Du moins peuvent-ils s’aimer. Ils ont à peine vingt ans. À les voir allongés sur l’herbe humide de rosée, une tête blonde reposant sur une épaule carrée, le monde cesse soudain d’être un cachot affreux. Autour d’eux, le printemps naissant s’impose dans toute sa splendeur. Les amandiers sont en fleurs, les champs sont jonchés de primevères et de cyclamens sous un ciel bleu glacé que fendent des vols d’hirondelles synchronisés. Il est difficile de croire que cette nature éblouissante de beauté soit nichée dans un pays rouillé, tel un bijou dans un écrin effrité. Il est difficile de croire que la nation où la mer et le ciel se confondent, où les vagues écumées épousent les flancs enneigés, abrite autant de misère et de pourriture.
Autour de ce couple aux doigts entrelacés qui irradie de jeunesse et espère un avenir à la hauteur de ses rêves, il est un pays entier dont le cœur cesse de battre. Un Liban qui s’effondre sur tous les plans et qui emporte dans son sillage toute motivation de lutter, tout espoir de se relever. Les foyers se vident de leurs jeunes, voire de familles entières en quête de nouvelles patries où elles vivraient en dignité. Les liens sociaux se disloquent. La société, jadis fêtarde, désormais en voie de paupérisation, se recroqueville sur elle-même. Chacun se réfugie dans son cocon, quoique mal éclairé, mal réchauffé, mal décoré. Qui oserait de surcroît s’aventurer dehors en des temps pareils, surtout à la tombée de la nuit, quand les rues plongées dans le noir absolu deviennent des venelles propices au crime, au viol et au vol? Qui viendrait à la rescousse des victimes dans un État qui prône l’impunité, où les décisions sont prises pour assouvir des intérêts personnels au risque de diviser un peuple déjà craquelé? Même la population qui s’est toujours vantée de sa solidarité se refoule dans une position fœtale de détresse. Elle est trop hébétée pour voler au secours des joggeuses agressées et violées, pour sauver des femmes battues et assassinées au nom de « l’honneur familial». Elle est trop dépressive pour se révolter contre les lois archaïques et sexistes, trop passive pour agir contre la corruption et la violation des droits, pour s’élever contre le monopole du pouvoir et l’effondrement financier et économique de toute une nation.
Que reste-t-il dans ce pays pour alimenter l’espérance ? Pour que les jeunes – comme ce couple amoureux – et les moins jeunes puissent sortir de ce dédale infernal et se promener dans les prés verdoyants, insouciants et libres, et non comme des esprits errants? Libres et libérés de leurs angoisses et de l’humiliation qui leur nouent la gorge et l’estomac chaque matin en pensant à leurs soucis quotidiens? Pas grand-chose sans doute.
Alors autant profiter du soleil qui ne manque jamais de se lever à l’heure où blanchit l’horizon. Autant apprécier l’amitié sincère et nos cercles restreints, mais authentiques, qui nous forcent à garder la foi en l’espèce humaine. Autant chérir les conversations tantôt profondes tantôt frivoles qui enrichissent notre monde intérieur et mettent du baume à nos cœurs blessés. Autant remercier les mains discrètes qui se tendent généreusement vers les foyers qui peinent à subvenir à leurs besoins, vers les gens qui n'ont plus aucun recours. Autant louer les organisations et les associations qui éclairent les boulevards obscurs, organisent les évènements sportifs et culturels, lancent les campagnes de sensibilisation contre les fléaux sociaux et sociétaux et luttent sans merci contre toutes sortes de crimes et d’exactions. Autant honorer le corps médical et hospitalier qui se sacrifie pour pallier le manque de soins et de médicaments dans un secteur qui faisait la renommée de la nation. Autant admirer les entrepreneurs et les restaurateurs qui investissent toujours dans le pays et croient à un avenir florissant pour les affaires. Autant applaudir les artistes qui ne renoncent pas aux expositions, aux concerts et aux planches, parce que leur art refuse de mourir à petit feu, parce que leur créativité ne saurait être domptée. Autant célébrer les écrivains et les poètes qui éveillent nos émotions et nous font sentir vivants sur cette terre où la mort tente de planter son drapeau noir. Autant couvrir de tendresse ces mères qui continuent de se mettre aux fourneaux et lâchent bride à leurs talents culinaires pour préserver les réunions familiales autour des tablées, même quand les moyens sont modestes, même quand la crise limite les dépenses. Autant admirer les lèvres qui continuent de sourire, les corps qui continuent de danser, les mains qui donnent sans compter et les cœurs qui répandent l’amour inconditionnel.
