Pilule au Liban, un tabou à risque
©Les jeunes filles évitent d'acheter la pilule de pharmacies proches de leurs demeures. (Photo dr)
Au Liban, les jeunes femmes se heurtent à un tabou: celui de la pilule contraceptive. Alors même que la pilule est largement répandue dans le pays, la discrétion à ce sujet est de mise, même au sein de la sphère privée. Une discrétion qui découle du fait que la sexualité reste également un sujet tabou.

«Je n’ai jamais rencontré une fille qui dit ouvertement qu’elle prend la pilule», confie une étudiante libanaise d’une vingtaine d'années. Traitement hormonal journalier, la pilule contraceptive, qui présente un taux d’efficacité de 91%, est un des moyens contraceptifs les plus utilisés chez les jeunes femmes dans le monde. Au-delà de la contraception, ses fonctions régulatrices et apaisantes font de cette petite gélule une composante indispensable du quotidien de nombreuses femmes. Au Liban, prendre la pilule reste tabou si l'on est célibataire.

Sur Instagram le Dr Alain Daher est engagé dans la sensibilisation pour démocratiser les connaissances et défaire les clichés. (Photo dr)

Partie étudier en Europe, une jeune Libanaise raconte son expérience avec la pilule au Liban. «Nous essayons toutes d’aller dans une pharmacie, la plus loin possible de notre maison, pour que le pharmacien n’identifie pas nos parents», se souvient-elle. La réputation de la famille est en jeu. Dans certaines familles, la parole s’est libérée à ce sujet, mais le dialogue s’ouvre principalement entre les femmes. «Les femmes, la mère, la grand-mère, comprennent. Pour les hommes, le sujet est un peu plus difficile à digérer», poursuit la jeune femme. Dans d’autres, il est hors de question pour une jeune fille de révéler à sa mère qu’elle prend la pilule, car cela suppose qu’elle a des rapports sexuels.

«Même les filles à qui le médecin a prescrit la pilule pour réguler leurs règles ont un peu honte de le dire parce qu’elles ont peur que les gens pensent qu’elles la prennent pour des raisons sexuelles», confie une jeune Libanaise. Il vaut mieux se taire alors pour éviter les jugements et protéger sa réputation.

Face à un cadre familial souvent fermé à ce sujet, le corps médical incarne un écosystème de confiance détaché des dogmes sociétaux. Cela n’empêche pas quelques entorses à la déontologie… Âgée de 19 ans, Sara*, étudiante à l’Université Saint-Joseph, témoigne des remarques culpabilisantes dont elle a été victime. «De nombreux pharmaciens que j’ai contactés pour acheter la pilule étaient choqués à cause de mon âge. Ils ne comprenaient pas». Sara souffre du syndrome des ovaires polykystiques. Pour soulager cette maladie, qui touche une femme sur 10, la pilule contraceptive est souvent recommandée en première intention. Mis au courant de sa situation, son père l’accompagne pour acheter sa boîte de cachets. Le pharmacien s’adresse alors à lui, inquiet de savoir s'il était bien conscient de ce que sa fille venait chercher. Une insinuation et un jugement que le père n’a guère appréciés.

Un devoir de sensibilisation

Conséquence de ce mutisme, le déficit de communication et d’information autour de la contraception peut s’avérer dangereux. Alain Daher, gynécologue obstétricien, spécialisé dans l’infertilité et chargé d’enseignement à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph, insiste sur le rôle majeur des gynécologues au Liban. «Beaucoup de femmes comptent sur la contraception naturelle», confie-t-il. Des méthodes risquées dont l’efficacité est inférieure à 80%.

La promotion de la contraception est primordiale dans une société ou les avortements clandestins, parfois pratiqués sans anesthésie, présentent un haut risque de dommages physiques et psychologiques irréversibles.

Dans le même temps, le docteur Daher pointe du doigt l’existence de rumeurs erronées qui renforceraient la réticence à prendre la pilule. «Les jeunes filles ont peur de prendre la pilule, car elles pensent qu’elle peut rendre infertile et provoquer des cancers». Il dénonce des «croyances fausses, transmises de génération en génération par les femmes libanaises». Un fait que confirme une des étudiantes interrogées. «Ma mère sait que je prends la pilule. Elle la découvert et elle a juste essayé de me convaincre qu’elle n’était pas bonne pour la santé à long terme».

Pour lutter contre la prépondérance des croyances populaires, Alain Daher s’est donné pour mission la sensibilisation. Sur son compte Instagram, il produit du contenu scientifique sur la gynécologie et la fertilité, destiné à démocratiser les connaissances et à défaire les clichés sur le sujet.

Dans certains milieux les femmes n'évoquent même pas le sujet entre elles. (Photo dr)


Le danger de l’auto-prescription

Un traitement hormonal n’est pas anodin. C’est pourquoi le gynécologue met l’accent sur la nécessité d’une consultation médicale pour encadrer la prise de la pilule, ce qui permet de réduire fortement les risques sur la santé. En effet, paradoxalement, bien que le fait de la prendre reste un sujet tabou, la pilule est très accessible au Liban où il est possible de se la procurer en pharmacie sans prescription médicale.

La prise dun traitement hormonal ne saurait ainsi se passer d’une analyse clinique. Le médecin évalue les antécédents familiaux de la patiente et les contre-indications médicales afin de lui prescrire une pilule adaptée. Une pilule inappropriée peut provoquer des effets secondaires indésirables et porter atteinte à la santé des jeunes femmes.

À Mar Mikhaïl, une pharmacienne explique, presque avec désespoir: «La plupart viennent seules et sans ordonnance, parce qu’elles ne sont pas informées du fait qu’elles doivent aller voir un gynécologue dès 13,14 ans». «D’ailleurs, même leurs mamans ne les encouragent pas à aller voir un médecin à cause du tabou». Face à ces situations, les pharmaciennes recommandent systématiquement un suivi médical: «Les clientes acquiescent, mais elles n’y vont pas, car elles redoutent que leurs parents apprennent qu’elles prennent la pilule».

Préserver l’honneur

Le tabou qui entoure la prise de la pilule chez les jeunes Libanaises n’est pas lié à la pilule en elle-même mais plutôt à ce qu’elle suggère: une activité sexuelle régulière.

Le silence autour des relations sexuelles chez les jeunes persiste dans la société libanaise au sein de laquelle les principes semblent évoluer moins vite que les pratiques. Imprégnée de religiosité, la population libanaise conserve des idées traditionnelles sur certains sujets. La valorisation de la virginité de la femme en fait partie.

Darine Amache, psychologue clinicienne libanaise, explique à ce sujet: «Le modèle traditionnel de la femme libanaise parfaite, avec l’accent mis sur la féminité, la modestie et le sacrifice pour la famille, est certainement lié à la valorisation de la virginité et la perpétuation du patriarcat dans la société libanaise». Et d’ajouter: «Dans ce modèle, les femmes sont souvent considérées comme les gardiennes et les protectrices de l’honneur de la famille. Leur virginité et leur pureté sexuelle sont considérées comme des composantes essentielles de cet honneur». Une injonction à la pureté visiblement moins exigeante pour la gent masculine.

Si l’évolution des mœurs au XXIᵉ siècle amène à relativiser cette vision conservatrice de la femme, cette construction d’un modèle de la femme libanaise à laquelle il faudrait correspondre pèse encore dans l’inconscient collectif. En témoigne la persistance de ce malaise autour de la contraception, dont souffrent les jeunes Libanaises.

*Le nom a été modifié.

 
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