Accord irano-saoudien: quelles causes, quelles conséquences?
L’Iran et l’Arabie saoudite ont annoncé vendredi le rétablissement de leurs relations diplomatiques à l’issue de pourparlers en Chine. Que signifie le nouveau rapprochement de ces deux poids lourds du Moyen-Orient, dont les relations étaient rompues depuis 2016 ? Décryptage avec David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient et de la péninsule arabique.

Comment interpréter l’annonce surprise du rétablissement des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite?

Ce n’est pas totalement une surprise. Le rapprochement avait débuté en avril 2021 à Bagdad, en Irak, sous les auspices de l’ancien Premier ministre, Moustapha Al-Kazimi, à l’occasion d’une première réunion non-officielle entre le chef des services de renseignements saoudiens, le général Khaled ben Ali Al Humaidan, et des responsables iraniens mandatés par le chef du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne, l’amiral Ali Chamkhani. Une demi-douzaine de sessions s’étaient tenues par la suite jusqu’au milieu de l’année 2022. En juillet 2022, était même annoncée une réunion prochaine des ministres des Affaires étrangères respectifs des deux pays qui s’était fait attendre du fait des aléas géopolitiques régionaux et de la situation intérieure de l’Iran confrontée à une vague inédite de contestation à partir de septembre 2022. Au point de lancer un avertissement à Ryad en termes explicitement menaçants.

L’Iran, pourtant demandeuse, probablement du fait de son isolement accru, d’un rétablissement des relations rompues avec les pays du CCG en janvier 2016, avait averti les pays de la région, notamment l’Arabie Saoudite, qu’il riposterait aux actions de déstabilisation supposées, visant la République islamique : « Je voudrais dire à l’Arabie Saoudite que notre destin et celui d'autres pays de la région sont liés les uns aux autres en raison de notre voisinage », avait ainsi déclaré, le 9 novembre 2022, le ministre iranien des Renseignements, Esmaïl Khatib. « Pour l’Iran, toute instabilité dans les pays de la région est contagieuse, et toute instabilité en Iran peut être contagieuse pour les pays de la région », avait-il mis en garde. Et d’ajouter : « si la République islamique décide de punir ces pays, leurs palais de verre s’effondreront et ils ne connaîtront plus la stabilité ».

Une rencontre entre le ministre saoudien des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane et son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian , allait tout de même avoir lieu, le 21 décembre 2022, en marge de ladite « deuxième conférence de Bagdad » tenue à Amman en Jordanie. Les deux parties se déclarant prêtes à poursuivre le dialogue. Hossein Amir-Abdollahian, avait même annoncé, le 12 janvier 2023, avoir conclu un accord avec l'Arabie saoudite, lors de la récente conférence dite Bagdad II, tenue le mois précédent en Jordanie, pour mener un dialogue bilatéral en vue de la normalisation des relations entre les deux pays. Le ministre iranien des Affaires étrangères avait déclaré, le 29 janvier, que l’Iran et l’Arabie saoudite allaient bientôt reprendre leurs pourparlers sur la normalisation de leurs relations. Des négociations qui ont débouché sur l’annonce spectaculaire du 10 mars 2023 qui referme le cycle de conflictualité ouverte en janvier 2016 même si le contentieux est loin d’être apuré.

Il demeure que l’Arabie saoudite a considéré qu’il en allait malgré tout de son intérêt, notamment pour ne pas hypothéquer en interne la réalisation du fameux « Plan Vision 2030 » lancé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, laquelle est indissociable, pour attirer les investissements nécessaires, d’une forme d’apaisement de la conflictualité régionale.
Quel impact cette annonce peut avoir sur la région, notamment sur les dossiers libanais, yéménites et syriens ?


Ce sont notamment ces dossiers régionaux qui constituaient des points de blocage pour Ryad dans la perspective d’une éventuelle normalisation des relations avec Téhéran, régulièrement accusé de s’ingérer dans les affaires arabes via ses proxys: au Liban avec le poids du Hezbollah sur l’échiquier politique, en Syrie depuis l’engagement résolu dès 2013 auprès de Damas pour sauver le régime alaouite de Bachar al-Assad, menacé par les insurgés, et, au Yémen, avec leur soutien de plus en plus avéré à la milice zaydite houthie qui n’hésite pas à cibler le royaume saoudien depuis la frontière méridionale du royaume, au point d’être stigmatisée par Ryad comme un Hezbollah-bis.

