©Weng Fen (also known as Weng Peijun) «Sitting on the Wall –Shenzhen 1» (2002) chromogenic print.
Le regard des artistes sur la Chine contemporaine
Selon une enquête menée en 2005 par le Pew Research Center (qui conduit des sondages d'opinion publique dans le monde entier sur un large éventail de sujets, allant de l'évaluation que les gens font de leur propre vie à leur point de vue sur l'état actuel du monde), le pourcentage le plus élevé de personnes s’étant prêtées à leur questionnaire sont chinoises, et elles affirment avoir connu une amélioration de leur niveau de vie durant les cinq dernières années. En 2010, de fait, la Chine héberge la deuxième économie mondiale.
En vue jusqu’au 14 mai au Hammer Museum à Los Angeles, Cruel Youth Diary: Chinese Photography and Video (textuellement «Journal d’une jeunesse cruelle: photographies et vidéos chinoises») est une exposition assemblée à partir de la collection de la famille Haudenschild. À la fin des années 1990, Eloisa Haudenschild commence à voyager en Chine où elle noue des amitiés avec de jeunes conservateurs et artistes contemporains chinois dont elle commence à collectionner les œuvres. En 2018, la famille Haudenschild décide de faire don de l'intégralité de sa collection de photographies et de vidéos contemporaines chinoises au Hammer Museum de l'UCLA à Los Angeles avec le souhait que celle-ci soit mise à la disposition des chercheurs universitaires et toute personne intéressée par cette décennie qui constitue la matrice de l'art contemporain chinois.
De fait, se présentant à la fois comme un instantané et un condensé de cette période de croissance, la sélection proposée se penche sur une génération d'artistes dont le travail a répondu de manière conceptuelle aux changements sociaux, politiques et économiques majeurs d'une Chine en plein essor à l'aube du XXIe siècle.
De qui s’agit-il? De Cao Fei, Chen Shaoxiong, Feng Mengbo, Hong Hao, Kan Xuan, Liu Wei, Shi Yong, Song Tao, Weng Fen (également connu sous le nom de Weng Peijun), Xiang Liqing, Xu Zhen, Yang Fudong, Yang Yong, Yang Zhenzhong, Zhao Bandi et Zhu Jia, seize artistes pris dans cette époque aussi intense que paradoxale. Ils ont en commun d’avoir été expulsés des institutions officielles de leur pays et d’avoir montré leur travail dans des espaces alternatifs. Il n’en demeure pas moins que «beaucoup, parmi ces artistes confrontés à la répression dans leur propre pays, ont trouvé de l'importance sur le marché mondial de l'art», souligne le texte de l’exposition. Et certains parmi eux valent vraiment le détour.
Weng Fen (également connu sous le nom de Weng Peijun), né en 1961 à Hainan, en Chine, est diplômé de l'Académie des beaux-arts de Guangzhou en 1985. La série On the Wall met en scène des personnages, généralement des écolières, dos à la caméra, regardant la ville moderne. La série suggère un parallèle entre les écolières et les villes, toutes deux à un stade de transition. Cette récente modernisation des villes, qui semble conduire la société chinoise vers une culture urbaine homogène (représentée par les gratte-ciels), coupée de son identité et de son histoire, semble être également l’objet d’une élégie. Les photographies de Weng Fen sont donc une allégorie de l’évolution de la société et de ses aspirations à la fois sociales, économiques et politiques pour une nouvelle ère chinoise.
Xiang Liquing, quant à lui, est né dans la province du Zhejiang en 1973. Il est diplômé du département de peinture à l'huile de l'Académie des beaux-arts de Chine en 1995. Aujourd'hui, il vit et travaille à Shanghai et il est considéré comme l'un des artistes les plus prometteurs de sa génération. Les photographies de Xiang Liqing sont des réflexions humoristiques et poétiques sur la transformation urbaine de la Chine, avec un propos sur les sphères publique et privée qui transcende le contexte chinois. Dans une série de photographies intitulée Rock Never (2001), Xiang Liquing montre, dans des mises en scènes claustrophobes, des façades d’appartements individuels similaires. Ce fantasme, dystopique néanmoins, dans lequel l'architecture résidentielle collective, dans sa tentative de nivellement des différences, est présentée comme porteuse d'un désir social et d’une promesse de bonheur, montre également les défaillances du système: peu importe – et c’est le deuxième degré des photographies de Xiang Liquing – que les besoins individuels soient pris en compte.
Xiang Liqing «Rock Never» detail (2002) inkjet prints
Il est enfin tout à fait intéressant que cette exposition de 2023 ait lieu dans le sillage des ravages du Covid, alors que la Chine, qui reste très confiante dans son avenir, affiche l'une de ses plus faibles performances économiques depuis des décennies et qu’elle doit faire face à des tensions globales importantes. De fait, l'ère Covid de la Chine est très différente.
