Annie Ernaux, remarquable écrivaine française et première lauréate française du prestigieux prix Nobel de littérature, inscrit une fois de plus son nom dans les annales de l'histoire littéraire. Elle devient ainsi la première auteure non antillaise à voir son œuvre publiée en créole de son vivant. Son roman à succès La Place, couronné du prix Renaudot en 1984, sera désormais accessible aux lecteurs créolophones grâce à sa parution chez Caraïbéditions sous le titre évocateur de Plas-la.
Hector Poullet, écrivain guadeloupéen, célèbrera ses 85 ans le mercredi 19 avril, jour de la sortie de la traduction créole du roman La Place d'Annie Ernaux, intitulé Plas-la. Pour lui, cet événement représente «un somptueux cadeau d’anniversaire!» Concernant la traduction de l'œuvre d'Ernaux, il confie: «Depuis longtemps, je navigue entre le créole et le français, et vice versa. Traduire Annie Ernaux était un défi stimulant, bien que complexe. Elle possède un style très singulier. Lorsque l'on dit qu'elle écrit simplement, ce n'est pas exact. Son écriture est loin d'être banale.»
Dans La Place, l'autrice dresse un portrait minutieux de ses parents, tenanciers d'un café-épicerie: «Elle était patronne à part entière, en blouse blanche. Lui gardait son bleu pour servir.» En créole, cette description se traduit par: «Manman, abiyé èvè blouz blan a-y si-y, té toutafètman on patwòn. Papa, li té ka gadé blé a travay a-y asi-y pou sèvi moun.» Hector Poullet souligne la difficulté de traduire la diversité des structures de phrases présentes dans La Place, allant des phrases longues aux phrases courtes et nominales; un véritable casse-tête. «Une phrase sans verbe en créole, qui n'est pas du tout une langue passive mais une langue active, ça oblige à ajouter des mots», explique-t-il. L'un de ses regrets en tant que traducteur est de ne pas avoir pu préserver les pronoms «il» et «elle», qui servent souvent à désigner les parents, comme pour instaurer une distance entre la narratrice et eux. En effet, le créole utilise le même pronom personnel pour les deux genres. Il a donc fallu inventer des néologismes pour traduire certains termes français sans équivalent. Par exemple, «C'était l'été» est devenu «Sa té sézon-lété».
La traduction d'Hector Poullet porte ainsi un nouveau regard sur l'œuvre d'Annie Ernaux, enrichissant le paysage littéraire créolophone tout en mettant en lumière les défis et les subtilités du travail de traduction entre ces deux langues foisonnantes.
L'audacieuse initiative de traduire l'œuvre d'Annie Ernaux en créole provient des éditions Gallimard, qui ont précédemment cédé les droits d'auteurs emblématiques de leur catalogue. À la suite de succès tels que Tiprens-la (Le Petit Prince) d'Antoine de Saint-Exupéry et Moun-andéwo (L’Étranger) d'Albert Camus, Caraïbéditions ont réalisé en 2022 la première traduction mondiale, juste avant l'allemand, de Guerre de Louis-Ferdinand Céline, Ladjè-a, sous la plume du Martiniquais Raphaël Confiant. Florent Charbonnier, directeur général de Caraïbéditions, fait part de sa satisfaction: «Cela m'a réjoui que Gallimard propose, car habituellement, c'est l'inverse. Et Annie Ernaux était d'accord, sachant qu'elle a un droit de regard sur tout.»
«J'ai dit oui tout de suite, sans avoir le traducteur. Mais je savais que je le trouverais», ajoute Charbonnier. Le choix du traducteur est primordial. Cet éditeur a appris, lors de la traduction d'Astérix en créole que les lecteurs de langues régionales étaient avant tout attentifs au nom du traducteur. Ce dernier doit faire l'unanimité et maîtriser aussi bien le créole de Guadeloupe que celui de Martinique – Caraïbéditions ont choisi la forme hybride.
Hector Poullet possède un atout supplémentaire: il a grandi en métropole à la même époque qu'Annie Ernaux, qui est de deux ans sa cadette. Les acheteurs traditionnels de ces traductions des classiques de la littérature française sont généralement des étudiants et professeurs en créole, des créolophones curieux et des Antillais qui, bien qu'ils ne lisent pas habituellement dans cette langue, apprécient avoir ce type d'ouvrage dans leur bibliothèque. Les statistiques officielles de 1999 estimaient que les créoles à base française comptaient plus de 10 millions de locuteurs natifs, dont 1,6 million dans l'Outre-mer français. Annie Ernaux, déjà publiée en 42 langues au moment de son prix Nobel il y a six mois, devrait voir ce chiffre atteindre une cinquantaine une fois que tous les projets de traduction en cours auront abouti.