L’objectif stratégique de l’Arabie saoudite consiste à s’efforcer de réduire l’empreinte iranienne dans la région. N’y étant pas parvenu par la confrontation, l’Arabie saoudite estime qu’une logique transactionnelle serait susceptible d’être plus efficiente avec la prise en compte d’un intérêt bien compris par les deux parties: réduire son isolement croissant pour Téhéran, assurer une forme de stabilité régionale pour Ryad, condition sine que non pour garantir le succès de la réalisation de son «Plan Vision 2030».
La Chine a-t-elle influé sur ce réchauffement des relations ?

Pékin, où a été faite l’annonce, a incontestablement joué un rôle important, même s’il n’est pas exclusif, dans la finalisation de ce rapprochement entre les deux rivaux géopolitiques régionaux. Et cela parce que la Chine, gourmande en produits énergétiques, se targue d’entretenir de bonnes relations avec chaque partie prenantes. Dans leur communiqué commun, l’Iran et l’Arabie saoudite ont, de fait, ostensiblement remercié «la République d’Irak et le sultanat d’Oman d'avoir accueilli des pourparlers entre les deux parties en 2021 et 2022, ainsi que les dirigeants et le gouvernement de la République populaire de Chine pour avoir accueilli et soutenu les pourparlers menés dans ce pays».

Dans son exercice d’équilibrisme géopolitique pour des raisons géoéconomiques, la Chine, premier client pétrolier officieux (30 % des exportations iraniennes) et 2ème fournisseur officiel de l’Iran (25 % des importations iraniennes), entretient des relations étroites avec Téhéran, qui a d’ailleurs signé en mars 2021 un vaste accord de partenariat stratégique sur 25 ans, largement au profit de Pékin dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications.

Cet accord est devenu à la faveur de la visite du président iranien Ebrahim Raïssi à Pékin, du 14 au 16 janvier 2023, un «partenariat stratégique global». Dans le même temps, le voyage du président chinois Xi Jinping à Ryad le 8 décembre 2022 a montré à Téhéran que Pékin considérait le royaume saoudien comme un partenaire énergétique essentiel. Celui-ci est devenu le premier fournisseur pétrolier de Pékin qui a fait du royaume de l’or noir le premier récipiendaire des IDE chinois (20 % du montant total) dans la région. Cette visite avait d’ailleurs donné lieu à la signature de pas moins d’une vingtaine de "Memorandum of Understanding" (protocole d’accord). La Chine entend désormais tenir le rôle de "honest broker" (honnête courtier) et se substituer à la puissance américaine en se prévalant auprès de ses interlocuteurs régionaux de n’avoir aucun passé colonialiste. Elle semble pour l’instant y parvenir même si cela demande à être confirmé en cas de crise majeure, par exemple, un échec total des négociations sur le nucléaire iranien.
Le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie a permis un nouveau rapprochement entre Damas et les pays du Golfe. Cela peut-il avoir joué sur le réchauffement entre Téhéran et Riyad ?

De manière peut être indirecte, dans le sens où Téhéran constate qu’il y a des velléités de normalisation avec le régime de Damas après une décennie de guerre. C’est le cas notamment de la part des Émirats arabes unis qui ont rouvert, fin décembre 2018, avec Bahreïn, leur ambassade à Damas. Ils pratiquent aujourd’hui, avec d’autres pays arabes comme l’Irak ou l’Égypte, voire la Jordanie, une forme de lobbying pour réintégrer la Syrie dans la grande «famille arabe» que constitue l’organisation de la Ligue arabe. Les conséquences humanitaires du séisme en Syrie ont justifié la réactualisation d’une certaine solidarité arabe avec le régime syrien. Une situation dont il joue d’ailleurs, avec une certaine limite néanmoins, car cela n’est pas censé se faire au détriment de l’Iran dont il est débiteur. Il demeure que cette réintégration, tant espérée par Damas, ne pourra se faire sans l’aval saoudien. Or, du point de vue arabe, cette normalisation est largement conditionnée par une prise de distance de Damas vis-à-vis de Téhéran. C’est là que l’on retrouve les attendus incertains de l’annonce du rétablissement des relations entre Ryad et Téhéran.
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