En 2020, Ai Weiwei, artiste majeur de la scène artistique indépendante chinoise, connu notamment pour ses performances provocantes et politiques, réalise un film sur le verrouillage du Covid-19 à Wuhan. Depuis le début de la quarantaine, l'artiste dirigeait à distance depuis l'Europe une équipe de caméramans pour documenter la réponse, jugée brutale et militarisée, de l’État au virus. Il obtient également des autorisations pour utiliser d'autres images. Le tout est assemblé dans le film Coronation (ou CoroNation, la nation du Coronavirus, ou encore sa consécration).
Rappelons effectivement qu’Ai Weiwei est une figure de l'opposition au pouvoir et l'emblème de la liberté d'expression en Chine. Il est l’un des 303 intellectuels chinois à avoir signé la Charte 08 (manifeste publié le 10 décembre 2008 pour promouvoir la réforme politique et le mouvement démocratique chinois dans la république populaire de Chine) et à ouvertement critiquer la position du gouvernement chinois sur la démocratie et les droits de l'homme. Rappelons aussi qu’il a réalisé, en l'an 2000, l'exposition Fuck off avec la photo de son doigt d'honneur dirigé contre Tian'anmen («porte de la Paix céleste»), située sur la place du même nom, affichant désormais officiellement son opposition au gouvernement et au communisme.
Dans Paysages provisoires, une série de photos réalisées entre 2002 et 2005, il avait tenté de présenter la réalité sociale et urbaine de la Chine, témoignant du capitalisme anarchique qui s’y développait, faisant disparaître les ruelles du vieux Pékin pour ériger de nouveaux bâtiments, sans respect de l'histoire ni de la culture. «Ces paysages, dira-t-il, marquent la fin de l'ancien temps et l'avènement des temps nouveaux.»
Alors que la Chine a pu dépasser de loin les attentes internationales dans sa gestion du virus – en maintenant les taux d'infection et de mortalité relativement bas avec une quarantaine stricte et des mesures comme la construction d'hôpitaux temporaires – la critique d'Ai Weiwei de ce pays que «le monde connait mal» reste implacable. Sur le site officiel de l’artiste, on peut lire ce qui suit: «À travers le prisme de la pandémie, Coronation dépeint clairement la machine chinoise de gestion de crise et de contrôle social – par la surveillance, le lavage de cerveau idéologique et la détermination brute de contrôler tous les aspects de la société.» Le film montre donc les changements qui ont eu lieu sous l’impact du virus, dans l'espace individuel, mais aussi dans la ville, l’atmosphère surréaliste des innombrables rues vides, souvent filmées par des drones, ainsi que des scènes de personnes en équipement de protection individuelle (EPI), semblant tout droit sorties d'un thriller de science-fiction.
Le résultat est une société qui manque de confiance, de transparence et de respect pour l'humanité, c’est le propos de Coronation. Malgré l'ampleur et la rapidité impressionnantes du confinement de Wuhan, nous y sommes confrontés à des questions essentielles: la civilisation peut-elle survivre sans l'humanité? Les nations peuvent-elles compter les unes sur les autres sans transparence ni confiance?
Cruel Youth Diary: Chinese Photography and Video est donc une exposition qui donne évidemment à contempler la prospérité de la Chine contemporaine, mais aussi à réfléchir aux défaillances de son système, dans un Hammer Museum récemment réaménagé.
Wuhan Central Station during the lockdown From Coronation (2020) dir. Ai Weiwei
Trailer accessible sur: https://youtu.be/uL4X26wEDQw
Selon une enquête menée en 2005 par le Pew Research Center (qui conduit des sondages d'opinion publique dans le monde entier sur un large éventail de sujets, allant de l'évaluation que les gens font de leur propre vie à leur point de vue sur l'état actuel du monde), le pourcentage le plus élevé de personnes s’étant prêtées à leur questionnaire sont chinoises, et elles affirment avoir connu une amélioration de leur niveau de vie durant les cinq dernières années. En 2010, de fait, la Chine héberge la deuxième économie mondiale.
En vue jusqu’au 14 mai au Hammer Museum à Los Angeles, Cruel Youth Diary: Chinese Photography and Video (textuellement «Journal d’une jeunesse cruelle: photographies et vidéos chinoises») est une exposition assemblée à partir de la collection de la famille Haudenschild. À la fin des années 1990, Eloisa Haudenschild commence à voyager en Chine où elle noue des amitiés avec de jeunes conservateurs et artistes contemporains chinois dont elle commence à collectionner les œuvres. En 2018, la famille Haudenschild décide de faire don de l'intégralité de sa collection de photographies et de vidéos contemporaines chinoises au Hammer Museum de l'UCLA à Los Angeles avec le souhait que celle-ci soit mise à la disposition des chercheurs universitaires et toute personne intéressée par cette décennie qui constitue la matrice de l'art contemporain chinois.
De fait, se présentant à la fois comme un instantané et un condensé de cette période de croissance, la sélection proposée se penche sur une génération d'artistes dont le travail a répondu de manière conceptuelle aux changements sociaux, politiques et économiques majeurs d'une Chine en plein essor à l'aube du XXIe siècle.
