Dans l’œuvre littéraire de Yasmina Khadra, ce dernier ouvrage restera l’un des plus marquants. Comme dans Ce que le jour doit à la nuit, l’auteur retrouve son pays natal et nous livre une description de l’existence des Algériens sous occupation française dans l'entre-deux-guerres.
Au-delà du récit, qui correspond à une épopée romanesque, il nous présente un message, une réflexion sur la nature humaine, «les vertueux» et les autres pour aboutir à une philosophie de la vie.
Mais qui sont «les vertueux»?
D’abord Yacine, le personnage central de ce roman, jeune berger qui ne connaît que son douar. Pris au piège dans une situation machiavélique, il doit se sacrifier pour sauver sa famille et se retrouve ainsi plongé dans l’horreur des tranchées pendant la Première Guerre mondiale. Il y a là une séquence forte qui nous fait vivre ce qu’ont enduré ces hommes utilisés comme de la chair à canon, avec toutes les séquelles physiques et psychiques qui en résulteront.
«Lorsqu’on essaiera de tourner la page écrite avec le sang des martyrs, on s’apercevra que le sang l’a traversée et a atteint toutes les pages qui suivent. Partout où nous irons, nos morts seront avec nous.»
Ayant eu la chance de survivre à ce massacre, Yacine revient dans ce pays qu’il aime, mais sa vie bascule. Il se trouve confronté à l’injustice et au malheur et doit vivre une série d’aventures dramatiques. Mais malgré toutes les difficultés qu’il rencontre – et elles sont nombreuses et lourdes de conséquences – Yacine garde jusqu’au bout son humanité, sa bonté et son honnêteté. Il fait preuve d’une incroyable résilience qui lui permet d’acquérir finalement une grande sagesse.
«Les vertueux» sont aussi son épouse, Mariem, qui lui reste fidèle malgré l’absence, et son ami Sid, son compagnon d’infortune pendant la guerre. Il a une vie de patachon et il n’est pas toujours du bon côté de la loi. Mais c’est un ami extrêmement fidèle qui apportera de l’aide à la femme et au fils de son ami lorsqu’ils en auront besoin. Ce sont aussi tous ces gens du peuple qui un jour l’ont aidé en partageant leurs faibles ressources.
À travers ce récit, Yasmina Khadra dresse un tableau de la société algérienne de cette première moitié du siècle. Il décrit la pauvreté des gens, la dureté de leur vie, l’état de misère dans lequel ils étaient maintenus.
«Durant la première semaine, Wari me fit découvrir les lieux où l’on embauchait de la main-d’œuvre. Nous nous y rendions avant le lever du jour. C’était partout le même contingent de galériens prêts à s’emparer de n’importe quelle corvée, le dos offert à tous les fardeaux et à toutes les colères.»
L’auteur ne cache pas les inégalités présentes dans cette société, tolérées, voire engendrées par le colonisateur qui donne à certains Algériens des droits de vie et de mort sur leurs concitoyens. Les caïds étaient encore plus féroces que les occupants, les exploitant sans vergogne.
Il décrit les résistants à l’occupation française, comme Zorg l’ancien tirailleur devenu chef de bande. Pour asseoir leur pouvoir, ils luttent aussi, à mort, contre les Algériens qui ne reconnaissent pas leur autorité.
Dans ce lot de personnages, il n’y a pas que des vertueux: il y a ceux qui, comme Allal, profitent de la candeur de leurs compagnons de misère pour les berner et les dépouiller; Gaïd Brahim qui traite comme des esclaves leurs concitoyens ou encore Babaï, sont devenus des hommes de main sans scrupule, prêts à tout pour plaire à son maître.
Mais, au fond, Yacine ne regrette pas d’être vertueux:
«Si je me suis cassé les dents à force de mordre la poussière, j’ai aussi rencontré des gens formidables et connu des instants de grâce qui m’ont, parfois, rendu le sourire. En fin de compte, tout se paie d’une manière ou d’une autre. L’honnêteté se paie très cher, mais elle finit par payer. Comme la patience, la foi dans ce qui est juste, le sacrifice et le don de soi.»
A-t-il trouvé la septième marche de l’arc-en-ciel dont parle le manuscrit des Anciens?
«Depuis que j’ai choisi de pardonner, je ne frémis qu’aux choses qui apaisent le cœur et l’esprit. Oui, j’ai tout pardonné. Et c’est beaucoup mieux ainsi.»
Au fil du récit, on ressent de la sympathie et même l’amour de l’auteur pour ses personnages, pour «les vertueux», mais aussi pour les autres, pour ce peuple composé de gens simples, mais souvent capables de connaître ce qui est juste et bien.
Les Vertueux, dernier maillon de l’œuvre littéraire de Yasmina Khadra, représente une contribution significative à la littérature sur le sujet de l’Algérie de l’entre-deux-guerres. L’auteur y sonde les concepts de rémission, de destinée, d’exil intérieur et de fatalité. Un magnifique ouvrage à découvrir au plus vite.
