Walid Fayad à Ici Beyrouth : Le gaspillage dans la production de l’électricité est de 40 %
L’incapacité de l’État à garantir l’approvisionnement en électricité, le plongeon du pays dans l’obscurité, les pertes d’Electricité du Liban (estimées à environ 1 à 2 milliards de dollars par an) sont le lourd legs dont le ministre de l’Energie et de l’Eau, Walid Fayad, a hérité. Ici Beyrouth a rencontré cet invétéré du travail, dont le cerveau foisonne de mille et un projets visant à améliorer ce secteur qui ne cesse de faire couler beaucoup d’encre. Il profite quelque part de la crise pour rétablir, voire transformer, ce secteur de l’électricité qui en a vraiment besoin. Mais l’homme des miracles, comme il le dit lui-même, pourra-t-il mettre à exécution ces plans qui nous sortiraient du noir ?

Il est de notoriété publique qu’EDL est l’un des principaux responsables de la dette publique massive et de la crise économique actuelle et qu’il est plus que jamais nécessaire de trouver des solutions à ce problème qui nous enfonce tous les jours un peu plus dans le gouffre. Non seulement les Libanais pâtissent du manque d’électricité mais ils perçoivent désormais n’importe quelle petite amélioration comme un pas de géant. Est-ce normal aux portes de 2022 ?

Le ministre Fayad promet une nette amélioration basée sur un plan réaliste et faisable. Il explique que « le manque de fonds est hallucinant mais nous allons donner de l’électricité". "Nous allons augmenter les tarifs et nous emprunter de la Banque mondiale, précise-t-il. Nous essayons de donner aux Libanais de l’électricité moins chère que celle qu’ils paient pour les générateurs actuellement. Je suis en train de mettre les choses en forme. J’ai augmenté le prix du mazout en enlevant les subventions pour qu’il soit réel et coordonné au prix du marché mondial. La subvention du mazout était justifiée pour que l’on ne touche pas à EDL, qu’on ne l’améliore pas, que la mafia des moteurs perdure et que l’on nourrisse un système pourri de l’intérieur. Je ne veux pas parler de cela, moi je suis quelqu’un qui regarde vers l'avenir ».

Et M. Fayad d'ajouter : « Il faut savoir que le Kwh coûte 135 LL au consommateur, divisé par 1500 cela fait 9 cents alors que le coût de la production avec le prix du fuel, qui est toujours le même en dollar, était déjà à 15 cents, sans compter qu’il faut ajouter d’autres éléments. On perdait déjà, c’est-à-dire que même celui qui paie 9 cents, fait perdre à l’Etat 6 cents. Celui qui consomme 2 kWh fait perdre à l’Etat deux fois plus. Donc les catégories aisées font perdre à l'Etat beaucoup plus d’argent que la classe pauvre. Quand on dit que les habitants de la banlieue sud ne paient pas et que c’est là que se situe le gaspillage, je réponds que c’est peut-être vrai mais ceux qui dépensent beaucoup de substances subventionnées gaspillent aussi. Mais ce n’est pas leur faute, c’est la faute de celui qui a fait ce système qui est complètement faux".

"Nous devons nous remettre sur pieds nous-mêmes, poursuit le ministre. Nous allons déterminer quel est le coût de production de l’électricité et comment le baisser au maximum. Nous établirons un prix qui même s’il ne couvre pas la totalité du coût de production, en couvre la majeure partie. Il faut savoir qu’aujourd’hui les 135 LL ne représente plus que 0.5 cent. Or dans le monde, le prix de l’électricité oscille entre 10 et 35 cents, soit 35 cents dans les pays riches, 10 cents dans les pays producteurs de gaz et de pétrole. Pour produire de l’électricité, il faut brûler une substance et cela coûte au minimum 10 cents. Même si nous encaissons de tout le monde c’est équivalent à zéro ». Que propose-t-il ? "Augmenter le prix et améliorer la collecte des factures", indique M. Fayad.

EDL accuse des pertes de 40%.

