Le 150ème anniversaire du Carnaval de Nice
 Deux semaines festives et colorées pour célébrer le 150e anniversaire du carnaval de Nice viennent de s’achever. Au son des musiques du monde, un corso carnavalesque a animé les rues illuminées de Nice, suscitant parmi les habitants exubérance et liesse. Cette année 2023, les chars bigarrés, placés sous le signe des Trésors du monde, ont parcouru sous un soleil éclatant un tracé jusqu’à la place Masséna et aux alentours du jardin Albert 1er. Des représentants du carnaval de Rio et de la République dominicaine en costumes chatoyants se sont joints à la grande parade niçoise. Retour sur les origines du carnaval.



Héritier de rituels antiques, le carnaval est l’expression du chaos primordial où l’individu disparaît sous le travestissement et le masque, où la confusion s’installe, où l’on peut, pour une durée de deux semaines, s’affranchir des règles imposées par la société. Symboliquement, le carnaval accompagne le passage de l’hiver au printemps et renvoie au renouveau de la nature dans la profusion et la fantaisie. Il demeure traditionnellement associé au calendrier chrétien et se déroule avant le carême. L’historienne et conseillère artistique du Carnaval de Nice, Annie Sidro, issue d’une lignée de carnavaliers depuis 1897, revient sur les origines du carnaval: «Le carnaval remonte au Moyen Âge lorsque Charles d’Anjou, comte de Provence, vient passer les fêtes du carnaval à Nice. Les bals masqués se tenaient dans les ruelles de la vieille ville jusqu’au 18e siècle. En 1873, un comité des fêtes sous le patronage de la municipalité fut chargé d’organiser les festivités: des cortèges de chars, une mise en scène structurée, des mascarades et des cavalcades. Alexis Mossa, premier organisateur du carnaval, a créé en 1882 le char officiel de sa Majesté Carnaval qui a défilé le 14 février. Polichinelle, le roi de paille et de chiffons qui restait sur la place de la préfecture, s’est métamorphosé en Triboulet royal trônant sur le char et recevant les clés de la ville données par le Maire. Alexis Mossa a aussi créé les albums du carnaval, véritables bandes dessinées, qui ont disparu en 1979. »



Au début du XXe siècle, Gustave Adolf Mossa, fils d’Alexis, prend les rênes du carnaval et propose de magnifiques maquettes de chars. Annie Sidro ajoute: «Gustave Adolf est imagier ou illustrateur. Il dessine les chars et les carnavaliers les construisent. Mon père a longtemps travaillé avec lui. Ce qu’il faut retenir, c’est le mélange de culture que Gustave Adolf mettait dans la création des chars. Il y avait tout un pan de l’histoire antique basé sur les Saturnales et les mythologies auxquelles il ajoutait son grain de culture locale. D’ailleurs, J-M G. Le Clezio avait dit que Gustave Adolf Mossa était le Gustave Klimt niçois et qu’il regrettait qu’il ne soit pas connu.»



Les Mossa, père et fils, inventeurs de Sa Majesté Carnaval, de sa Cour et de son bestiaire, ont modernisé le carnaval niçois en l’orientant sur l’actualité contemporaine et les mythes allégoriques autour du grotesque et du fabuleux. Ils ont réalisé les maquettes des chars les plus spectaculaires qui aient défilé à Nice. Les cortèges se déroulaient au cœur de la ville et sitôt les animations terminées, la fête se prolongeait dans les quartiers du vieux Nice.



Les personnages sont d’abord la famille royale. Le roi, Sa Majesté Carnaval, arrive sur la Place Masséna pour ouvrir le carnaval en prenant les clés de la ville. Il défile en tête du cortège sur un char d'une hauteur de quinze mètres. Il est suivi par la reine, puis par le dauphin, Carnavalon, qui ne fut créé que dans les années 30. La cour du roi se compose de sujets sur des chars portant un nom lié à la thématique de l’année et rivalisant d’humour et d’imagination. Les chars mesurant douze mètres de hauteur renvoient à un monde fantastique, onirique ou humoristique. Viennent ensuite les grosses têtes, des sculptures de deux mètres et demi de haut, qui suivent les chars et divertissent la foule. Elles représentent des hommes politiques, des célébrités ou encore le peuple niçois. Le bestiaire carnavalesque qui sert à marquer le lien avec la nature est représenté par l’aigle, symbole de la ville de Nice, le dragon Babau, symbole universel, la Ratapignata, impératrice du monde des Ténèbres, et le chat Raminagrobis.




Avant de concevoir les chars, les carnavaliers font appel à des «ymagiers» ou illustrateurs qui puisent leur inspiration dans l’imagerie populaire: personnages mythiques, satire sociale et politique. Les maîtres d’œuvre du carnaval sont des Niçois bénévoles et passionnés qui, à partir de 1873, se font appeler carnavaliers. En 1922, ils se regroupent en quatre associations consacrant leur temps de loisirs à la création carnavalesque. Annie Sidro affirme: «Le savoir-faire des carnavaliers a été inscrit au patrimoine immatériel français. Le carnaval de Nice est le deuxième plus grand carnaval du monde après Rio.» À partir des années 2000, les illustrateurs humoristes tels que Kristian, Eusebi, Virginie Broquet, Patrick Moya insufflent un nouveau style au carnaval de Nice. Les dessins sont transformés en chars par les carnavaliers dans les ateliers de la Maison du carnaval et de la Halle Spada.



Grâce à l’idée du poète jardinier Alphonse Karr, les batailles de fleurs font partie du carnaval à partir de 1876. Ce spectacle de rue, caractéristique des festivités niçoises, était l’événement de la Belle Époque et de l’entre-deux-guerres. Sur des chars décorés de compositions florales, des comédiennes aux costumes de plumes, de paillettes et de strass lancent au public une pluie de fleurs. Non moins de cinq batailles de fleurs, précédées de jongleurs et d’échassiers, se déroulent sur un rythme endiablé. Une cinquantaine de troupes d’artistes niçois, nationaux et internationaux, sans oublier les danseuses de samba, paradent aux côtés des chars, donnant le rythme à chaque corso carnavalesque et bataille de fleurs.



Le soir, les festivités de clôture illuminent la ville de mille feux. Le corso carnavalesque vibre au rythme de la musique, créant un monde à la fois extravagant et éphémère que Mircea Eliade appelle «une répétition de la cosmogonie», car les saturnales ne font qu’annoncer la naissance d’une nouvelle année. Le roi des «Trésors du Monde» est incinéré non loin de la mer pendant que les Niçois chantent «À si reveire, à l’an que ven» en attendant l’année 2024.



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