Les célébrations traditionnelles de l’anniversaire du méga rassemblement du 14 mars 2005 dans le centre-ville de Beyrouth omettent généralement de mettre en relief un paramètre essentiel: le profil sociocommunautaire des manifestants qui, dans le prolongement de ce 14 mars, pendant de longs mois et en très grand nombre, ont entretenu la flamme d’un courant souverainiste et indépendantiste qui sera désigné par «la Révolution du Cèdre».
De fait, pour la première fois dans l’histoire contemporaine du Liban, un vaste élan populaire transcommunautaire d’une ampleur sans précédent, et s’étalant dans le temps, a pris possession au printemps 2005 des places publiques. Pour la première fois, chrétiens, sunnites, druzes, et de nombreux cadres chiites, sont descendus ensemble dans la rue, brandissant le même drapeau, les mêmes banderoles et calicots, scandant les mêmes slogans, œuvrant à atteindre les mêmes objectifs nationaux.
Par le passé, les mouvements transcommunautaires revêtaient un caractère ponctuel et limité. En 2005, par contre, la mobilisation continue a été l’un des facteurs qui, combiné à une conjoncture régionale et internationale propice (merci Jacques Chirac et Georges W. Bush, sans compter les dirigeants saoudiens…), aboutira à ce qui sera qualifié de «deuxième indépendance». En l’occurrence, le retrait de l’armée syrienne et la fin de la tutelle du régime Assad sur le Liban. L’indépendance de 1943, à titre de comparaison, avait été le fruit, au plan interne, d’une entente «au sommet», entre leaders (Béchara el-Khoury et Riad Solh, notamment), sans que cette démarche souverainiste ne se traduise réellement sur le terrain par un élan transcommunautaire uni et continu.
Le tournant de 2005 constituera ainsi l’acte fondateur d’un «libanisme» émergent, fruit d’une convergence – encore fragile – de sensibilités chrétienne, sunnite et druze, dans le sens d’une amorce de prise de conscience nationale libaniste. Les prémices tangibles d’un tel développement fondateur remontent au mois d’août 2000 lorsque des jeunes des Forces libanaises, du parti Kataëb, du courant aouniste (le véritable courant aouniste de l’époque…), du Parti socialiste progressiste, du courant du Futur, avec un groupe de jeunes indépendants avant-gardistes, se réuniront en séminaire pendant plusieurs jours, à huis clos, afin de débattre de la situation dans laquelle se débattait le pays. Ces échanges, francs et ouverts, seront les premiers du genre entre jeunes d’horizons communautaires et politiques différents. Cette sorte de brain storming, de dialogue en profondeur, constituera l’indice précurseur de la Révolution du Cèdre, du printemps de Beyrouth 2005. Fait significatif, qui devait annoncer la couleur de développements futurs, les cadres du tandem Hezbollah-Amal devaient refuser de s’associer à ce séminaire de Baakline.
Ces retrouvailles entre les jeunes cadres de ce qui deviendra plus tard le 14 Mars seront suivies, au fil des mois, d’un début de contacts très discrets, pour ne pas dire secrets, entre les leaderships chrétien, sunnite et druze, plus précisément les Forces libanaises, les Kataëb, le Parti national libéral, le PSP, le Futur, sans oublier des pôles indépendants de premier plan, notamment Samir Frangié et Farès Souhaid. Le catalyseur, le ciment imperceptible, de cette convergence à caractère souverainiste sera sans conteste le patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Cette dynamique discrète se traduira par l’historique «réconciliation de la Montagne», initiée courageusement par le patriarche Sfeir et Walid Joumblatt.
Une telle convergence sera très mal accueillie par l’occupant syrien et ses alliés locaux. La réaction se traduira, en guise de mise en garde, par les tristement célèbres rafles opérées en 2001 par l’appareil sécuritaire libano-syrien dans les rangs des jeunes des Forces libanaises, des Kataëb, du PNL et du courant aouniste de l’époque… Car pour le régime Assad et ses suppôts locaux, cette amorce d’alliance intercommunautaire constituait une dangereuse violation d’une entente tacite qui régissait «l’ordre syrien», la pax syriana: les volets politique et sécuritaire devaient rester la chasse gardée de Damas et de ses relais libanais, et les responsables officiels au pouvoir devaient se contenter exclusivement du volet économique et du développement. Ce qui fera dire à un allié de Damas, pour justifier les rafles de 2001: «Nous nous étions entendus avec Rafic Hariri sur un package prévoyant qu’il limiterait son action au domaine économique, sans s’étendre au volet politique et sécuritaire ; or il s’emploie maintenant à établir des contacts continus avec l’opposition chrétienne»!