Cette initiative offre aux lecteurs une nouvelle perspective sur l'œuvre d'Annie Ernaux.
Marie-Christine Tayah avec AFP
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Hector Poullet, écrivain guadeloupéen, célèbrera ses 85 ans le mercredi 19 avril, jour de la sortie de la traduction créole du roman La Place d'Annie Ernaux, intitulé Plas-la. Pour lui, cet événement représente «un somptueux cadeau d’anniversaire!» Concernant la traduction de l'œuvre d'Ernaux, il confie: «Depuis longtemps, je navigue entre le créole et le français, et vice versa. Traduire Annie Ernaux était un défi stimulant, bien que complexe. Elle possède un style très singulier. Lorsque l'on dit qu'elle écrit simplement, ce n'est pas exact. Son écriture est loin d'être banale.»
Dans La Place, l'autrice dresse un portrait minutieux de ses parents, tenanciers d'un café-épicerie: «Elle était patronne à part entière, en blouse blanche. Lui gardait son bleu pour servir.» En créole, cette description se traduit par: «Manman, abiyé èvè blouz blan a-y si-y, té toutafètman on patwòn. Papa, li té ka gadé blé a travay a-y asi-y pou sèvi moun.» Hector Poullet souligne la difficulté de traduire la diversité des structures de phrases présentes dans La Place, allant des phrases longues aux phrases courtes et nominales; un véritable casse-tête. «Une phrase sans verbe en créole, qui n'est pas du tout une langue passive mais une langue active, ça oblige à ajouter des mots», explique-t-il. L'un de ses regrets en tant que traducteur est de ne pas avoir pu préserver les pronoms «il» et «elle», qui servent souvent à désigner les parents, comme pour instaurer une distance entre la narratrice et eux. En effet, le créole utilise le même pronom personnel pour les deux genres. Il a donc fallu inventer des néologismes pour traduire certains termes français sans équivalent. Par exemple, «C'était l'été» est devenu «Sa té sézon-lété».
La traduction d'Hector Poullet porte ainsi un nouveau regard sur l'œuvre d'Annie Ernaux, enrichissant le paysage littéraire créolophone tout en mettant en lumière les défis et les subtilités du travail de traduction entre ces deux langues foisonnantes.
L'audacieuse initiative de traduire l'œuvre d'Annie Ernaux en créole provient des éditions Gallimard, qui ont précédemment cédé les droits d'auteurs emblématiques de leur catalogue. À la suite de succès tels que Tiprens-la (Le Petit Prince) d'Antoine de Saint-Exupéry et Moun-andéwo (L’Étranger) d'Albert Camus, Caraïbéditions ont réalisé en 2022 la première traduction mondiale, juste avant l'allemand, de Guerre de Louis-Ferdinand Céline, Ladjè-a, sous la plume du Martiniquais Raphaël Confiant. Florent Charbonnier, directeur général de Caraïbéditions, fait part de sa satisfaction: «Cela m'a réjoui que Gallimard propose, car habituellement, c'est l'inverse. Et Annie Ernaux était d'accord, sachant qu'elle a un droit de regard sur tout.»
«J'ai dit oui tout de suite, sans avoir le traducteur. Mais je savais que je le trouverais», ajoute Charbonnier. Le choix du traducteur est primordial. Cet éditeur a appris, lors de la traduction d'Astérix en créole que les lecteurs de langues régionales étaient avant tout attentifs au nom du traducteur. Ce dernier doit faire l'unanimité et maîtriser aussi bien le créole de Guadeloupe que celui de Martinique – Caraïbéditions ont choisi la forme hybride.
Hector Poullet possède un atout supplémentaire: il a grandi en métropole à la même époque qu'Annie Ernaux, qui est de deux ans sa cadette. Les acheteurs traditionnels de ces traductions des classiques de la littérature française sont généralement des étudiants et professeurs en créole, des créolophones curieux et des Antillais qui, bien qu'ils ne lisent pas habituellement dans cette langue, apprécient avoir ce type d'ouvrage dans leur bibliothèque. Les statistiques officielles de 1999 estimaient que les créoles à base française comptaient plus de 10 millions de locuteurs natifs, dont 1,6 million dans l'Outre-mer français. Annie Ernaux, déjà publiée en 42 langues au moment de son prix Nobel il y a six mois, devrait voir ce chiffre atteindre une cinquantaine une fois que tous les projets de traduction en cours auront abouti.
Cette initiative offre aux lecteurs une nouvelle perspective sur l'œuvre d'Annie Ernaux.
Marie-Christine Tayah avec AFP
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