Lettres à Beyrouth, juste après - (38) Off Cam
Des morceaux de nous.
Et derrière les portes effritées, tout un vécu.
Le grand mur s’effondre.
Aucune empathie.
Encore un moment, encore un instant, encore une dernière fois, la permission -!- de poser son regard sur le dernier cadavre, notre âme, parmi ces cloisons, ces gisements au sol, ces grains de poussière... encore une fois !
Non. Le mal est fait. (N’en parlons plus.) Mais le droit à l’adieu, en toute discrétion !
Non.
Tout est insolite. Tout est insolent.
Comme une volonté nouvelle de reconstruction -nouvelle aussi-.
Et avec chaque débris ramassé un fragment, une graine, une odeur de moins.
Tout est balayé.
Et dire que nous aurions pu seulement toucher du doigt... notre dépouille.
Rien ne reste.
Nos souvenirs vivants même s’effondrent avec le ciel au-dessus des toits.
Tout se meurt.... sauf les rois du monde. Et plus de vie après.
Hier encore, nos visages avaient des noms. Et ils riaient sous ce même soleil. Hier encore, on le regardait dans les yeux.
Au matin, sous un projecteur, la matière renaît au grand jour. Sous les encouragements de ceux qui voient trouble.
Plus de larmes au coin du sourire.
Plus de tiroirs. Plus d’armoire. Aucune armure. Et un autre génocide. Un génocide atroce, celui de la mémoire.
Plus une photo d’hier. Plus un mot.
À comprendre pourquoi nos livres d’Histoire sont si imparfaits !
Massacreurs d’archives. Nos tombes sont bâties à coups de silence, celui de vos après. Et dire que nos semences vous avaient créé toutes vos étoiles. Nos nuits sont blanches à contempler la fausseté de vos lauriers, à observer les dernières palpitations de nos cœurs et la danse de vos vautours qui sonne si faux.
Un peu plus tard, on ne parlera plus. Que de vous. Jusqu’à ce que l’orgueil même se lasse de vous gonfler. Jusqu’à en éclater. Tout passe en revue. Nos lourdes échelles portées sans mot dire. Les charrues qu’on avait traînées. Les fidèles silhouettes de nos fantômes d’hier.

Chaque bribe de nos souvenirs nous ramène la première pierre angulaire... et puis vos chapiteaux, vos écriteaux, et vos cravates d’hommes sérieux.
Assassins de nos ombres, monstres imbus de lumière. Mille-pattes, vous avez tout visité, tout écrasé, tout piétiné.
Tout tombe. Et nous aussi...
Tout tombe.
Jusqu’au premier réflexe.
Jusqu’au dernier neurone.
Et quelque part, sous une pierre, dans la flamme timide d’une bougie, l’histoire, l’Histoire, la vérité, la vraie.
Mais elle aussi est silencieuse.
Elle aussi est blessée. À mort.
Pour que vivent les rois.
Vive le roi.
Révérence.
Beyrouth.

 

 

 

 

 
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