Robert Mazziotta
Les Vertueux de Yasmina Khadra, Mialet-Barrault, 2022, 540 p.
Cet article a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
Au-delà du récit, qui correspond à une épopée romanesque, il nous présente un message, une réflexion sur la nature humaine, «les vertueux» et les autres pour aboutir à une philosophie de la vie.
Mais qui sont «les vertueux»?
D’abord Yacine, le personnage central de ce roman, jeune berger qui ne connaît que son douar. Pris au piège dans une situation machiavélique, il doit se sacrifier pour sauver sa famille et se retrouve ainsi plongé dans l’horreur des tranchées pendant la Première Guerre mondiale. Il y a là une séquence forte qui nous fait vivre ce qu’ont enduré ces hommes utilisés comme de la chair à canon, avec toutes les séquelles physiques et psychiques qui en résulteront.
«Lorsqu’on essaiera de tourner la page écrite avec le sang des martyrs, on s’apercevra que le sang l’a traversée et a atteint toutes les pages qui suivent. Partout où nous irons, nos morts seront avec nous.»
Ayant eu la chance de survivre à ce massacre, Yacine revient dans ce pays qu’il aime, mais sa vie bascule. Il se trouve confronté à l’injustice et au malheur et doit vivre une série d’aventures dramatiques. Mais malgré toutes les difficultés qu’il rencontre – et elles sont nombreuses et lourdes de conséquences – Yacine garde jusqu’au bout son humanité, sa bonté et son honnêteté. Il fait preuve d’une incroyable résilience qui lui permet d’acquérir finalement une grande sagesse.
«Les vertueux» sont aussi son épouse, Mariem, qui lui reste fidèle malgré l’absence, et son ami Sid, son compagnon d’infortune pendant la guerre. Il a une vie de patachon et il n’est pas toujours du bon côté de la loi. Mais c’est un ami extrêmement fidèle qui apportera de l’aide à la femme et au fils de son ami lorsqu’ils en auront besoin. Ce sont aussi tous ces gens du peuple qui un jour l’ont aidé en partageant leurs faibles ressources.
À travers ce récit, Yasmina Khadra dresse un tableau de la société algérienne de cette première moitié du siècle. Il décrit la pauvreté des gens, la dureté de leur vie, l’état de misère dans lequel ils étaient maintenus.
«Durant la première semaine, Wari me fit découvrir les lieux où l’on embauchait de la main-d’œuvre. Nous nous y rendions avant le lever du jour. C’était partout le même contingent de galériens prêts à s’emparer de n’importe quelle corvée, le dos offert à tous les fardeaux et à toutes les colères.»
L’auteur ne cache pas les inégalités présentes dans cette société, tolérées, voire engendrées par le colonisateur qui donne à certains Algériens des droits de vie et de mort sur leurs concitoyens. Les caïds étaient encore plus féroces que les occupants, les exploitant sans vergogne.
Il décrit les résistants à l’occupation française, comme Zorg l’ancien tirailleur devenu chef de bande. Pour asseoir leur pouvoir, ils luttent aussi, à mort, contre les Algériens qui ne reconnaissent pas leur autorité.
Dans ce lot de personnages, il n’y a pas que des vertueux: il y a ceux qui, comme Allal, profitent de la candeur de leurs compagnons de misère pour les berner et les dépouiller; Gaïd Brahim qui traite comme des esclaves leurs concitoyens ou encore Babaï, sont devenus des hommes de main sans scrupule, prêts à tout pour plaire à son maître.
Mais, au fond, Yacine ne regrette pas d’être vertueux:
«Si je me suis cassé les dents à force de mordre la poussière, j’ai aussi rencontré des gens formidables et connu des instants de grâce qui m’ont, parfois, rendu le sourire. En fin de compte, tout se paie d’une manière ou d’une autre. L’honnêteté se paie très cher, mais elle finit par payer. Comme la patience, la foi dans ce qui est juste, le sacrifice et le don de soi.»
A-t-il trouvé la septième marche de l’arc-en-ciel dont parle le manuscrit des Anciens?
«Depuis que j’ai choisi de pardonner, je ne frémis qu’aux choses qui apaisent le cœur et l’esprit. Oui, j’ai tout pardonné. Et c’est beaucoup mieux ainsi.»
Au fil du récit, on ressent de la sympathie et même l’amour de l’auteur pour ses personnages, pour «les vertueux», mais aussi pour les autres, pour ce peuple composé de gens simples, mais souvent capables de connaître ce qui est juste et bien.
Les Vertueux, dernier maillon de l’œuvre littéraire de Yasmina Khadra, représente une contribution significative à la littérature sur le sujet de l’Algérie de l’entre-deux-guerres. L’auteur y sonde les concepts de rémission, de destinée, d’exil intérieur et de fatalité. Un magnifique ouvrage à découvrir au plus vite.
Robert Mazziotta
Les Vertueux de Yasmina Khadra, Mialet-Barrault, 2022, 540 p.
Cet article a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
Lire aussi
Commentaires