Sera commémoré ce soir le 60ème anniversaire du putsch manqué du PSNS. Que s’est-il passé cette nuit-là et quels en étaient les enjeux ?
La nuit du 30 au 31 Décembre 1961, « deux capitaines de l’armée, avec une dizaine de blindés et 40 soldats », selon la description du grand journaliste libanais feu Édouard Saab, pénètrent dans le bâtiment de la Défense nationale, dans une tentative de s’en emparer. Simultanément, des membres du Parti Syrien National Social (PSNS) kidnappent un à un les officiers supérieurs de l’armée à leurs domiciles. Parallèlement, d’autres militants exécutent leur partie du plan en occupant les autres bâtiments étatiques.
Soixante ans plus tard, on s’en souvient encore comme d'un coup d’État manqué, raté. Quelle est donc la raison de cet échec qui n’était pas forcément annoncé vu le nombre de coups d’États réussis qui ont eu lieu durant les années précédentes dans les pays avoisinants ? La réponse que les historiens retiennent est celle d’une erreur presque de débutant : pour des raisons inconnues, les dissidents n'ont pas mis la main sur le siège de la radio, outil majeur qu’il aurait fallu utiliser pour menacer et informer la population que le mandat du président Fouad Chéhab était terminé et que le Liban officiel est tombé aux mains des pro-syriens. Ou plus précisément aux mains des partisans de cette idée pansyrienne selon laquelle le Liban serait, au même titre que la Palestine, la Jordanie, l’Iraq ou même Chypre, l’une des composantes d’un seul et même État levantin arabe : la Grande Syrie.
Reprise par Wikipédia du site de la faction de Homs du PSNS
À cette époque, le nom du Parti syrien national social était encore traduit Parti populaire syrien (PPS), nom qui avait été très ironiquement choisi non pas par la presse francophone libanaise mais par les Français auxquels le parti était, de par sa nature, totalement opposé. Ce parti laïc a été fondé en 1932, sous le mandat français, par Antoun Saadé, en réaction aux accords Sykes-Picot de 1916 qu’il jugeait désastreux, et sur le fondement de cette idée chimérique d’une grande nation syrienne. Parti mais également milice, son bras armé compterait aujourd’hui quelques milliers de membres prêts au combat (et qui auraient d’ailleurs participé à la guerre civile syrienne). Mais revenons à notre sujet.
Fin décembre 1961, le coup d’État a lieu, en une nuit – la veille de la Saint-Sylvestre ; et il échoue lamentablement. La radio n’a pas été prise pour des raisons incompréhensibles malgré l’accès pourtant très facile au nouveau bâtiment de la radio. Néanmoins, les autorités sont alertées car le mouvement est important et ne peut leur échapper. Depuis le Palais présidentiel de Baabda, Fouad Chéhab use de son expérience d’ancien général de l’armée et commande la contre-attaque. Il peut s’appuyer certes sur la police et sur le reste de l’armée, mais aussi en ayant recours au Deuxième Bureau qui, à partir de ce point, se verra investi de pouvoirs démesurés et peu respectueux des libertés publiques et autres « contraintes » légales, comme le droit à la défense.
En quelques jours, le sort du PSNS est, une fois de plus dans son histoire, scellé. Le parti est officiellement interdit et dissout, 50 militants sont tués dans des affrontements avec les forces de l’ordre, 3500 autres partisans sont arrêtés et incarcérés pour certains jusqu’à l’amnistie de 1969. Pour Yara El Khoury, docteur en Histoire, chercheur et chargée de cours à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le coup d’État manqué de 1961 ne saurait être dissocié du contexte historique global dans le monde arabe. Et ce contexte est particulièrement mouvementé en raison d’une série de coups d’État qui commence en Syrie dès 1949 et se poursuit à travers notamment l’Égypte (1952) et l’Iraq (1958). « 1961 est également l’année de l’infissal, qui marque la fin de l’expérience de la République Arabe Unie qui unissait la Syrie à l’Égypte », souligne l’universitaire.
Comme un remous de l’Histoire ?
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C’est dans ce cadre qu’il faut préciser que le coup d’État du 30-31 décembre n’était pas, pour certains, le premier « putsch » organisé par le PSNS. D’autres estiment le contraire et soulignent que donner au PSNS le mérite d’avoir secoué deux fois l’État libanais reviendrait à gonfler son importance et serait beaucoup trop démesuré au regard des preuves historiques. Le point de discorde est le suivant : pour les premiers, douze ans plus tôt, en 1949, son leader Antoun Saadé avait déjà mené une insurrection contre le gouvernement de Riad el-Solh ; pour les seconds, il s’agissait de rixes entre le PSNS et les Kataëb à la suite desquelles les deux partis sont interdits.
