L’éditorial – L’esprit 14 marsiste
Dix-huit ans déjà… Toute une génération. Les «teen-agers» d’aujourd’hui ne savent pratiquement pas, ou en tout cas très peu, ce que représentent réellement le 14 Mars et la Révolution du Cèdre, nés des événements enclenchés par l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Le point d’orgue de ces développements aura été sans aucun doute le méga rassemblement du 14 mars 2005 qui avait regroupé des centaines de milliers de personnes à la Place des martyrs et dans toutes les rues avoisinantes.

Ce rassemblement, placé sous le signe du rejet de l’occupation syrienne, donnera le coup d’envoi de ce qui sera qualifié de mouvement du 14 Mars. Celui-ci regroupera un très large éventail de partis et de personnalités indépendantes, de différents horizons communautaires et politiques, en l’occurrence les Forces libanaises, les Kataëb, le Parti national libéral, le courant du Futur, le Parti socialiste progressiste, une élite chiite, des pôles indépendants de premier plan, tels que Farès Souhaid, Samir Frangié, Marwan Hamadé, cheikh Michel el-Khoury, Nassib Lahoud, Boutros Harb, Nayla Moawad, Michel Moawad, Elias Moukheiber, Carlos Eddé, Samir Abdel Malak… Ce large regroupement politique sera porteur d’un projet souverainiste ayant pour leitmotive «Liban d’abord», en ce sens qu’il sera fondé sur deux axes  essentiels: d’une part, le rejet de toute tutelle étrangère sur le Liban, et d’autre part, l’édification d’un Etat central fort capable d’imposer son autorité sur l’ensemble du territoire et, surtout, d’accorder la priorité à la mise en place d’un plan de développement équilibré et équitable dans toutes les régions du pays.

Au fil des ans, ce regroupement s’est disloqué sous le poids de facteurs partisans et politiciens, parallèlement aux menaces et pressions miliciennes exercées par le Hezbollah dont le rôle régional au service de la stratégie expansionniste du régime des mollahs iraniens est, précisément, l’antithèse du projet souverainiste du 14 Mars. De là à affirmer que ce projet fait désormais partie du passé, il n’y a qu’un pas que nombre d’analystes se sont empressés de franchir, à tort car il serait réducteur de limiter le 14 Mars à une simple coalition conjoncturelle de partis et de personnalités indépendantes. La Révolution du cèdre du printemps 2005 c’est bien plus que cela. Elle incarne en effet un «esprit 14 marsiste», un projet national, dont la dimension et la portée historique ne peuvent être perçues qu’en effectuant un rapide survol des phases-clé de l’histoire contemporaine du Liban, depuis 1920.

La proclamation du Grand-Liban il y a un peu plus d’un siècle avait, d’abord, été accueillie avec hostilité par une large faction de la population sunnite de Tripoli et du Liban-Nord dont la sensibilité penchait pour un rattachement à la Syrie. Il faudra plusieurs années pour que ce rejet soit résorbé, ce qui permettra de paver la voie à l’indépendance de 1943 et au pacte national convenu entre le président Béchara el-Khoury et Riad Solh, définissant le contour de la coexistence intercommunautaire basée sur la parité islamo-chrétienne.


Le Liban n’était toutefois pas sorti de l’auberge, au lendemain de l’indépendance… Les ambitions panarabes du président égyptien Nasser trouveront un écho favorable au sein de la faction sunnite du tissu social libanais, ce qui provoquera la première guerre civile de 1958. A la fin des années 1960 – avec l’Accord du Caire de 1969 conclu avec les Palestiniens – et dans les années 1970, le pays sera déstabilisé par la présence armée et les ingérences multiples de l’OLP dans la vie publique. Suivront les phases des occupations israélienne et, surtout, syrienne, le régime Assad essayant de soumettre, voire «d’anschlusser», le pays du Cèdre afin d’assouvir ses ambitions hégémoniques régionales.

Depuis la période nassérienne, et jusqu’à l’emprise iranienne actuelle, en passant par les mains-mises palestinienne puis syrienne, les Libanais sont victimes, dans leur vie publique et quotidienne, des manœuvres, des occupations et des actes d’intimidation exercés par des puissances et factions régionales qui utilisaient le Liban comme leur propre champ d’action. Des décennies de politiques de coercition extérieure qui ont empêché, et qui ont torpillé même, l’émergence d’un vaste courant souverainiste et libaniste transcommunautaire au niveau de la base populaire… L’esprit, le projet, «14 marsiste» incarne le refus de cette stratégie de déstabilisation continue, entretenue par les acteurs moyen-orientaux. Le leitmotive «Liban d’abord» – une façon détournée de parler de neutralité – prend de ce fait sa véritable portée.

Ce projet 14 marsiste reste, aujourd’hui, plus que jamais de mise. Plus de 60 ans de sacrifices et d’épreuves au quotidien suffisent. Il est grand temps de mettre de l’ordre dans la «maison libanaise», pour reprendre un terme cher au fondateur de l’ancien Cénacle libanais, Michel Asmar. Sur ce plan, il y a fort à faire. Et là aussi, le 14 Mars a constitué un développement historique fondateur d’un «libanisme» bien réfléchi qui puise sa source dans les grandes manifestations et les méga rassemblements du printemps 2005…
Commentaires
  • Aucun commentaire