En août 2014, le monde découvre, horrifié, la barbarie de Daech au nord de l'Irak. Une communauté ethnoreligieuse très isolée, les Yézidis, a été particulièrement touchée. Dépourvue de toute représentation au niveau mondial, cette population était hélas sans aucune défense. Il a fallu le témoignage de quelques survivants pour que la communauté internationale soit au courant de leur tragédie.
La cour du temple de Lalish, au nord de l'Irak.
Avant l'offensive de Daech et l'établissement de leur "califat"sur une partie de l'Irak et de la Syrie, rares étaient les personnes qui avaient connaissance des Yézidis (ou Yazidis). Adepte d'une religion monothéiste multimillénaire, mais considérée comme hérétique par Daech, cette communauté ethnoreligieuse va subir de plein fouet la sauvagerie des salafistes.
Massacres de personnes devant les membres de leurs familles, décapitations collectives, torture, destruction de leur temple et de leurs habitations et, surtout, viols systématiques des femmes seront le lot de cette population misérable. Les jihadistes considéraient les femmes yézidies comme des "trophées de guerre" et, de ce fait, ils les réduisaient à l'esclavage sexuel.
Les récits des survivants témoignent de l'horreur et sont difficiles à écouter ou même lire. Les jihadistes s'échangeaient les femmes entre eux. Celles-ci peuvent ainsi changer une dizaine de fois, ou plus, de "propriétaires". Celles qui résistaient à leurs bourreaux subissaient des viols collectifs.
En 2015, c'est une femme yézidie, Nadia Murad, qui alerta la presse occidentale sur le drame de sa petite communauté. L'avocate des droits de l'homme libano-britannique Amal Clooney lui proposa son aide. L'ONU est même saisie de son cas. Il s'ensuit une série d'investigations qui vont emmener plusieurs pays à reconnaître le génocide des Yézidis.
Nadia Murad recevra le prix Sakharov en 2016, année où elle sera également nommée Ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains. La survivante yézidie recevra le prix Nobel de la Paix en 2018.
Amal Clooney et Nadia Murad lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU en avril 2019. Elles défendaient l'adoption par les pays membres du Conseil une résolution concernant la violence sexuelle dans les conflits, qui classerait le viol comme une arme de guerre.
De nos jours, une poignée de Yézidis subsistent au nord de l'Irak. Leur nombre a diminué à cause des massacres, mais aussi à cause de l'émigration pour trouver refuge en Allemagne, aux USA ou au Canada principalement.
Historiquement, la communauté subissait fréquemment les persécutions et la ségrégation. Dès l'Antiquité jusqu'au régime de Saddam Hussein en passant par les Ottomans, ce sont leurs conditions sociales et, surtout, leur religion rarissime qui leur valaient cette mise au ban de la société.
Le calendrier yézidi commence presque cinq mille ans avant le calendrier grégorien (chrétien). Ceci fait remonter les origines de leur religion à l'époque de la Perse antique, berceau du zoroastrisme. La religion de Zarathoustra, qui compte toujours des adeptes en Iran et en Inde essentiellement, a de tout temps été tolérée par les musulmans, car monothéiste.
Si l'islam considère les zoroastriens comme des "gens du livre", ce n'est pas le cas des yézidis. Ceux-ci se réfèrent à plusieurs livres sacrés et à des traditions orales. La désinformation a fait le reste.
Une légende populaire dit qu'ils adorent Satan. D'autres affirment qu'ils sont païens, car ils prient pour un paon sacré. Cet animal est, en effet, considéré par les yézidis comme la représentation du chef des sept anges à qui dieu a délégué la gestion du monde.
Près de six ans après la mise en déroute de Daech, la communauté yézidie reste hantée par les exactions jihadistes, la mémoire des disparus et la douleur de l'exil alors que cette minorité kurdophone n'a pas encore retrouvé son foyer historique du Sinjar, dévasté par les combats dans le nord de l'Irak.
Sur les hauteurs de Chikhan, dans la cour du temple de Lalish, 365 lampes à huile, une pour chaque jour de l'année, s'allument avec le coucher du soleil à la veille du Nouvel An yézidi. Cette célébration commémore la création de l'univers par les anges et célèbre la nature et la fertilité.
Pieds nus en signe de respect au temple sacré, des hommes vêtus de blanc ont endossé leurs vestons brodés, des femmes ont sorti des coiffes traditionnelles serties de pièces dorées, posées sur un voile blanc. Certaines sont drapées dans une longue tunique blanche serrée à la taille.
