La question qui, en lettres rouges s’étale sur la couverture, est celle de l’effrayante injustice du sort frappant toujours ses victimes à l’aveugle. Lorsque le 22 février 2023, Agnès Lassalle, professeure d’espagnol à Saint-Jean-de-Luz est poignardée à mort par l’un de ses élèves, c’est la sidération la plus totale. Dans la presse, les témoignages affluent: on loue la gentillesse de l’enseignante, son dévouement sans borne à son métier. Le meurtre paraît d’autant plus odieux que la victime était un parangon de vertu. Si au regard du droit, un crime reste un crime, peu importe la moralité de la victime, l’esprit humain ne peut s’empêcher de rechercher des causalités. N’entend-on pas dire quelquefois de telle victime qu’au fond, elle l’aurait «un peu cherché»? Cette quête de responsabilités apparaît comme un garde-fou mental, visant à rassurer les honnêtes gens. Si vous ne faites rien de mal, il ne pourra rien vous arriver de fâcheux. Pourtant, force est de constater que la réalité apporte continuellement des contre-exemples qui viennent mettre à mal ce principe.
La littérature pour dire l’indicible
Frédérique Leichter-Flack enseigne les humanités politiques et la littérature à Sciences Po, Paris. En pleine pandémie de Covid-19, elle a proposé à ses étudiants un cours sur le problème du mal dans la littérature. Un thème qui, dans le contexte, trouvait une résonance toute particulière:
Au moment où la mort n’avait jamais mieux mérité son nom de grande faucheuse, cueillant une vie ici, une autre là, de très vieilles questions nous revenaient en pleine figure avec une vigueur nouvelle. Nous vivions dans un monde sans Dieu, nous avions donné congé à la Providence, mais voilà que le problème de la théodicée – comment un Dieu bon et tout-puissant peut-Il laisser exister le mal? – nous réinterpelait soudain.
Le plus ancien exemple de cette injuste rétribution des bonnes actions est exposé dans l’Ancien Testament. Les premiers chapitres de l’essai analysent en effet la figure biblique de Job. Du jour au lendemain, cet homme pieux et intègre est dépouillé de tout ce qu’il possède: sa maison, ses troupeaux, sa femme et ses enfants… La cause de ce malheur hors du commun? Une insinuation glissée par Satan comme quoi il est facile d’être bon, lorsque tout dans la vie nous sourit. Dieu veut prouver à son adversaire qu’il a tort. Le malheur inexplicable qui frappe Job a valeur de test.
Ce livre, c’est une expérience morale, pour le personnage et ses amis dans le temps de la fiction, bien sûr, mais aussi et surtout pour chacun d’entre nous dans le temps de la lecture. L’arbitre c’est nous. Cet homme il faut le regarder souffrir.
Une invitation à redécouvrir des classiques
Frédérique Leichter-Flack aime la littérature et sa passion est communicative. Dans une langue simple et imagée, convoquant volontiers des exemples contemporains pour mieux nous aider à cerner les enjeux des œuvres du passé, son plus grand mérite est peut-être de nous donner envie de nous replonger dans ces textes mêmes: Le Roi Lear, Les Frères Karamazov, ou la cruelle nouvelle de Maupassant Coco qui sert d’introduction à l’essai. Certaines œuvres font l’objet d’examens approfondis, tandis que d’autres sont brièvement évoquées, mais à chaque fois, la même envie étreint le lecteur curieux de lire ou relire des livres qu’il n’aurait peut-être pas songé à poser sur sa table de chevet. Qu’elles datent de l’Antiquité ou qu’elles soient plus contemporaines, à l’instar de Némesis de Philip Roth qui interroge le sujet de la mort des enfants, ces œuvres gardent une profonde acuité, preuve que la littérature transcende les époques.
Pourquoi la mal frappe les gens bien? illustre à merveille la formule d’Italo Calvino selon laquelle «un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire.» La fiction aide à comprendre le réel et c’est la force des grands auteurs de savoir trouver les mots justes pour nommer les grandes interrogations qui continuent de hanter l’humanité.
Jean-Philippe Guirado
Pourquoi la mal frappe les gens bien? de Frédérique Leichter-Flack, Flammarion, 2023, 208 p.
Ce texte a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
La littérature pour dire l’indicible
Frédérique Leichter-Flack enseigne les humanités politiques et la littérature à Sciences Po, Paris. En pleine pandémie de Covid-19, elle a proposé à ses étudiants un cours sur le problème du mal dans la littérature. Un thème qui, dans le contexte, trouvait une résonance toute particulière:
Au moment où la mort n’avait jamais mieux mérité son nom de grande faucheuse, cueillant une vie ici, une autre là, de très vieilles questions nous revenaient en pleine figure avec une vigueur nouvelle. Nous vivions dans un monde sans Dieu, nous avions donné congé à la Providence, mais voilà que le problème de la théodicée – comment un Dieu bon et tout-puissant peut-Il laisser exister le mal? – nous réinterpelait soudain.
Le plus ancien exemple de cette injuste rétribution des bonnes actions est exposé dans l’Ancien Testament. Les premiers chapitres de l’essai analysent en effet la figure biblique de Job. Du jour au lendemain, cet homme pieux et intègre est dépouillé de tout ce qu’il possède: sa maison, ses troupeaux, sa femme et ses enfants… La cause de ce malheur hors du commun? Une insinuation glissée par Satan comme quoi il est facile d’être bon, lorsque tout dans la vie nous sourit. Dieu veut prouver à son adversaire qu’il a tort. Le malheur inexplicable qui frappe Job a valeur de test.
Ce livre, c’est une expérience morale, pour le personnage et ses amis dans le temps de la fiction, bien sûr, mais aussi et surtout pour chacun d’entre nous dans le temps de la lecture. L’arbitre c’est nous. Cet homme il faut le regarder souffrir.
Une invitation à redécouvrir des classiques
Frédérique Leichter-Flack aime la littérature et sa passion est communicative. Dans une langue simple et imagée, convoquant volontiers des exemples contemporains pour mieux nous aider à cerner les enjeux des œuvres du passé, son plus grand mérite est peut-être de nous donner envie de nous replonger dans ces textes mêmes: Le Roi Lear, Les Frères Karamazov, ou la cruelle nouvelle de Maupassant Coco qui sert d’introduction à l’essai. Certaines œuvres font l’objet d’examens approfondis, tandis que d’autres sont brièvement évoquées, mais à chaque fois, la même envie étreint le lecteur curieux de lire ou relire des livres qu’il n’aurait peut-être pas songé à poser sur sa table de chevet. Qu’elles datent de l’Antiquité ou qu’elles soient plus contemporaines, à l’instar de Némesis de Philip Roth qui interroge le sujet de la mort des enfants, ces œuvres gardent une profonde acuité, preuve que la littérature transcende les époques.
Pourquoi la mal frappe les gens bien? illustre à merveille la formule d’Italo Calvino selon laquelle «un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire.» La fiction aide à comprendre le réel et c’est la force des grands auteurs de savoir trouver les mots justes pour nommer les grandes interrogations qui continuent de hanter l’humanité.
Jean-Philippe Guirado
Pourquoi la mal frappe les gens bien? de Frédérique Leichter-Flack, Flammarion, 2023, 208 p.
Ce texte a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
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