La classe politique au Liban s’active depuis de longues années déjà dans le registre de la perversion. Cela s’est encore plus accentué après la révolte du 17 octobre 2019, sans qu’elle ne prenne trop la peine de s’en cacher. Que nous donne à observer la conduite des adhérents à ce club kleptocratique?
Des hommes et des femmes arrogants, imbus de leur sentiment de supériorité, s’érigeant en juge et arbitre du bien et du mal, du bon et du mauvais. Leur volonté est d’exercer leur emprise sur les Libanais dont ils nient le statut de sujets désirants, les réduisant à des objets qui doivent être inféodés à leur propre loi par laquelle ils ne se sentent nullement concernés. Dans l’autre, c’est leur propre image qu’ils veulent retrouver, éliminant toute manifestation de l’altérité. Ils n’octroient aux Libanais d’autre alternative que d’être leur propre reflet, soumis à leur désir, sinon c’est le châtiment qui les attend sous différentes formes violentes.
Ces observations nous livrent à profusion les caractéristiques mêmes des pervers narcissiques. Le psychanalyste A. Eiguer les décrit ainsi: «Quand ils sont les dépositaires du pouvoir, les pervers narcissiques ignorent les règles les plus élémentaires de la démocratie relationnelle. Une de leurs ambitions est de vouloir faire table rase de toute pensée autre. Inaugurer une nouvelle ère, fonder une nouvelle morale, tel est leur rêve.» C’est tout à fait le projet que la camarilla libanaise est en train d’exécuter.
Afin de bien comprendre les failles de l’organisation perverse, il est très important de savoir que la toute-puissance affichée du pervers n’est, en réalité, qu’une carapace qui sert à colmater une profonde vulnérabilité. Le pervers narcissique n’existe que par sa dépendance à la servitude volontaire d’autrui. Il déploie toute son énergie à affirmer le contraire, à nier sa propre dépendance, réussissant même à montrer que c’est le contraire qui est vrai, à assurer que c’est sa victime qui est dans cette demande. C’est sa défense absolue car, sans l’autre, il se retrouve vaincu, taraudé par ses propres fêlures conflictuelles.
En raison de la dépendance d’autrui, le pervers parvient à exercer un effet hypnotique sur lui, utilisant tantôt la séduction tantôt la dissuasion ou la terreur. C’est bien cette stratégie qui a été appliquée pour réprimer l’intifada du 17 octobre.
Le pervers au pouvoir se transforme en dictateur qui, dans son absolutisme, ne se réfère à nulle autre vérité qu’à celle qui émerge de sa volonté d’emprise. C’est ce pouvoir hypnotique qui entraîne les foules à l’idéaliser aveuglément, à communier avec «une destinée supérieure» qu’il incarne, représentation dont il se sert pour les mobiliser, les manipuler et engendrer l’obéissance au chef «qui ne se trompe jamais».
Le pervers n’a rien d’un être unifié, entier. Il avance masqué. Il est le champion de la double vie, de la double pensée, du double langage: il peut présenter une conduite extérieure en apparence respectable, prôner des théories moralisatrices et, de l’autre côté, il dissimule des pratiques qui sont tout à fait à l’opposé de ce qu’il montre ou déclare. P. Racamier écrit que «pour lui, un mensonge réussi compte comme une vérité».
Les exemples de leurs pratiques mensongères sont nombreux. Je me contenterai de citer l’invention du mécanisme appelé «tiers de blocage» ou encore, dans le but de parfaire le travestissement, de «tiers de garantie». Le recours à un tiers est le principe même sur lequel se fonde toute civilisation et *a fortiori* toute justice, à la condition que ce tiers soit le symbole d’une loi se distanciant des deux parties en conflit et à laquelle tous les deux se trouvent également astreints. L’innovation libanaise en déprave le sens: elle fait du tiers une partie. Cette corruption du symbolique est érigée en système de fonctionnement de toute la classe politique actuelle et de leurs complices. Car est complice du pervers tout individu ou groupe d’individus qui garde le silence sur ses manigances, qui y participe d’une manière ou d’une autre ou qui ne les dénonce pas. Quel que soit le prétexte invoqué, la collaboration avec le pervers accroît son sentiment de toute-puissance, renforce ses procédés et ne peut conduire, à terme, qu’à sa propre destruction. Avec un pervers, aucune rencontre n’est possible, aucun dialogue n’est concevable.