"Depuis le génocide, il y a toujours dans nos cœurs un chagrin qui refuse de s'effacer et qui vivra en nous pour l'éternité", poursuit M. Sinan, enseignant en mathématiques de 37 ans qui vit près de Chikhan. "Mais malgré tout, nous continuerons d'accomplir nos rituels religieux".
A l'occasion du Nouvel An, les familles se recueillent sur les tombes de leurs proches. Ceux qui en ont les moyens égorgent un mouton, servi à table et distribué comme aumône aux pauvres.
Les autorités irakiennes ont décrété que le premier mercredi d'avril sera désormais un jour férié pour les Yézidis.
Malgré les persécutions et les discriminations, Faleh Jomaa, 60 ans, a choisi de rester en Irak et de ne pas suivre ses quatre frères, tous partis en Allemagne.
"La communauté yézidie a été victime de 74 génocides tout au long de son histoire. Mais à chaque fois elle renaît, comme les plantes qui sortent des entrailles de la Terre pour que la vie continue", lance cet ancien professeur d'arabe, venu à Lalish avec sa femme et ses trois enfants.
Le Premier ministre irakien Mohamed Chia al-Soudani a récemment rappelé que le Sinjar attendait toujours l'adoption de "mesures politiques et sécuritaires" pour garantir le retour des 200.000 déplacés ayant majoritairement trouvé refuge au Kurdistan autonome.
Le gouvernement avait alloué en mars 38,5 millions de dollars à un fonds nouvellement créé pour la reconstruction du Sinjar et de la plaine de Ninive, ravagés par les combats.
Car seule une poignée de familles a choisi de rentrer, leur région souffrant encore "du manque de logements adéquats et de services de base, y compris l'eau courante, l'électricité, les soins et l'éducation", déplorait en août l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Aujourd'hui encore, des charniers sont exhumés au Sinjar. Plus de 2.700 personnes sont portées disparues, selon l'OIM, qui assure que certains sont toujours aux mains de Daech.
Réfugiée en Bavière avec son mari et ses huit filles, Khawla Abdou a tenu à célébrer son Nouvel An à Lalish. "Nous sommes venus prier Dieu en ce jour sacré pour qu'il libère nos filles encore aux mains de notre ennemi", se lamente cette grand-mère de 67 ans. "Que Dieu exauce notre souhait, car on ne peut pas oublier nos filles. Et on n'oubliera jamais ce qui s'est passé au Sinjar".
Roger Barake, avec reportage AFP
La cour du temple de Lalish, au nord de l'Irak.
Avant l'offensive de Daech et l'établissement de leur "califat"sur une partie de l'Irak et de la Syrie, rares étaient les personnes qui avaient connaissance des Yézidis (ou Yazidis). Adepte d'une religion monothéiste multimillénaire, mais considérée comme hérétique par Daech, cette communauté ethnoreligieuse va subir de plein fouet la sauvagerie des salafistes.
Massacres de personnes devant les membres de leurs familles, décapitations collectives, torture, destruction de leur temple et de leurs habitations et, surtout, viols systématiques des femmes seront le lot de cette population misérable. Les jihadistes considéraient les femmes yézidies comme des "trophées de guerre" et, de ce fait, ils les réduisaient à l'esclavage sexuel.
Les récits des survivants témoignent de l'horreur et sont difficiles à écouter ou même lire. Les jihadistes s'échangeaient les femmes entre eux. Celles-ci peuvent ainsi changer une dizaine de fois, ou plus, de "propriétaires". Celles qui résistaient à leurs bourreaux subissaient des viols collectifs.
En 2015, c'est une femme yézidie, Nadia Murad, qui alerta la presse occidentale sur le drame de sa petite communauté. L'avocate des droits de l'homme libano-britannique Amal Clooney lui proposa son aide. L'ONU est même saisie de son cas. Il s'ensuit une série d'investigations qui vont emmener plusieurs pays à reconnaître le génocide des Yézidis.
Nadia Murad recevra le prix Sakharov en 2016, année où elle sera également nommée Ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains. La survivante yézidie recevra le prix Nobel de la Paix en 2018.
Amal Clooney et Nadia Murad lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU en avril 2019. Elles défendaient l'adoption par les pays membres du Conseil une résolution concernant la violence sexuelle dans les conflits, qui classerait le viol comme une arme de guerre.
De nos jours, une poignée de Yézidis subsistent au nord de l'Irak. Leur nombre a diminué à cause des massacres, mais aussi à cause de l'émigration pour trouver refuge en Allemagne, aux USA ou au Canada principalement.
