Les forces du général al-Burhane poursuivent leur répression contre les manifestants, quatre personnes sont mortes ce jeudi. Le Soudan, carrefour stratégique, est influencé par l’Égypte et convoité par la Russie et la Chine qui ont des ambitions stratégiques. Marc Lavergne, expert du Soudan et directeur de recherche au CNRS, est revenu sur la situation globale pour Ici Beyrouth.
Arrestations, rafles, viols contre les femmes, médias attaqués et pays coupé du monde, voici en quelques mots la situation chaotique qui règne actuellement au Soudan, pays qui s’est libéré du dictateur Omar el-Béchir, en 2019. Mais depuis le 25 octobre, le général al-Burhane a repris les rênes du pays lors d’un coup d’État faisant craindre à un retour total du pouvoir militaire. De son côté, le général assure conduire le pays vers un gouvernement civil à la fin 2023, lors des prochaines élections.
Quel est le profil d’Abdel Fatah al-Burhane, son parcours, ses soutiens, et comment est-il arrivé là ?
Marc Lavergne : C’est un officier d’active et chef d’État-major des forces terrestres. Il a été formé en Égypte, où il a eu de nombreux contacts avec l’armée égyptienne. Il n’a pas fait beaucoup parler de lui dans le passé mais a participé aux conflits armés avec le Soudan du Sud et lors de la guerre au Darfour. Lors de son coup d’État, il a tout de suite repris le dialogue avec le parti Oumma, qui est le parti légitimiste historique du Soudan, présidé par Fadlallah Burmah, qui est l’ex-chef d’État-major de l’armée. De ce point de vue, avec les forces traditionnalistes, confrériques et islamiques, il est certainement bien vu. Il a également fait rentrer des chefs rebelles du Darfour, ceux-ci étaient partie prenante de la révolution de 2019 mais ils visent désormais le pouvoir, avec le parti de la Justice et de l’Égalité. Des personnages qui ont trahi la révolution lui ont permis de prendre le pouvoir en octobre 2020.
Pour quelles raisons le Premier ministre Abdallah Hamdok a-t-il scellé un accord avec le général al-Burhane, cela signifie-t-il qu’un retour à l’ancien régime est irrémédiable ?
Hamdok a accepté de revenir au pouvoir dans les fourgons de l’armée, d’une part parce qu’il a reçu des assurances extérieures, notamment des Etats-Unis et de la France. Et aussi, il dit avoir opéré ce mouvement pour éviter un bain de sang. Comme la population continuait de manifester et que l’armée tirait dessus à balles réelles, les morts étaient recensés au quotidien. Il a accepté de jouer ce rôle qui lui est reproché. Finalement, Hamdok est aujourd’hui soumis à l’armée. Il était assigné à résidence jusqu’il y a peu et n’est plus vraiment Premier ministre, il est chargé d’appliquer ce que les militaires veulent. Les militaires n’ont pas pu faire ce qu’ils voulaient car les américains leurs ont dit « attention, nous couperons le robinet financier ». Même son de cloche de la part du FMI et de la France, qui a entrainé l’Europe derrière elle pour bloquer les militaires.
A quel degré les pays voisins et les grandes puissances influencent-ils le processus en cours au Soudan?
L’Égypte soutient le régime militaire à fond, et l’armée égyptienne est aussi présente au Soudan pour attaquer l’Ethiopien, pour faire tomber Abi Ahmed en proie aux combats avec son opposition, le TPLF (rebelles tigréens). Aucun pays voisin ne souhaite la démocratie au Soudan : ni les saoudiens, ni les émiriens, ni les égyptiens. La Russie soutient les militaires au pouvoir ainsi que les forces de déploiement rapide soudanaises. Il n’y a pas que les civils et l’armée, il y a cette troisième force constituée de mercenaires qui exploitent des mines d’or. Ces forces de déploiement rapide sont plus puissantes, mieux entraînées et plus riches que l’armée. La Russie est présente en Libye où elle soutient le maréchal Haftar et en Centrafrique. Poutine a une politique africaine qu’il veut déployer au détriment de la France. Poutine passe par le Darfour en faisant passer les forces paramilitaires du groupe Wagner dont on a beaucoup parlé. Wagner entretient ces mercenaires soudanais qui tiennent le pays.
Trois ans après la révolution contre le régime d’Omar el-Béchir, quelles perspectives économiques et politiques s’offrent aux soudanais?
