencements et des fins. D’ailleurs, le mois en question, januarius, porte son nom, tout à l’instar de la huitième colline de Rome qui lui est consacrée, le Janicule, où les Romains allaient le prier.
Avec ladite décision, le calendrier romain cesse de considérer le mois de mars, martius , voué originellement au dieu de la guerre, des combats et de la protection du sol, Mars de son nom divin, comme premier mois de l’année (la fin de la saison d'hiver coïncidant avec la possibilité de pouvoir à nouveau mener des guerres pour conquérir des terres convoitées). Conséquemment, les calendes de mars cèdent leur primauté aux calendes de janvier, bien que la nomenclature des mois de septembre (september mensis, septième mois), octobre (october mensis, huitième mois), novembre (november mensis, neuvième mois) et décembre (december mensis, dixième mois) demeure la même.
Quoi qu’il en soit, alors même que cette nomenclature n’est pas modifiée, l’esprit, la culture se retrouvent, pour leur part, transformés par la décision de l’empereur. En effet, le Nouvel An se recoupe désormais, non avec l’idée du renouvellement des combats, mais avec celle d’un passage. Celui d’une année à une autre, certes. Mais, sans doute aussi, d’une situation à une autre. D’une vie à une autre… Un passage, peut-être même un affranchissement, que la clé du dieu Janus permet grâce à l’ouverture d’une porte, à la fois calendaire et intérieure.
Si la plupart des pays se sont ralliés, à des moments différents de l’Histoire de l’humanité, à cette date du Nouvel An, il n’en demeure pas moins que les coutumes qui y sont liées en vue de célébrer, à la veille du 1er janvier, l’avènement d’une nouvelle année, sont pour leur part bien diversifiées. Sans vouloir en faire ici l’inventaire – ce n’est pas l’enjeu du propos –, rappelons juste que, par exemple, aux Antilles, la célébration est marquée par le « bain démarré ». Il s’agit d’un rituel : en effet, étymologiquement, « démarrer » renvoie à la rupture des amarres, en vue de prendre son envol, de donner un autre coup d’envoi à la trajectoire de la vie. Dans ce sillage, les Antillais prennent, chacun secrètement, un bain, le 31 décembre, à minuit, idéalement à l’embouchure d’une rivière où se mélangent eau douce et eau salée, en vue de se laver des influences négatives de l’année écoulée et d’accueillir la nouvelle année sous le signe d’une peau neuve et de l’espoir en une vie meilleure. Au Portugal, on a coutume de manger douze grains de raisin sec avec les douze coups de minuit (as doze passas : les douze raisons secs / a passagem : le passage), debout sur une chaise dont on descend du pied droit pour passer du 31 décembre au 1er janvier, tout en portant chance à l’année qui commence. En Nouvelle-Zélande, la tradition veut que, dans toutes les grandes villes, les gens sortent dans les rues, à minuit, en tapant fort sur des casseroles afin de faire fuir les mauvais esprits (croyance médiévale magique), les éléments négatifs de l’année qui se termine et d’accueillir la nouvelle année avec une énergie positive et de belles résolutions.