La mise en garde de 2001 ne parviendra pas toutefois à stopper la dynamique souverainiste en marche qui se traduira au fil du temps par la formation du rassemblement de Kornet Chehwane (sous l’égide du patriarche Sfeir), de la Gauche démocratique (sous l’impulsion de chefs de file communistes ayant effectué une très audacieuse autocritique, tels que Georges Haoui, Elias Atallah et Habib Sadek, ou aussi d’intellectuels de gauche, notamment Samir Kassir). Les rencontres du Bristol, auxquelles participeront des ténors parlementaires, tels que Nassib Lahoud, ainsi que Walid Joumblatt et des représentants du Futur et de l’opposition chrétienne, permettront au courant souverainiste de prendre forme progressivement.
Le soutien efficace de Jacques Chirac et Georges W. Bush, avec l’appui des dirigeants saoudiens, stimulera ce processus que le régime Assad tentera, en vain, de torpiller en commanditant la tentative d’assassinat de Marwan Hamadé, en octobre 2004, et l’attentat meurtrier du 14 février 2005 qui couta la vie à Rafic Hariri. Mais la Révolution du Cèdre était irrémédiablement en marche…
Cette émergence progressive d’une sensibilité «libaniste» transcommunautaire constituera l’antithèse du projet transnational du Hezbollah, au service des ambitions hégémoniques du régime des mollahs au pouvoir à Téhéran. La formation pro-iranienne fera ainsi feu de tout bois et n’épargnera aucun moyen pour saboter le projet 14 marsiste d’édification d’un réel État central rassembleur et souverain. La guerre de juillet 2006 représentera sans doute l’un de ces forcings sanglants visant à provoquer l’arrêt de ce mouvement centripète et unificateur. Depuis, les actions et initiatives du Hezbollah allant dans le sens d’une déconstruction de l’État ne cessent de se multiplier et de se diversifier. Plus que jamais, le pays est de ce fait ébranlé dans ses fondements par une grave crise existentielle. Rien d’étonnant dans une telle conjoncture que des solutions axées sur des formules de décentralisation élargie, allant jusqu’à la fédération, soient mises sur le devant de la scène… Le débat sur ce plan est aujourd’hui grandement ouvert.
De fait, pour la première fois dans l’histoire contemporaine du Liban, un vaste élan populaire transcommunautaire d’une ampleur sans précédent, et s’étalant dans le temps, a pris possession au printemps 2005 des places publiques. Pour la première fois, chrétiens, sunnites, druzes, et de nombreux cadres chiites, sont descendus ensemble dans la rue, brandissant le même drapeau, les mêmes banderoles et calicots, scandant les mêmes slogans, œuvrant à atteindre les mêmes objectifs nationaux.
Par le passé, les mouvements transcommunautaires revêtaient un caractère ponctuel et limité. En 2005, par contre, la mobilisation continue a été l’un des facteurs qui, combiné à une conjoncture régionale et internationale propice (merci Jacques Chirac et Georges W. Bush, sans compter les dirigeants saoudiens…), aboutira à ce qui sera qualifié de «deuxième indépendance». En l’occurrence, le retrait de l’armée syrienne et la fin de la tutelle du régime Assad sur le Liban. L’indépendance de 1943, à titre de comparaison, avait été le fruit, au plan interne, d’une entente «au sommet», entre leaders (Béchara el-Khoury et Riad Solh, notamment), sans que cette démarche souverainiste ne se traduise réellement sur le terrain par un élan transcommunautaire uni et continu.
Le tournant de 2005 constituera ainsi l’acte fondateur d’un «libanisme» émergent, fruit d’une convergence – encore fragile – de sensibilités chrétienne, sunnite et druze, dans le sens d’une amorce de prise de conscience nationale libaniste. Les prémices tangibles d’un tel développement fondateur remontent au mois d’août 2000 lorsque des jeunes des Forces libanaises, du parti Kataëb, du courant aouniste (le véritable courant aouniste de l’époque…), du Parti socialiste progressiste, du courant du Futur, avec un groupe de jeunes indépendants avant-gardistes, se réuniront en séminaire pendant plusieurs jours, à huis clos, afin de débattre de la situation dans laquelle se débattait le pays. Ces échanges, francs et ouverts, seront les premiers du genre entre jeunes d’horizons communautaires et politiques différents. Cette sorte de brain storming, de dialogue en profondeur, constituera l’indice précurseur de la Révolution du Cèdre, du printemps de Beyrouth 2005. Fait significatif, qui devait annoncer la couleur de développements futurs, les cadres du tandem Hezbollah-Amal devaient refuser de s’associer à ce séminaire de Baakline.