L'estimation des pertes

« Si nous voulons passer de 0.5 cent à un prix avoisinant le prix de production, nous devons faire en sorte que lorsque nous multiplions la différence entre le coût et le prix de vente par les kWh, que le chiffre soit absorbable comme perte. Parce que dans une première étape, augmenter le prix pour qu’il couvre la totalité du coût va être difficile », explique Fayad. Pourquoi ?

« Le coût est très élevé parce qu’il y a beaucoup de gaspillage, indique-t-il à ce propos. D’abord, à cause des pertes techniques évaluées à quelque 15% et qui sont dues au mauvais état du réseau. Ensuite, rentrent en jeu les pertes non techniques, c’est-à-dire que l’électricité est reliée mais n’est pas mesurée, donc on ne connait pas la consommation et on ne paye pas, ou alors l’électricité est volée. Les pertes techniques et non techniques s’élèvent à environ 40%, ce qui est énorme. Sur chaque kWh qui sort de la production seuls 0.6 sont facturés. Je ne peux donc pas faire supporter aux consommateurs qui reçoivent la facture les 40%, c’est injuste. Le compromis est de leur faire supporter une partie qu’il est normal de supporter comme dans les prêts bancaires. Tous les systèmes comportent des pertes. La tarification couvrira donc une partie du gaspillage, pas le tout ».

Comment réhabiliter le réseau ? « Nous avons 400 employés mais ils ne peuvent pas faire seuls le travail, souligne le ministre Fayad. Nous avons des compagnies qui ont des contrats qui sont renouvelés pour la distribution depuis 2010. Si nous voulons élaborer de nouveaux contrats, cela va prendre beaucoup de temps. J’ai suggéré qu’on améliore les conditions de ces contrats afin de diminuer le gaspillage. Je ne veux pas faire quelque chose d’irréaliste. Aujourd’hui, nous avons 40% de gaspillage, essayons de le baisser à 30%. On aura économisé 10 % de gaspillage ce qui nous permettra de couvrir un peu plus le coût, » dit-il.

Un kiliwatt à 0.5 cents!

Un plan en trois points

Et M. Fayad d'ajouter : « J’ai un plan en trois points : donner davantage d’électricité de l'EDL, à raison de plus ou moins 10 heures par jour. Nous avons du fuel irakien pour assurer 4 heures par jour. L’Egypte va nous donner du gaz qui va nous suffire pour 4 heures d’électricité en plus. La Jordanie va nous donner à 12 cents. Le tout va nous coûter en moyenne 11 cents par kWh sur 10 heures comme coût. On ajoute à cela le gaspillage, le coût de distribution. Le cout moyen de production est de 23 cents. Je vais facturer 60% et assumer une perte de 40%. Deuxièmement, le tarif sera étudié avec des plages de consommation progressives qui dépendent de la consommation au kilowatt par heure. Plus on consomme plus on paie. Cela permettra aux familles vulnérables de ne pas recevoir une grosse facture d’électricité".

"Pour ceux qui consomment moins entre 100 kWh et 200 kWh, le prix sera en-dessous de 5 cents le kWh, souligne M. Fayad. Le tarif sera connecté au prix du dollar mois par mois. On est obligé de dollariser selon le prix du fuel. Dans ce plan, nous allons protéger les industriels car nous ne voulons pas leur porter préjudice avec des prix trop élevés. Notre coût de production est cher et nous ne pouvons pas les subventionner. Nous devons leur vendre au prix coûtant. Troisièmement, nous prévoyant de réduire les pertes parce que nous ne pouvons pas profiter de ce système avec un prix plus élevé s’il y a trop de pertes.


Quant au gaz d’Egypte, son acheminement est stratégique, c’est la source d’électricité de loin la moins chère quand on parle d’électricité à capacité moyenne. « Ce plan sera effectif dans les 2 ou 3 mois à venir. Le pipeline est en train d’être réparé. Il a été endommagé et touché par la foudre. Le coût des réparations s’élevait à 2 millions de dollars, je l'ai rabaissé à 975 mille en diminuant au maximum les frais. On commencera par une partie et quand le gaz sera acheminé et qu’on commencera à le faire fonctionner on poursuivra les réparations. » D’ailleurs, le ministre a lancé à Tripoli les travaux de réparation et d’entretien de la partie libanaise du gazoduc arabe, entrepris par la société égyptienne TGS (Technical Company for Gas Pipeline Operation Services).