Ce sont les flambeaux qui éclairent la voie quand les plafonds du désespoir menacent de nous écraser. Ce sont les porteurs d’espoir qui donnent sens à notre vie quand l’édifice des valeurs, des principes et de l’humanisme risquent de s’écrouler. À leurs lumières, nos cœurs reconnaissants.
Autour de ce couple aux doigts entrelacés qui irradie de jeunesse et espère un avenir à la hauteur de ses rêves, il est un pays entier dont le cœur cesse de battre. Un Liban qui s’effondre sur tous les plans et qui emporte dans son sillage toute motivation de lutter, tout espoir de se relever. Les foyers se vident de leurs jeunes, voire de familles entières en quête de nouvelles patries où elles vivraient en dignité. Les liens sociaux se disloquent. La société, jadis fêtarde, désormais en voie de paupérisation, se recroqueville sur elle-même. Chacun se réfugie dans son cocon, quoique mal éclairé, mal réchauffé, mal décoré. Qui oserait de surcroît s’aventurer dehors en des temps pareils, surtout à la tombée de la nuit, quand les rues plongées dans le noir absolu deviennent des venelles propices au crime, au viol et au vol? Qui viendrait à la rescousse des victimes dans un État qui prône l’impunité, où les décisions sont prises pour assouvir des intérêts personnels au risque de diviser un peuple déjà craquelé? Même la population qui s’est toujours vantée de sa solidarité se refoule dans une position fœtale de détresse. Elle est trop hébétée pour voler au secours des joggeuses agressées et violées, pour sauver des femmes battues et assassinées au nom de « l’honneur familial». Elle est trop dépressive pour se révolter contre les lois archaïques et sexistes, trop passive pour agir contre la corruption et la violation des droits, pour s’élever contre le monopole du pouvoir et l’effondrement financier et économique de toute une nation.
Que reste-t-il dans ce pays pour alimenter l’espérance ? Pour que les jeunes – comme ce couple amoureux – et les moins jeunes puissent sortir de ce dédale infernal et se promener dans les prés verdoyants, insouciants et libres, et non comme des esprits errants? Libres et libérés de leurs angoisses et de l’humiliation qui leur nouent la gorge et l’estomac chaque matin en pensant à leurs soucis quotidiens? Pas grand-chose sans doute.
Alors autant profiter du soleil qui ne manque jamais de se lever à l’heure où blanchit l’horizon. Autant apprécier l’amitié sincère et nos cercles restreints, mais authentiques, qui nous forcent à garder la foi en l’espèce humaine. Autant chérir les conversations tantôt profondes tantôt frivoles qui enrichissent notre monde intérieur et mettent du baume à nos cœurs blessés. Autant remercier les mains discrètes qui se tendent généreusement vers les foyers qui peinent à subvenir à leurs besoins, vers les gens qui n'ont plus aucun recours. Autant louer les organisations et les associations qui éclairent les boulevards obscurs, organisent les évènements sportifs et culturels, lancent les campagnes de sensibilisation contre les fléaux sociaux et sociétaux et luttent sans merci contre toutes sortes de crimes et d’exactions. Autant honorer le corps médical et hospitalier qui se sacrifie pour pallier le manque de soins et de médicaments dans un secteur qui faisait la renommée de la nation. Autant admirer les entrepreneurs et les restaurateurs qui investissent toujours dans le pays et croient à un avenir florissant pour les affaires. Autant applaudir les artistes qui ne renoncent pas aux expositions, aux concerts et aux planches, parce que leur art refuse de mourir à petit feu, parce que leur créativité ne saurait être domptée. Autant célébrer les écrivains et les poètes qui éveillent nos émotions et nous font sentir vivants sur cette terre où la mort tente de planter son drapeau noir. Autant couvrir de tendresse ces mères qui continuent de se mettre aux fourneaux et lâchent bride à leurs talents culinaires pour préserver les réunions familiales autour des tablées, même quand les moyens sont modestes, même quand la crise limite les dépenses. Autant admirer les lèvres qui continuent de sourire, les corps qui continuent de danser, les mains qui donnent sans compter et les cœurs qui répandent l’amour inconditionnel.
Ce sont les flambeaux qui éclairent la voie quand les plafonds du désespoir menacent de nous écraser. Ce sont les porteurs d’espoir qui donnent sens à notre vie quand l’édifice des valeurs, des principes et de l’humanisme risquent de s’écrouler. À leurs lumières, nos cœurs reconnaissants.
Lire aussi
Commentaires