Venons-en donc à ce concert des casseroles. La « casserolade », comme on l’appelle, a été originellement pratiquée, dans les rues de Paris, en 1832, par les opposants républicains de la Monarchie de Juillet. Plus tard, une autre « casserolade » a lieu, en 1962, menée par les Français d’Algérie, favorables au maintien de l’Algérie française et protestant contre la politique gaullienne. On dit que c’est au Chili, en 1971, lors de protestations de droite contre le président de gauche, Salvador Allende, que la pratique en question est devenue populaire, voire universelle. Depuis 2012, en effet, la cassolada marque, à Barcelone, la protestation politique rituelle en faveur du processus de souveraineté de la Catalogne. Toujours en 2012, la cacerolada débute la grève des étudiants au Québec, insurgés contre une loi restreignant la liberté de manifester. En juin 2019, la grève féministe déployée dans les rues de Genève s’accompagne d’une « casserolade » faisant un tel bruit que les policiers finissent par confisquer les casseroles, à défaut de pouvoir bloquer le mouvement de contestation. On a vu, par ailleurs, un concert des casseroles mené par les Gabonais en janvier 2021, en protestation contre les mesures de restriction, émises par le gouvernement, pour endiguer la pandémie de la Covid-19…
Au Liban, excédés par l’incompétence et la corruption de la classe politique, les Libanais sortent dans les rues, à partir du 17 octobre 2019, variant les moyens de protestation : blocages d’axes routiers, flambées de pneus, sit-in et… concert de casseroles assourdissant. Le cas libanais est, peut-être, particulier, en ce sens que la « casserolade » semble surtout renouer avec ses origines magiques médiévales : assourdir les politiques pour qu’enfin ceux-ci daignent entendre la souffrance incommensurable du peuple. Plus encore, il s’agit de taper très fort sur les casseroles en vue d’exorciser le peuple de la possession maligne (au sens du « Malin »), voire littéralement démoniaque de ses gouverneurs, tant la situation économique, financière, sécuritaire et sociale semble tenir du surréel, de l’ésotérique…
Regardons donc à nouveau du côté des Néo-Zélandais, de leurs croyances magiques et revenons à nos casseroles ce 31 décembre 2021, à minuit. Car, il ne nous reste plus que la magie, semble-t-il. Tapons-y fort, très fort, le plus fort possible. Peut-être alors, dans un formidable charivari à la manière des populations du Moyen Âge, réussirions-nous à conjurer notre sort, en chassant définitivement de leurs palais somptueux et de notre Liban affligé ces esprits maléfiques qui nous hantent, nous aliènent et se réincarnent sans discontinuité depuis bientôt 47 ans.
Que ce moment de bruit puissant soit la porte de passage, comme pour les Romains anciens avec leur dieu Janus, vers un Liban autre. Et que nous puissions crier tous ensemble : Viva 2022 !
Avec ladite décision, le calendrier romain cesse de considérer le mois de mars, martius , voué originellement au dieu de la guerre, des combats et de la protection du sol, Mars de son nom divin, comme premier mois de l’année (la fin de la saison d'hiver coïncidant avec la possibilité de pouvoir à nouveau mener des guerres pour conquérir des terres convoitées). Conséquemment, les calendes de mars cèdent leur primauté aux calendes de janvier, bien que la nomenclature des mois de septembre (september mensis, septième mois), octobre (october mensis, huitième mois), novembre (november mensis, neuvième mois) et décembre (december mensis, dixième mois) demeure la même.
Quoi qu’il en soit, alors même que cette nomenclature n’est pas modifiée, l’esprit, la culture se retrouvent, pour leur part, transformés par la décision de l’empereur. En effet, le Nouvel An se recoupe désormais, non avec l’idée du renouvellement des combats, mais avec celle d’un passage. Celui d’une année à une autre, certes. Mais, sans doute aussi, d’une situation à une autre. D’une vie à une autre… Un passage, peut-être même un affranchissement, que la clé du dieu Janus permet grâce à l’ouverture d’une porte, à la fois calendaire et intérieure.