Ces retrouvailles entre les jeunes cadres de ce qui deviendra plus tard le 14 Mars seront suivies, au fil des mois, d’un début de contacts très discrets, pour ne pas dire secrets, entre les leaderships chrétien, sunnite et druze, plus précisément les Forces libanaises, les Kataëb, le Parti national libéral, le PSP, le Futur, sans oublier des pôles indépendants de premier plan, notamment Samir Frangié et Farès Souhaid. Le catalyseur, le ciment imperceptible, de cette convergence à caractère souverainiste sera sans conteste le patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Cette dynamique discrète se traduira par l’historique «réconciliation de la Montagne», initiée courageusement par le patriarche Sfeir et Walid Joumblatt.
Une telle convergence sera très mal accueillie par l’occupant syrien et ses alliés locaux. La réaction se traduira, en guise de mise en garde, par les tristement célèbres rafles opérées en 2001 par l’appareil sécuritaire libano-syrien dans les rangs des jeunes des Forces libanaises, des Kataëb, du PNL et du courant aouniste de l’époque… Car pour le régime Assad et ses suppôts locaux, cette amorce d’alliance intercommunautaire constituait une dangereuse violation d’une entente tacite qui régissait «l’ordre syrien», la pax syriana: les volets politique et sécuritaire devaient rester la chasse gardée de Damas et de ses relais libanais, et les responsables officiels au pouvoir devaient se contenter exclusivement du volet économique et du développement. Ce qui fera dire à un allié de Damas, pour justifier les rafles de 2001: «Nous nous étions entendus avec Rafic Hariri sur un package prévoyant qu’il limiterait son action au domaine économique, sans s’étendre au volet politique et sécuritaire ; or il s’emploie maintenant à établir des contacts continus avec l’opposition chrétienne»!
La mise en garde de 2001 ne parviendra pas toutefois à stopper la dynamique souverainiste en marche qui se traduira au fil du temps par la formation du rassemblement de Kornet Chehwane (sous l’égide du patriarche Sfeir), de la Gauche démocratique (sous l’impulsion de chefs de file communistes ayant effectué une très audacieuse autocritique, tels que Georges Haoui, Elias Atallah et Habib Sadek, ou aussi d’intellectuels de gauche, notamment Samir Kassir). Les rencontres du Bristol, auxquelles participeront des ténors parlementaires, tels que Nassib Lahoud, ainsi que Walid Joumblatt et des représentants du Futur et de l’opposition chrétienne, permettront au courant souverainiste de prendre forme progressivement.
Le soutien efficace de Jacques Chirac et Georges W. Bush, avec l’appui des dirigeants saoudiens, stimulera ce processus que le régime Assad tentera, en vain, de torpiller en commanditant la tentative d’assassinat de Marwan Hamadé, en octobre 2004, et l’attentat meurtrier du 14 février 2005 qui couta la vie à Rafic Hariri. Mais la Révolution du Cèdre était irrémédiablement en marche…
Cette émergence progressive d’une sensibilité «libaniste» transcommunautaire constituera l’antithèse du projet transnational du Hezbollah, au service des ambitions hégémoniques du régime des mollahs au pouvoir à Téhéran. La formation pro-iranienne fera ainsi feu de tout bois et n’épargnera aucun moyen pour saboter le projet 14 marsiste d’édification d’un réel État central rassembleur et souverain. La guerre de juillet 2006 représentera sans doute l’un de ces forcings sanglants visant à provoquer l’arrêt de ce mouvement centripète et unificateur. Depuis, les actions et initiatives du Hezbollah allant dans le sens d’une déconstruction de l’État ne cessent de se multiplier et de se diversifier. Plus que jamais, le pays est de ce fait ébranlé dans ses fondements par une grave crise existentielle. Rien d’étonnant dans une telle conjoncture que des solutions axées sur des formules de décentralisation élargie, allant jusqu’à la fédération, soient mises sur le devant de la scène… Le débat sur ce plan est aujourd’hui grandement ouvert.
Lire aussi
Commentaires