Ce sont préalablement des perquisitions faites au siège du PSNS qui auraient mis à jour des documents faisant état d’une tentative de putsch. Aussitôt, des milliers de ses partisans sont arrêtés et Saadé fuit pour Damas. Mais le nouveau président syrien Husni el-Zaïm, qui vient de renverser Chucri Kouwatli et qui avait promis l’asile à Saadé, trahit cette promesse et le livre aux autorités libanaises à la demande du Premier ministre Solh, qui réclame son extradition. Dans une grande rapidité et sans accommodation des garanties de justice usuelles, le leader du PSNS est jugé devant le tribunal militaire libanais et condamné à mort en tant que traitre à la nation. L’évènement est vécu par beaucoup comme une injustice flagrante, et par d’autres comme une victoire de l’ordre sur le promoteur d’une idéologie aux antipodes de la nation libanaise.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais les représailles des nationalistes syriens ne se sont pas fait attendre ; elles furent double et sans pitié pour les gouvernements libanais et syrien, visés en plein cœur. D’une part, en août 1949, le président Husni el-Zaïm se fait froidement abattre en plein palais présidentiel par un groupe mené par nul autre que l’un de ses amis, Sami al-Hinnawi, qui avait d’ailleurs lui-même préparé le coup d’État ayant permis à Zaïm son accession au pouvoir ! Le motif de cet acte est clair et assumé : venger la mort d’Antoun Saadé. Et ce n’est pas tout, car deux ans plus tard, en juillet 1951, c’est le Premier ministre Riad el-Solh qui se fait assassiner par balles à Amman alors qu’il se dirige à bord de la voiture royale vers l’aéroport, pour regagner le Liban au terme de sa visite officielle en Jordanie. Les meurtriers : 4 membres du PSNS. L’un a été neutralisé, un deuxième s’est suicidé et les deux autres ont ensuite été arrêtés, clôturant probablement cette série noire de l’Histoire levantine… jusqu’au coup d’État de 1961, nouvelle action d'envergure menée par le parti (hormis la guerre de 1958) : certains l'ont perçu comme un second putsch manqué du PSNS après les évènements de 1949, et d’autres comme un épisode sans précédent.
La nuit du 30 au 31 Décembre 1961, « deux capitaines de l’armée, avec une dizaine de blindés et 40 soldats », selon la description du grand journaliste libanais feu Édouard Saab, pénètrent dans le bâtiment de la Défense nationale, dans une tentative de s’en emparer. Simultanément, des membres du Parti Syrien National Social (PSNS) kidnappent un à un les officiers supérieurs de l’armée à leurs domiciles. Parallèlement, d’autres militants exécutent leur partie du plan en occupant les autres bâtiments étatiques.
Soixante ans plus tard, on s’en souvient encore comme d'un coup d’État manqué, raté. Quelle est donc la raison de cet échec qui n’était pas forcément annoncé vu le nombre de coups d’États réussis qui ont eu lieu durant les années précédentes dans les pays avoisinants ? La réponse que les historiens retiennent est celle d’une erreur presque de débutant : pour des raisons inconnues, les dissidents n'ont pas mis la main sur le siège de la radio, outil majeur qu’il aurait fallu utiliser pour menacer et informer la population que le mandat du président Fouad Chéhab était terminé et que le Liban officiel est tombé aux mains des pro-syriens. Ou plus précisément aux mains des partisans de cette idée pansyrienne selon laquelle le Liban serait, au même titre que la Palestine, la Jordanie, l’Iraq ou même Chypre, l’une des composantes d’un seul et même État levantin arabe : la Grande Syrie.
Reprise par Wikipédia du site de la faction de Homs du PSNS
À cette époque, le nom du Parti syrien national social était encore traduit Parti populaire syrien (PPS), nom qui avait été très ironiquement choisi non pas par la presse francophone libanaise mais par les Français auxquels le parti était, de par sa nature, totalement opposé. Ce parti laïc a été fondé en 1932, sous le mandat français, par Antoun Saadé, en réaction aux accords Sykes-Picot de 1916 qu’il jugeait désastreux, et sur le fondement de cette idée chimérique d’une grande nation syrienne. Parti mais également milice, son bras armé compterait aujourd’hui quelques milliers de membres prêts au combat (et qui auraient d’ailleurs participé à la guerre civile syrienne). Mais revenons à notre sujet.