Si la plupart des pays se sont ralliés, à des moments différents de l’Histoire de l’humanité, à cette date du Nouvel An, il n’en demeure pas moins que les coutumes qui y sont liées en vue de célébrer, à la veille du 1er janvier, l’avènement d’une nouvelle année, sont pour leur part bien diversifiées. Sans vouloir en faire ici l’inventaire – ce n’est pas l’enjeu du propos –, rappelons juste que, par exemple, aux Antilles, la célébration est marquée par le « bain démarré ». Il s’agit d’un rituel : en effet, étymologiquement, « démarrer » renvoie à la rupture des amarres, en vue de prendre son envol, de donner un autre coup d’envoi à la trajectoire de la vie. Dans ce sillage, les Antillais prennent, chacun secrètement, un bain, le 31 décembre, à minuit, idéalement à l’embouchure d’une rivière où se mélangent eau douce et eau salée, en vue de se laver des influences négatives de l’année écoulée et d’accueillir la nouvelle année sous le signe d’une peau neuve et de l’espoir en une vie meilleure. Au Portugal, on a coutume de manger douze grains de raisin sec avec les douze coups de minuit (as doze passas : les douze raisons secs / a passagem : le passage), debout sur une chaise dont on descend du pied droit pour passer du 31 décembre au 1er janvier, tout en portant chance à l’année qui commence. En Nouvelle-Zélande, la tradition veut que, dans toutes les grandes villes, les gens sortent dans les rues, à minuit, en tapant fort sur des casseroles afin de faire fuir les mauvais esprits (croyance médiévale magique), les éléments négatifs de l’année qui se termine et d’accueillir la nouvelle année avec une énergie positive et de belles résolutions.
Venons-en donc à ce concert des casseroles. La « casserolade », comme on l’appelle, a été originellement pratiquée, dans les rues de Paris, en 1832, par les opposants républicains de la Monarchie de Juillet. Plus tard, une autre « casserolade » a lieu, en 1962, menée par les Français d’Algérie, favorables au maintien de l’Algérie française et protestant contre la politique gaullienne. On dit que c’est au Chili, en 1971, lors de protestations de droite contre le président de gauche, Salvador Allende, que la pratique en question est devenue populaire, voire universelle. Depuis 2012, en effet, la cassolada marque, à Barcelone, la protestation politique rituelle en faveur du processus de souveraineté de la Catalogne. Toujours en 2012, la cacerolada débute la grève des étudiants au Québec, insurgés contre une loi restreignant la liberté de manifester. En juin 2019, la grève féministe déployée dans les rues de Genève s’accompagne d’une « casserolade » faisant un tel bruit que les policiers finissent par confisquer les casseroles, à défaut de pouvoir bloquer le mouvement de contestation. On a vu, par ailleurs, un concert des casseroles mené par les Gabonais en janvier 2021, en protestation contre les mesures de restriction, émises par le gouvernement, pour endiguer la pandémie de la Covid-19…
Au Liban, excédés par l’incompétence et la corruption de la classe politique, les Libanais sortent dans les rues, à partir du 17 octobre 2019, variant les moyens de protestation : blocages d’axes routiers, flambées de pneus, sit-in et… concert de casseroles assourdissant. Le cas libanais est, peut-être, particulier, en ce sens que la « casserolade » semble surtout renouer avec ses origines magiques médiévales : assourdir les politiques pour qu’enfin ceux-ci daignent entendre la souffrance incommensurable du peuple. Plus encore, il s’agit de taper très fort sur les casseroles en vue d’exorciser le peuple de la possession maligne (au sens du « Malin »), voire littéralement démoniaque de ses gouverneurs, tant la situation économique, financière, sécuritaire et sociale semble tenir du surréel, de l’ésotérique…
Regardons donc à nouveau du côté des Néo-Zélandais, de leurs croyances magiques et revenons à nos casseroles ce 31 décembre 2021, à minuit. Car, il ne nous reste plus que la magie, semble-t-il. Tapons-y fort, très fort, le plus fort possible. Peut-être alors, dans un formidable charivari à la manière des populations du Moyen Âge, réussirions-nous à conjurer notre sort, en chassant définitivement de leurs palais somptueux et de notre Liban affligé ces esprits maléfiques qui nous hantent, nous aliènent et se réincarnent sans discontinuité depuis bientôt 47 ans.
Que ce moment de bruit puissant soit la porte de passage, comme pour les Romains anciens avec leur dieu Janus, vers un Liban autre. Et que nous puissions crier tous ensemble : Viva 2022 !
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