Après le Man Booker International Prize 2019, la quarantenaire Jokha Alharthi reçoit le Prix de la littérature arabe 2021 pour son premier roman Les Corps célestes, paru dans sa traduction française aux éditions Stéphane Marsan. Ici Beyrouth a rencontré son traducteur, Khaled Osman, également récompensé par ce prix et déjà remarqué pour son travail sur les romans du prix Nobel Naguib Mahfouz.
Le jury du Prix de la littérature arabe, remis par l’Institut du monde arabe et la Fondation Jean-Luc Lagardère, a salué «un roman captivant et poétique qui permet de découvrir une société omanaise en pleine mutation ainsi que les conditions de vie et les aspirations de sa population». Il a en outre souligné «la qualité littéraire remarquable de la traduction de Khaled Osman qui réussit magistralement à transmettre l’esprit de l’œuvre».
Narré en arabe littéraire avec des dialogues en dialecte omanais, ce roman en spirale, à la construction sophistiquée, raconte l'émancipation d'un pays à travers les amours et les deuils d'une famille vivant dans le village d'Awafi. Maya, la couturière minutieuse, épouse Abdallah qui s'éprend d'elle au premier regard. Asma, la sage, se marie à Khaled par sens du devoir. Quant à Khawla, l'insoumise qui lit des romans d'amour, elle décline les demandes de tous ses soupirants, espérant le retour de l'homme auquel elle a été promise depuis son enfance. Mais Nasser est parti faire ses études à l'étranger, et on a de bonnes raisons de croire qu'il ne reviendra pas.
L’épopée d’une société clivée
À force de fréquenter de près les grandes épopées amoureuses de la péninsule Arabique, Jokha Alharti, née à Oman en 1978, s’est lancée dans la sienne. C’est en rédigeant une thèse sur la présence du corps dans le ghazal odhri – la poésie de l’amour courtois – dans l’Arabie du haut Moye Âge, que l’étudiante à l’université d’Édimbourg a eu l’idée des Corps célestes.
«Le roman décrit la société très clivée, traversée de rapports de force, mais avec une mutation qui a dynamité les anciennes hiérarchies, provoquant des frustrations. Cette mutation touche autant les femmes qui peinent à se libérer que les hommes qui ont du mal à se conformer aux injonctions machistes. Il y a aussi une réflexion profonde sur l'impossibilité de l'amour, dans un parallèle poétique avec l'amour courtois. Enfin, le roman met l'accent sur un certain raffinement et un attachement forcené aux plaisirs de la vie. En cela, il parle aux lecteurs du monde entier, et c'est d'ailleurs ce que les jurys des prix ont noté», déclare le traducteur Khaled Osman.
Le traducteur littéraire franco-égyptien et journaliste Khaled Osman Photo: Khaled Osman)
La construction, les personnages, les trajectoires amoureuses des trois sœurs qui ressemblent à des tragédies classiques tout en étant ancrées dans la plus grande réalité, font l’originalité de ce roman. «C'est une saga qui se déroule sur plusieurs générations mais qui n'est pas racontée de manière chronologique. Plutôt qu'une ligne, la narration suit des cercles concentriques qui à chaque nouveau tour complètent l'information initiale par de nouveaux détails. C'est ainsi que les personnages et les parcours sont dessinés par touches successives qui dissipent progressivement le mystère et créent une atmosphère très prenante», explique Khaled.
L’autre particularité de ce chef-d’œuvre est que le récit se déroule selon différents points de vue. Le procédé n'est pas nouveau, mais ce qui lui donne ici sa puissance, c'est que la société omanaise est traversée de divisions entre riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes, citoyens libres et esclaves, conservateurs et modernistes, bédouins et citadins, ce qui rend les points de vue très contrastés. L'idée est de donner voix aux différents personnages – avec toutefois un rôle plus important dévolu à Abdallah – dont on épouse temporairement le point de vue.
Une littérature sous-représentée
Compte tenu du peu d'exposition de la littérature omanaise aussi bien dans le monde arabe que sur la scène internationale, ce roman avait peu de chance d'émerger. «Sa visibilité, il la doit avant tout à ses qualités propres qui ont déclenché un bouche-à-oreille et suscité l'intérêt de la traductrice anglaise Marilyn Booth, l'incitant à proposer le roman à la traduction», raconte Khaled Osman.
Jokha Alharthi (à gauche) et la traductrice Marilyn Booth remportent le Man Booker International Prize pour "Celestial Bodies" (Photo: AFP)
Avec Celestial Bodies, Jokha Alharthi devient la première auteure omanaise traduite en langue anglaise. C’est aussi la première fois que le prestigieux Man Booker International Prize est décerné à un roman traduit de l’arabe.
Le traducteur français souligne: «Le défi principal de notre travail était de maîtriser un récit qui alterne le passé et le présent, et navigue entre les points de vue des personnages, afin de le rendre intelligible pour un lecteur d'une autre culture, tout en préservant une part de mystère qui ne doit pas être élucidée trop vite.»
L’autre défi réside dans l'alternance entre une langue classique mise au service d'un récit furieusement moderne. «Il a fallu jongler entre des passages littéraires avec même parfois des extraits de poèmes, et les dialogues en omanais vernaculaire, truffés de proverbes et d’expressions imagées dont la traduction devait transcrire toute la vitalité. Les dictons savoureux dans la bouche de l'esclave Zarifa – personnage fascinant et tout à fait inédit en littérature – ont contribué je pense à donner au texte sa saveur», conclut Khaled Osman.
