Nucléaire : Où va l’Iran ? \
Dans un entretien avec Ici Beyrouth, l’experte en prolifération nucléaire est revenue sur les derniers développements ayant trait à l’enrichissement d’uranium. Les pourparlers de Vienne ont repris ce lundi 27 décembre.

Alors qu’un énième round de négociations s’est ouvert lundi dernier, 27 décembre, à Vienne, les pourparlers sur le nucléaire iranien ne semblent pas aller dans la bonne direction, selon plusieurs sources occidentales. En cause, la poursuite de l’enrichissement d’uranium sur le site de Fordow qui inquiète les différentes parties prenantes, notamment Israël qui a affirmé qu’il agirait «seul si nécessaire». La tension actuelle va-t-elle arriver à un point critique prochainement ? Avec ses demandes maximalistes, le régime iranien entend gagner du temps tout en ne braquant pas totalement les Occidentaux pour ne pas se mettre hors-jeu. Pour l’heure, aucune réponse n’a été apportée aux revendications iraniennes. Surveiller le programme nucléaire est pourtant essentiel pour revenir à un accord, affirme Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique.

Avec l’administration Biden, certains observateurs ont noté un retour de la politique d’Obama vis-à-vis de l’Iran, avec la nomination de plusieurs anciens négociateurs de l’accord conclu par Obama en 2015 (le JCPOA) à des postes clés de son administration, à l’image d’Anthony Blinken et de Jake Sullivan.

Le contexte régional peut également peser sur la difficile équation et risque de compliquer la tâche des négociations. Israël semble déterminé à frapper les alliés de l'Iran, multipliant ces derniers jours ses frappes en Syrie. Plusieurs actes de sabotage ont également eu lieu au sein des sites nucléaires iraniens ces derniers mois et années, sans davantage d’explications. L’Arabie Saoudite n’a pas non plus l’intention de laisser l’Iran se doter de l’arme nucléaire. Mais la question d’une «course à l’armement» est un scénario catastrophe peu probable à l’heure actuelle, selon des experts de la région.

Des seuils importants «déjà franchis»

«Même si l’Iran revenait dans un accord cadre similaire à celui de 2015, vous ne pouvez pas annuler les connaissances nucléaires acquises au fil des ans», selon Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy, estimant que «les négociateurs peuvent craindre de ne pas être sûrs à 100 % que l'Iran ne possède pas déjà bon nombre des capacités nucléaires que l'accord est censé arrêter».

Elana DeLozier rappelle que «les niveaux d’enrichissement de l’Iran ont graduellement évolué au fil des ans, passant de 3% à 19,75%, jusqu’à 60% aujourd’hui. Au regard de la situation actuelle, même les figures qui étaient hostiles à l’accord de 2015 sont désormais favorables à un nouvel accord qui permettrait de limiter immédiatement le programme iranien».


Tout porte à croire que l’actuelle fuite en avant de l’Iran n’aurait pas eu lieu si l’accord de 2015 n’avait pas été suspendu. L'analyste souligne sur ce plan :
«Le JCPOA de 2015 visait à geler les capacités nucléaires de l’Iran. Mais depuis que le JCPOA a échoué à la suite du retrait américain, l'Iran a fait d'énormes progrès dans le domaine de l'enrichissement nucléaire. L'Iran continue de déplacer le curseur de l'enrichissement, en l’augmentant. Les discussions ont évolué année après année, on est passé de la question de savoir si l'Iran devait être autorisé à enrichir l’uranium, au problème de l'enrichissement à 20 % et maintenant à 60 %, ce qui n'est qu'un pas vers l'enrichissement de qualité militaire. Certains craignent que l'Iran ait déjà franchi des seuils importants qui ne peuvent être défaits, même avec un accord».

Le précédent pakistanais

Parallèlement au dossier du nucléaire, le retour fréquent de l’épineuse question des missiles balistiques (pouvant être dotés de têtes nucléaires) envenime les discussions. Si l’Iran a catégoriquement refusé de lier ces deux dossiers, dans le camp occidental, certains partisans de la «ligne dure» pourraient être amené à relancer le sujet. Cependant, l’Iran n’a pas forcément besoin de missiles pour utiliser la technologie nucléaire. Une note publiée il y a quelques jours par Simon Henderson du Washington Institute donne davantage d’informations à ce sujet. Selon les mémoires d’un général pakistanais à la retraite, le savoir-faire iranien en matière nucléaire s’est construit grâce au succès du Pakistan qui détient désormais l’arme atomique. Le Pakistan a oeuvré à doter ses F-16 de têtes nucléaires durant de nombreuses années, à l’époque du conflit ouvert avec l’Inde, ce qui inquiétait les Etats-Unis, selon un article cité par Henderson. «Bien qu’il n’y ait aucune indication publique d’un tel engouement de l’Iran pour développer ses avions de combat, la possibilité mérite d’être évaluée, d’autant que Téhéran possède la flotte nécessaire et que l’Iran et le Pakistan ont étroitement collaboré dans les domaine militaire et nucléaire durant plusieurs années», explique Henderson.

Israël «prêt à agir seul si nécessaire»

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, a déclaré lundi que son pays était «prêt à agir seul si nécessaire». Réelle mise en garde ou énième effet d’annonce, cette déclaration calculée intervient au moment où les pourparlers n’évoluent guère, les deux parties campant sur leurs positions. «Le site nucléaire de Fordow est profondément enfoui et difficilement atteignable, même si les Etats-Unis ou Israël souhaitaient l’attaquer», rappelle Elana DeLozier. A l’heure actuelle, l’Iran semble avoir protégé ce site d’une manière maximale.

«Contrairement aux opérations éclairs d’Israël contre les installations irakienne et syrienne, l’Iran a multiplié les sites de stockage et de production, en fortifiant certains d’entre eux. Si Israël a des options militaires sur la table, la question sera de savoir le degré de leurs éventuelles frappes, et comment ils évaluent les ‘chances de réussite’ de l’opération», estime l’experte du Washington Institute.
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