Fin décembre 1961, le coup d’État a lieu, en une nuit – la veille de la Saint-Sylvestre ; et il échoue lamentablement. La radio n’a pas été prise pour des raisons incompréhensibles malgré l’accès pourtant très facile au nouveau bâtiment de la radio. Néanmoins, les autorités sont alertées car le mouvement est important et ne peut leur échapper. Depuis le Palais présidentiel de Baabda, Fouad Chéhab use de son expérience d’ancien général de l’armée et commande la contre-attaque. Il peut s’appuyer certes sur la police et sur le reste de l’armée, mais aussi en ayant recours au Deuxième Bureau qui, à partir de ce point, se verra investi de pouvoirs démesurés et peu respectueux des libertés publiques et autres « contraintes » légales, comme le droit à la défense.
En quelques jours, le sort du PSNS est, une fois de plus dans son histoire, scellé. Le parti est officiellement interdit et dissout, 50 militants sont tués dans des affrontements avec les forces de l’ordre, 3500 autres partisans sont arrêtés et incarcérés pour certains jusqu’à l’amnistie de 1969. Pour Yara El Khoury, docteur en Histoire, chercheur et chargée de cours à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le coup d’État manqué de 1961 ne saurait être dissocié du contexte historique global dans le monde arabe. Et ce contexte est particulièrement mouvementé en raison d’une série de coups d’État qui commence en Syrie dès 1949 et se poursuit à travers notamment l’Égypte (1952) et l’Iraq (1958). « 1961 est également l’année de l’infissal, qui marque la fin de l’expérience de la République Arabe Unie qui unissait la Syrie à l’Égypte », souligne l’universitaire.
Comme un remous de l’Histoire ?
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C’est dans ce cadre qu’il faut préciser que le coup d’État du 30-31 décembre n’était pas, pour certains, le premier « putsch » organisé par le PSNS. D’autres estiment le contraire et soulignent que donner au PSNS le mérite d’avoir secoué deux fois l’État libanais reviendrait à gonfler son importance et serait beaucoup trop démesuré au regard des preuves historiques. Le point de discorde est le suivant : pour les premiers, douze ans plus tôt, en 1949, son leader Antoun Saadé avait déjà mené une insurrection contre le gouvernement de Riad el-Solh ; pour les seconds, il s’agissait de rixes entre le PSNS et les Kataëb à la suite desquelles les deux partis sont interdits.
Ce sont préalablement des perquisitions faites au siège du PSNS qui auraient mis à jour des documents faisant état d’une tentative de putsch. Aussitôt, des milliers de ses partisans sont arrêtés et Saadé fuit pour Damas. Mais le nouveau président syrien Husni el-Zaïm, qui vient de renverser Chucri Kouwatli et qui avait promis l’asile à Saadé, trahit cette promesse et le livre aux autorités libanaises à la demande du Premier ministre Solh, qui réclame son extradition. Dans une grande rapidité et sans accommodation des garanties de justice usuelles, le leader du PSNS est jugé devant le tribunal militaire libanais et condamné à mort en tant que traitre à la nation. L’évènement est vécu par beaucoup comme une injustice flagrante, et par d’autres comme une victoire de l’ordre sur le promoteur d’une idéologie aux antipodes de la nation libanaise.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais les représailles des nationalistes syriens ne se sont pas fait attendre ; elles furent double et sans pitié pour les gouvernements libanais et syrien, visés en plein cœur. D’une part, en août 1949, le président Husni el-Zaïm se fait froidement abattre en plein palais présidentiel par un groupe mené par nul autre que l’un de ses amis, Sami al-Hinnawi, qui avait d’ailleurs lui-même préparé le coup d’État ayant permis à Zaïm son accession au pouvoir ! Le motif de cet acte est clair et assumé : venger la mort d’Antoun Saadé. Et ce n’est pas tout, car deux ans plus tard, en juillet 1951, c’est le Premier ministre Riad el-Solh qui se fait assassiner par balles à Amman alors qu’il se dirige à bord de la voiture royale vers l’aéroport, pour regagner le Liban au terme de sa visite officielle en Jordanie. Les meurtriers : 4 membres du PSNS. L’un a été neutralisé, un deuxième s’est suicidé et les deux autres ont ensuite été arrêtés, clôturant probablement cette série noire de l’Histoire levantine… jusqu’au coup d’État de 1961, nouvelle action d'envergure menée par le parti (hormis la guerre de 1958) : certains l'ont perçu comme un second putsch manqué du PSNS après les évènements de 1949, et d’autres comme un épisode sans précédent.
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