Cette reconnaissance internationale pour une littérature généralement sous-représentée montre que la force du roman arabe se trouve non pas dans l’intégration de modèles universels propres au genre mais bien dans la présence de spécificités qui font toute son originalité.
Le jury du Prix de la littérature arabe, remis par l’Institut du monde arabe et la Fondation Jean-Luc Lagardère, a salué «un roman captivant et poétique qui permet de découvrir une société omanaise en pleine mutation ainsi que les conditions de vie et les aspirations de sa population». Il a en outre souligné «la qualité littéraire remarquable de la traduction de Khaled Osman qui réussit magistralement à transmettre l’esprit de l’œuvre».
Narré en arabe littéraire avec des dialogues en dialecte omanais, ce roman en spirale, à la construction sophistiquée, raconte l'émancipation d'un pays à travers les amours et les deuils d'une famille vivant dans le village d'Awafi. Maya, la couturière minutieuse, épouse Abdallah qui s'éprend d'elle au premier regard. Asma, la sage, se marie à Khaled par sens du devoir. Quant à Khawla, l'insoumise qui lit des romans d'amour, elle décline les demandes de tous ses soupirants, espérant le retour de l'homme auquel elle a été promise depuis son enfance. Mais Nasser est parti faire ses études à l'étranger, et on a de bonnes raisons de croire qu'il ne reviendra pas.
L’épopée d’une société clivée
À force de fréquenter de près les grandes épopées amoureuses de la péninsule Arabique, Jokha Alharti, née à Oman en 1978, s’est lancée dans la sienne. C’est en rédigeant une thèse sur la présence du corps dans le ghazal odhri – la poésie de l’amour courtois – dans l’Arabie du haut Moye Âge, que l’étudiante à l’université d’Édimbourg a eu l’idée des Corps célestes.
«Le roman décrit la société très clivée, traversée de rapports de force, mais avec une mutation qui a dynamité les anciennes hiérarchies, provoquant des frustrations. Cette mutation touche autant les femmes qui peinent à se libérer que les hommes qui ont du mal à se conformer aux injonctions machistes. Il y a aussi une réflexion profonde sur l'impossibilité de l'amour, dans un parallèle poétique avec l'amour courtois. Enfin, le roman met l'accent sur un certain raffinement et un attachement forcené aux plaisirs de la vie. En cela, il parle aux lecteurs du monde entier, et c'est d'ailleurs ce que les jurys des prix ont noté», déclare le traducteur Khaled Osman.
Le traducteur littéraire franco-égyptien et journaliste Khaled Osman Photo: Khaled Osman)
La construction, les personnages, les trajectoires amoureuses des trois sœurs qui ressemblent à des tragédies classiques tout en étant ancrées dans la plus grande réalité, font l’originalité de ce roman. «C'est une saga qui se déroule sur plusieurs générations mais qui n'est pas racontée de manière chronologique. Plutôt qu'une ligne, la narration suit des cercles concentriques qui à chaque nouveau tour complètent l'information initiale par de nouveaux détails. C'est ainsi que les personnages et les parcours sont dessinés par touches successives qui dissipent progressivement le mystère et créent une atmosphère très prenante», explique Khaled.
L’autre particularité de ce chef-d’œuvre est que le récit se déroule selon différents points de vue. Le procédé n'est pas nouveau, mais ce qui lui donne ici sa puissance, c'est que la société omanaise est traversée de divisions entre riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes, citoyens libres et esclaves, conservateurs et modernistes, bédouins et citadins, ce qui rend les points de vue très contrastés. L'idée est de donner voix aux différents personnages – avec toutefois un rôle plus important dévolu à Abdallah – dont on épouse temporairement le point de vue.
Une littérature sous-représentée
Compte tenu du peu d'exposition de la littérature omanaise aussi bien dans le monde arabe que sur la scène internationale, ce roman avait peu de chance d'émerger. «Sa visibilité, il la doit avant tout à ses qualités propres qui ont déclenché un bouche-à-oreille et suscité l'intérêt de la traductrice anglaise Marilyn Booth, l'incitant à proposer le roman à la traduction», raconte Khaled Osman.
Jokha Alharthi (à gauche) et la traductrice Marilyn Booth remportent le Man Booker International Prize pour "Celestial Bodies" (Photo: AFP)
Avec Celestial Bodies, Jokha Alharthi devient la première auteure omanaise traduite en langue anglaise. C’est aussi la première fois que le prestigieux Man Booker International Prize est décerné à un roman traduit de l’arabe.
Le traducteur français souligne: «Le défi principal de notre travail était de maîtriser un récit qui alterne le passé et le présent, et navigue entre les points de vue des personnages, afin de le rendre intelligible pour un lecteur d'une autre culture, tout en préservant une part de mystère qui ne doit pas être élucidée trop vite.»
L’autre défi réside dans l'alternance entre une langue classique mise au service d'un récit furieusement moderne. «Il a fallu jongler entre des passages littéraires avec même parfois des extraits de poèmes, et les dialogues en omanais vernaculaire, truffés de proverbes et d’expressions imagées dont la traduction devait transcrire toute la vitalité. Les dictons savoureux dans la bouche de l'esclave Zarifa – personnage fascinant et tout à fait inédit en littérature – ont contribué je pense à donner au texte sa saveur», conclut Khaled Osman.
Cette reconnaissance internationale pour une littérature généralement sous-représentée montre que la force du roman arabe se trouve non pas dans l’intégration de modèles universels propres au genre mais bien dans la présence de spécificités qui font toute son originalité.
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