Et le ministre Fayad de poursuivre : « L’acheminement du gaz va être facilité par un prêt de la Banque mondiale qui va octroyer 300 millions de dollars sur une période de deux ans et que nous allons rembourser en 17 à 20 ans. Cela sera facilité par les Américains pour ce qui a trait à la loi César. Je trouve cela stratégique non seulement pour nous mais aussi pour tous les pays arabes. Premièrement pour la Syrie, puis pour l’Egypte et la Jordanie qui a beaucoup d’électricité qui lui coûte cher. L’Egypte veut nous donner du gaz pour renforcer son rôle dans la région ; cela nous le voulons et les Américains le veulent. De ce fait, la situation est excellente pour nous. Le jour où les Américains n’auront plus cette volonté, nous devrons chercher des solutions radicalement différentes. Le blocus sera effectif sur nous et nous devrons nous diriger vers l’est ».

Relation stratégique avec la France

Concernant sa récente visite en France, M. Fayad la qualifie de fructueuse. « Elle comportait deux volets, le premier gouvernemental et le second privé. Cette relation est stratégique pour nous. J’ai rencontré Patrice Duhamel conseiller du président Emmanuel Macron pour les affaires du Proche Orient, Pierre Duquesne, l'ambassadeur français chargé de la coordination du soutien international au Liban, Emmanuel Moulin, le directeur général du Trésor, représentant le ministre des Finances qui était en déplacement, Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique qui est l’équivalent de mon homologue. Le mot d’ordre était d'aider le Liban et de le soutenir.

Auparavant, leur position n’était pas claire concernant les plans de la Banque mondiale comme une étape précédant l’aide du FMI. Désormais, ils y adhèrent. Ils se rendent compte que sans cette approche, nous ne pourrons pas nous en sortir. C’est un avantage pour tout le monde parce que personne ne veut que le Liban s’écroule avec ses 2 millions de réfugiés syriens. Ils ont clairement dit tout ce dont vous avez besoin, nous allons le faire ».

Par ailleurs, lors de son déplacement à Paris, M. Fayad a rencontré aussi des acteurs du secteur privé. Le ministre a lancé, avec l’ambassadeur du Liban en France Rami Adwan, l’Alliance française pour l’Energie au Liban « à travers laquelle les entreprises françaises vont donner de l’argent pour que nous ayons un fonds avec une technologie française pour installer des systèmes solaires dans les écoles au Liban. On va commencer par 10 établissements jusqu’à arriver à 1000 ».

De même, le ministre Fayad a rencontré les directeurs de Total. « Cette entreprise veut reporter sans continuer les travaux de forage mais il m’importe qu’on continue ses travaux. On ne va pas reporter gratuitement, nous allons améliorer les conditions. Le jour où il y aura un accord sur les frontières terrestres au sud, ils sont prêts à recommencer, de suite, le forage sur le bloc 9. Concernant le bloc 4, beaucoup de discussions sont en cours. Ils peuvent contribuer à la solution concernant les frontières.

Ils ont également bien regardé l’opportunité d’investir avec nous. Ils vont m’envoyer une offre pour fournir des unités flottantes de stockage et de regazéification (FSRU, selon l’acronyme anglais, une infrastructure indispensable pour transporter les hydrocarbures) pour utiliser le gaz et le transporter vers les stations. Ils veulent également investir dans l’énergie solaire. Ils vont présenter une offre avec un moyen d'effectuer un investissement de leur part sans garanti international de paiement. Avec EDF, on a discuté de la planification à long terme de toutes les centrales qu’il faut construire. Nous avons également souligné la nécessité que ce secteur soit dépolitisé ».

Un dernier mot concernant l’eau, « Nous avons des projets superbes pour l’eau que nous devons exploiter et exporter mais à cause des tensions politiques tout est arrêté. Nous devons dépolitiser l’eau qui est stratégique, qui peut fournir de l’électricité qui pourrait être exportée, et nous en avons besoin pour la consommation », conclut le ministre.

La France va proposer une offre de FSRU.

 

 

 
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