Dans 1984, G. Orwell nous rapporte la création, par l’oligarchie tyrannique, d’une «novlangue» dans laquelle le sens des mots est dénaturé, changeant quotidiennement de signification, avec un effet rétroactif adapté en fonction d’objectifs politiques sectaires camouflés. Au Liban, parole et action politiques sont synonymes de mystification et de contre-vérité. À croire les membres de la médiocratie, à partir du moment où leurs paroles et leurs actes portent le label de «politiques», ceux-ci peuvent être dénués de toute véracité et de toute morale, soutenus en cela par les médias eux-mêmes. G. Orwell en avait fait le constat: «Le langage politique est destiné à rendre vraisemblable les mensonges, respectables les meurtres et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que du vent.»
Aujourd’hui, le Liban continue à se débattre avec une tragédie existentielle inédite qui remet profondément en question les fondements institutionnels déchiquetés de ce pays. Elle s’accompagne d’une régression généralisée, dont une des manifestations la plus typique est la domination de la scène sociopolitique par l’irrationnel, par le pulsionnel aux dépens du réflexif, du rationnel.
C’est encore George Orwell qui nous livre la seule réponse possible à cette médiocratie perverse: partout, nous dit-il, où la figure de «Big Brother» menace, le seul moyen de sauvegarder l’humanité et l’espérance en chacun est d’entretenir, dans chaque être épris d’indépendance, un esprit rebelle inflexible aux pièges d’éventuelles modifications des conduites kleptocrates. Ce n’est que par l’union dans la rébellion – au-delà du «narcissisme des petites différences» – que réside l’espoir de faire tomber l’oligarchie perverse. Aucune autre solution n’y parviendra.
Des hommes et des femmes arrogants, imbus de leur sentiment de supériorité, s’érigeant en juge et arbitre du bien et du mal, du bon et du mauvais. Leur volonté est d’exercer leur emprise sur les Libanais dont ils nient le statut de sujets désirants, les réduisant à des objets qui doivent être inféodés à leur propre loi par laquelle ils ne se sentent nullement concernés. Dans l’autre, c’est leur propre image qu’ils veulent retrouver, éliminant toute manifestation de l’altérité. Ils n’octroient aux Libanais d’autre alternative que d’être leur propre reflet, soumis à leur désir, sinon c’est le châtiment qui les attend sous différentes formes violentes.
Ces observations nous livrent à profusion les caractéristiques mêmes des pervers narcissiques. Le psychanalyste A. Eiguer les décrit ainsi: «Quand ils sont les dépositaires du pouvoir, les pervers narcissiques ignorent les règles les plus élémentaires de la démocratie relationnelle. Une de leurs ambitions est de vouloir faire table rase de toute pensée autre. Inaugurer une nouvelle ère, fonder une nouvelle morale, tel est leur rêve.» C’est tout à fait le projet que la camarilla libanaise est en train d’exécuter.
Afin de bien comprendre les failles de l’organisation perverse, il est très important de savoir que la toute-puissance affichée du pervers n’est, en réalité, qu’une carapace qui sert à colmater une profonde vulnérabilité. Le pervers narcissique n’existe que par sa dépendance à la servitude volontaire d’autrui. Il déploie toute son énergie à affirmer le contraire, à nier sa propre dépendance, réussissant même à montrer que c’est le contraire qui est vrai, à assurer que c’est sa victime qui est dans cette demande. C’est sa défense absolue car, sans l’autre, il se retrouve vaincu, taraudé par ses propres fêlures conflictuelles.