La situation est catastrophique, la monnaie s’est effondrée et les pénuries continues, le pays est exsangue. Pour l’armée, ce retour lui permet de rétablir ses privilèges et ses trafics financiers. Elle pompe les ressources du pays : 80% du budget lui est consacré, alors que l’armée ne s’est jamais battue contre une force extérieure, mais contre les soudanais.
La situation est désespérante, c’est aussi pour ça que les jeunes se battent pour ne pas lâcher prise. Les manifestants ne veulent pas du retour de l’armée, ni que leur pays devienne un réservoir de ressources partagés entre les Occidentaux et le Golfe. C’est-à-dire un pays exploité et pillé de ses richesses naturelles, agricoles et minières. Nous assistons au retour du dépouillement de l’Afrique au niveau mondial. Les Chinois sont présents, de même que les Russes. La puissance coloniale n’a pas été très présente au Soudan par le passé, c’est donc un pays « ouvert » aux Chinois, aux Russes et aux Occidentaux.
Les instances internationales demandent aux soudanais de rembourser 60 milliards de dollars de dette dont ils n’ont pas vu la couleur, c’est l’armée qui a acheté du matériel et qui menait un train de vie luxueux. La caste privilégiée des militaires a tiré profit de cette manne. La « chance » relative des soudanais est que l’Occident ne veut pas lâcher le Soudan de peur qu’il tombe dans les mains des Chinois et des Russes. Les américains et les occidentaux essaient de maintenir un cap avec les armes des démocraties, qui sont évidemment toujours plus faibles que celles des dictatures dans cette région. Les Européens influencent les dirigeants du Golfe pour leur dire « allez-y doucement sur le Soudan ». C’est cette petite fenêtre d’espoir sur laquelle le peuple soudanais peut compter.
Les groupes politiques soudanais sont très hétéroclites : il y a des islamistes, des démocrates laïques, des partis communistes, socialistes, etc. S’ils sont tous d’accord contre le retour de l’armée soudanaise au pouvoir, ils ont des intérêts aussi différents. Le peuple est divisé et la petite bourgeoisie compte sur le commerce d’import-export ; ceux-ci possèdent de grandes fermes et vendent du bétail de qualité vers l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe. Ce pays a beaucoup de potentiel mais est victime de ce grand jeu régional et mondial. Les pays voisins se partagent le Soudan à l’heure actuelle.
Arrestations, rafles, viols contre les femmes, médias attaqués et pays coupé du monde, voici en quelques mots la situation chaotique qui règne actuellement au Soudan, pays qui s’est libéré du dictateur Omar el-Béchir, en 2019. Mais depuis le 25 octobre, le général al-Burhane a repris les rênes du pays lors d’un coup d’État faisant craindre à un retour total du pouvoir militaire. De son côté, le général assure conduire le pays vers un gouvernement civil à la fin 2023, lors des prochaines élections.
Quel est le profil d’Abdel Fatah al-Burhane, son parcours, ses soutiens, et comment est-il arrivé là ?
Marc Lavergne : C’est un officier d’active et chef d’État-major des forces terrestres. Il a été formé en Égypte, où il a eu de nombreux contacts avec l’armée égyptienne. Il n’a pas fait beaucoup parler de lui dans le passé mais a participé aux conflits armés avec le Soudan du Sud et lors de la guerre au Darfour. Lors de son coup d’État, il a tout de suite repris le dialogue avec le parti Oumma, qui est le parti légitimiste historique du Soudan, présidé par Fadlallah Burmah, qui est l’ex-chef d’État-major de l’armée. De ce point de vue, avec les forces traditionnalistes, confrériques et islamiques, il est certainement bien vu. Il a également fait rentrer des chefs rebelles du Darfour, ceux-ci étaient partie prenante de la révolution de 2019 mais ils visent désormais le pouvoir, avec le parti de la Justice et de l’Égalité. Des personnages qui ont trahi la révolution lui ont permis de prendre le pouvoir en octobre 2020.
Pour quelles raisons le Premier ministre Abdallah Hamdok a-t-il scellé un accord avec le général al-Burhane, cela signifie-t-il qu’un retour à l’ancien régime est irrémédiable ?