Historiquement, la communauté subissait fréquemment les persécutions et la ségrégation. Dès l'Antiquité jusqu'au régime de Saddam Hussein en passant par les Ottomans, ce sont leurs conditions sociales et, surtout, leur religion rarissime qui leur valaient cette mise au ban de la société.
Le calendrier yézidi commence presque cinq mille ans avant le calendrier grégorien (chrétien). Ceci fait remonter les origines de leur religion à l'époque de la Perse antique, berceau du zoroastrisme. La religion de Zarathoustra, qui compte toujours des adeptes en Iran et en Inde essentiellement, a de tout temps été tolérée par les musulmans, car monothéiste.
Si l'islam considère les zoroastriens comme des "gens du livre", ce n'est pas le cas des yézidis. Ceux-ci se réfèrent à plusieurs livres sacrés et à des traditions orales. La désinformation a fait le reste.
Une légende populaire dit qu'ils adorent Satan. D'autres affirment qu'ils sont païens, car ils prient pour un paon sacré. Cet animal est, en effet, considéré par les yézidis comme la représentation du chef des sept anges à qui dieu a délégué la gestion du monde.
Célébrations du Nouvel An
Près de six ans après la mise en déroute de Daech, la communauté yézidie reste hantée par les exactions jihadistes, la mémoire des disparus et la douleur de l'exil alors que cette minorité kurdophone n'a pas encore retrouvé son foyer historique du Sinjar, dévasté par les combats dans le nord de l'Irak.
Sur les hauteurs de Chikhan, dans la cour du temple de Lalish, 365 lampes à huile, une pour chaque jour de l'année, s'allument avec le coucher du soleil à la veille du Nouvel An yézidi. Cette célébration commémore la création de l'univers par les anges et célèbre la nature et la fertilité.
Pieds nus en signe de respect au temple sacré, des hommes vêtus de blanc ont endossé leurs vestons brodés, des femmes ont sorti des coiffes traditionnelles serties de pièces dorées, posées sur un voile blanc. Certaines sont drapées dans une longue tunique blanche serrée à la taille.
"Depuis le génocide, il y a toujours dans nos cœurs un chagrin qui refuse de s'effacer et qui vivra en nous pour l'éternité", poursuit M. Sinan, enseignant en mathématiques de 37 ans qui vit près de Chikhan. "Mais malgré tout, nous continuerons d'accomplir nos rituels religieux".
A l'occasion du Nouvel An, les familles se recueillent sur les tombes de leurs proches. Ceux qui en ont les moyens égorgent un mouton, servi à table et distribué comme aumône aux pauvres.
Les autorités irakiennes ont décrété que le premier mercredi d'avril sera désormais un jour férié pour les Yézidis.
Malgré les persécutions et les discriminations, Faleh Jomaa, 60 ans, a choisi de rester en Irak et de ne pas suivre ses quatre frères, tous partis en Allemagne.
"La communauté yézidie a été victime de 74 génocides tout au long de son histoire. Mais à chaque fois elle renaît, comme les plantes qui sortent des entrailles de la Terre pour que la vie continue", lance cet ancien professeur d'arabe, venu à Lalish avec sa femme et ses trois enfants.
Le Premier ministre irakien Mohamed Chia al-Soudani a récemment rappelé que le Sinjar attendait toujours l'adoption de "mesures politiques et sécuritaires" pour garantir le retour des 200.000 déplacés ayant majoritairement trouvé refuge au Kurdistan autonome.
Le gouvernement avait alloué en mars 38,5 millions de dollars à un fonds nouvellement créé pour la reconstruction du Sinjar et de la plaine de Ninive, ravagés par les combats.
Car seule une poignée de familles a choisi de rentrer, leur région souffrant encore "du manque de logements adéquats et de services de base, y compris l'eau courante, l'électricité, les soins et l'éducation", déplorait en août l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Aujourd'hui encore, des charniers sont exhumés au Sinjar. Plus de 2.700 personnes sont portées disparues, selon l'OIM, qui assure que certains sont toujours aux mains de Daech.
Réfugiée en Bavière avec son mari et ses huit filles, Khawla Abdou a tenu à célébrer son Nouvel An à Lalish. "Nous sommes venus prier Dieu en ce jour sacré pour qu'il libère nos filles encore aux mains de notre ennemi", se lamente cette grand-mère de 67 ans. "Que Dieu exauce notre souhait, car on ne peut pas oublier nos filles. Et on n'oubliera jamais ce qui s'est passé au Sinjar".
Roger Barake, avec reportage AFP
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