En raison de la dépendance d’autrui, le pervers parvient à exercer un effet hypnotique sur lui, utilisant tantôt la séduction tantôt la dissuasion ou la terreur. C’est bien cette stratégie qui a été appliquée pour réprimer l’intifada du 17 octobre.
Le pervers au pouvoir se transforme en dictateur qui, dans son absolutisme, ne se réfère à nulle autre vérité qu’à celle qui émerge de sa volonté d’emprise. C’est ce pouvoir hypnotique qui entraîne les foules à l’idéaliser aveuglément, à communier avec «une destinée supérieure» qu’il incarne, représentation dont il se sert pour les mobiliser, les manipuler et engendrer l’obéissance au chef «qui ne se trompe jamais».
Le pervers n’a rien d’un être unifié, entier. Il avance masqué. Il est le champion de la double vie, de la double pensée, du double langage: il peut présenter une conduite extérieure en apparence respectable, prôner des théories moralisatrices et, de l’autre côté, il dissimule des pratiques qui sont tout à fait à l’opposé de ce qu’il montre ou déclare. P. Racamier écrit que «pour lui, un mensonge réussi compte comme une vérité».
Les exemples de leurs pratiques mensongères sont nombreux. Je me contenterai de citer l’invention du mécanisme appelé «tiers de blocage» ou encore, dans le but de parfaire le travestissement, de «tiers de garantie». Le recours à un tiers est le principe même sur lequel se fonde toute civilisation et *a fortiori* toute justice, à la condition que ce tiers soit le symbole d’une loi se distanciant des deux parties en conflit et à laquelle tous les deux se trouvent également astreints. L’innovation libanaise en déprave le sens: elle fait du tiers une partie. Cette corruption du symbolique est érigée en système de fonctionnement de toute la classe politique actuelle et de leurs complices. Car est complice du pervers tout individu ou groupe d’individus qui garde le silence sur ses manigances, qui y participe d’une manière ou d’une autre ou qui ne les dénonce pas. Quel que soit le prétexte invoqué, la collaboration avec le pervers accroît son sentiment de toute-puissance, renforce ses procédés et ne peut conduire, à terme, qu’à sa propre destruction. Avec un pervers, aucune rencontre n’est possible, aucun dialogue n’est concevable.
Dans 1984, G. Orwell nous rapporte la création, par l’oligarchie tyrannique, d’une «novlangue» dans laquelle le sens des mots est dénaturé, changeant quotidiennement de signification, avec un effet rétroactif adapté en fonction d’objectifs politiques sectaires camouflés. Au Liban, parole et action politiques sont synonymes de mystification et de contre-vérité. À croire les membres de la médiocratie, à partir du moment où leurs paroles et leurs actes portent le label de «politiques», ceux-ci peuvent être dénués de toute véracité et de toute morale, soutenus en cela par les médias eux-mêmes. G. Orwell en avait fait le constat: «Le langage politique est destiné à rendre vraisemblable les mensonges, respectables les meurtres et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que du vent.»
Aujourd’hui, le Liban continue à se débattre avec une tragédie existentielle inédite qui remet profondément en question les fondements institutionnels déchiquetés de ce pays. Elle s’accompagne d’une régression généralisée, dont une des manifestations la plus typique est la domination de la scène sociopolitique par l’irrationnel, par le pulsionnel aux dépens du réflexif, du rationnel.
C’est encore George Orwell qui nous livre la seule réponse possible à cette médiocratie perverse: partout, nous dit-il, où la figure de «Big Brother» menace, le seul moyen de sauvegarder l’humanité et l’espérance en chacun est d’entretenir, dans chaque être épris d’indépendance, un esprit rebelle inflexible aux pièges d’éventuelles modifications des conduites kleptocrates. Ce n’est que par l’union dans la rébellion – au-delà du «narcissisme des petites différences» – que réside l’espoir de faire tomber l’oligarchie perverse. Aucune autre solution n’y parviendra.
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