Hamdok a accepté de revenir au pouvoir dans les fourgons de l’armée, d’une part parce qu’il a reçu des assurances extérieures, notamment des Etats-Unis et de la France. Et aussi, il dit avoir opéré ce mouvement pour éviter un bain de sang. Comme la population continuait de manifester et que l’armée tirait dessus à balles réelles, les morts étaient recensés au quotidien. Il a accepté de jouer ce rôle qui lui est reproché. Finalement, Hamdok est aujourd’hui soumis à l’armée. Il était assigné à résidence jusqu’il y a peu et n’est plus vraiment Premier ministre, il est chargé d’appliquer ce que les militaires veulent. Les militaires n’ont pas pu faire ce qu’ils voulaient car les américains leurs ont dit « attention, nous couperons le robinet financier ». Même son de cloche de la part du FMI et de la France, qui a entrainé l’Europe derrière elle pour bloquer les militaires.
A quel degré les pays voisins et les grandes puissances influencent-ils le processus en cours au Soudan?
L’Égypte soutient le régime militaire à fond, et l’armée égyptienne est aussi présente au Soudan pour attaquer l’Ethiopien, pour faire tomber Abi Ahmed en proie aux combats avec son opposition, le TPLF (rebelles tigréens). Aucun pays voisin ne souhaite la démocratie au Soudan : ni les saoudiens, ni les émiriens, ni les égyptiens. La Russie soutient les militaires au pouvoir ainsi que les forces de déploiement rapide soudanaises. Il n’y a pas que les civils et l’armée, il y a cette troisième force constituée de mercenaires qui exploitent des mines d’or. Ces forces de déploiement rapide sont plus puissantes, mieux entraînées et plus riches que l’armée. La Russie est présente en Libye où elle soutient le maréchal Haftar et en Centrafrique. Poutine a une politique africaine qu’il veut déployer au détriment de la France. Poutine passe par le Darfour en faisant passer les forces paramilitaires du groupe Wagner dont on a beaucoup parlé. Wagner entretient ces mercenaires soudanais qui tiennent le pays.
Trois ans après la révolution contre le régime d’Omar el-Béchir, quelles perspectives économiques et politiques s’offrent aux soudanais?
La situation est catastrophique, la monnaie s’est effondrée et les pénuries continues, le pays est exsangue. Pour l’armée, ce retour lui permet de rétablir ses privilèges et ses trafics financiers. Elle pompe les ressources du pays : 80% du budget lui est consacré, alors que l’armée ne s’est jamais battue contre une force extérieure, mais contre les soudanais.
La situation est désespérante, c’est aussi pour ça que les jeunes se battent pour ne pas lâcher prise. Les manifestants ne veulent pas du retour de l’armée, ni que leur pays devienne un réservoir de ressources partagés entre les Occidentaux et le Golfe. C’est-à-dire un pays exploité et pillé de ses richesses naturelles, agricoles et minières. Nous assistons au retour du dépouillement de l’Afrique au niveau mondial. Les Chinois sont présents, de même que les Russes. La puissance coloniale n’a pas été très présente au Soudan par le passé, c’est donc un pays « ouvert » aux Chinois, aux Russes et aux Occidentaux.
Les instances internationales demandent aux soudanais de rembourser 60 milliards de dollars de dette dont ils n’ont pas vu la couleur, c’est l’armée qui a acheté du matériel et qui menait un train de vie luxueux. La caste privilégiée des militaires a tiré profit de cette manne. La « chance » relative des soudanais est que l’Occident ne veut pas lâcher le Soudan de peur qu’il tombe dans les mains des Chinois et des Russes. Les américains et les occidentaux essaient de maintenir un cap avec les armes des démocraties, qui sont évidemment toujours plus faibles que celles des dictatures dans cette région. Les Européens influencent les dirigeants du Golfe pour leur dire « allez-y doucement sur le Soudan ». C’est cette petite fenêtre d’espoir sur laquelle le peuple soudanais peut compter.
Les groupes politiques soudanais sont très hétéroclites : il y a des islamistes, des démocrates laïques, des partis communistes, socialistes, etc. S’ils sont tous d’accord contre le retour de l’armée soudanaise au pouvoir, ils ont des intérêts aussi différents. Le peuple est divisé et la petite bourgeoisie compte sur le commerce d’import-export ; ceux-ci possèdent de grandes fermes et vendent du bétail de qualité vers l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe. Ce pays a beaucoup de potentiel mais est victime de ce grand jeu régional et mondial. Les pays voisins se partagent le Soudan à l’heure actuelle.
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