De qui s’agit-il? De Cao Fei, Chen Shaoxiong, Feng Mengbo, Hong Hao, Kan Xuan, Liu Wei, Shi Yong, Song Tao, Weng Fen (également connu sous le nom de Weng Peijun), Xiang Liqing, Xu Zhen, Yang Fudong, Yang Yong, Yang Zhenzhong, Zhao Bandi et Zhu Jia, seize artistes pris dans cette époque aussi intense que paradoxale. Ils ont en commun d’avoir été expulsés des institutions officielles de leur pays et d’avoir montré leur travail dans des espaces alternatifs. Il n’en demeure pas moins que «beaucoup, parmi ces artistes confrontés à la répression dans leur propre pays, ont trouvé de l'importance sur le marché mondial de l'art», souligne le texte de l’exposition. Et certains parmi eux valent vraiment le détour.
Weng Fen (également connu sous le nom de Weng Peijun), né en 1961 à Hainan, en Chine, est diplômé de l'Académie des beaux-arts de Guangzhou en 1985. La série On the Wall met en scène des personnages, généralement des écolières, dos à la caméra, regardant la ville moderne. La série suggère un parallèle entre les écolières et les villes, toutes deux à un stade de transition. Cette récente modernisation des villes, qui semble conduire la société chinoise vers une culture urbaine homogène (représentée par les gratte-ciels), coupée de son identité et de son histoire, semble être également l’objet d’une élégie. Les photographies de Weng Fen sont donc une allégorie de l’évolution de la société et de ses aspirations à la fois sociales, économiques et politiques pour une nouvelle ère chinoise.
Xiang Liquing, quant à lui, est né dans la province du Zhejiang en 1973. Il est diplômé du département de peinture à l'huile de l'Académie des beaux-arts de Chine en 1995. Aujourd'hui, il vit et travaille à Shanghai et il est considéré comme l'un des artistes les plus prometteurs de sa génération. Les photographies de Xiang Liqing sont des réflexions humoristiques et poétiques sur la transformation urbaine de la Chine, avec un propos sur les sphères publique et privée qui transcende le contexte chinois. Dans une série de photographies intitulée Rock Never (2001), Xiang Liquing montre, dans des mises en scènes claustrophobes, des façades d’appartements individuels similaires. Ce fantasme, dystopique néanmoins, dans lequel l'architecture résidentielle collective, dans sa tentative de nivellement des différences, est présentée comme porteuse d'un désir social et d’une promesse de bonheur, montre également les défaillances du système: peu importe – et c’est le deuxième degré des photographies de Xiang Liquing – que les besoins individuels soient pris en compte.
Xiang Liqing «Rock Never» detail (2002) inkjet prints
Il est enfin tout à fait intéressant que cette exposition de 2023 ait lieu dans le sillage des ravages du Covid, alors que la Chine, qui reste très confiante dans son avenir, affiche l'une de ses plus faibles performances économiques depuis des décennies et qu’elle doit faire face à des tensions globales importantes. De fait, l'ère Covid de la Chine est très différente.
En 2020, Ai Weiwei, artiste majeur de la scène artistique indépendante chinoise, connu notamment pour ses performances provocantes et politiques, réalise un film sur le verrouillage du Covid-19 à Wuhan. Depuis le début de la quarantaine, l'artiste dirigeait à distance depuis l'Europe une équipe de caméramans pour documenter la réponse, jugée brutale et militarisée, de l’État au virus. Il obtient également des autorisations pour utiliser d'autres images. Le tout est assemblé dans le film Coronation (ou CoroNation, la nation du Coronavirus, ou encore sa consécration).
Rappelons effectivement qu’Ai Weiwei est une figure de l'opposition au pouvoir et l'emblème de la liberté d'expression en Chine. Il est l’un des 303 intellectuels chinois à avoir signé la Charte 08 (manifeste publié le 10 décembre 2008 pour promouvoir la réforme politique et le mouvement démocratique chinois dans la république populaire de Chine) et à ouvertement critiquer la position du gouvernement chinois sur la démocratie et les droits de l'homme. Rappelons aussi qu’il a réalisé, en l'an 2000, l'exposition Fuck off avec la photo de son doigt d'honneur dirigé contre Tian'anmen («porte de la Paix céleste»), située sur la place du même nom, affichant désormais officiellement son opposition au gouvernement et au communisme.
Dans Paysages provisoires, une série de photos réalisées entre 2002 et 2005, il avait tenté de présenter la réalité sociale et urbaine de la Chine, témoignant du capitalisme anarchique qui s’y développait, faisant disparaître les ruelles du vieux Pékin pour ériger de nouveaux bâtiments, sans respect de l'histoire ni de la culture. «Ces paysages, dira-t-il, marquent la fin de l'ancien temps et l'avènement des temps nouveaux.»
Alors que la Chine a pu dépasser de loin les attentes internationales dans sa gestion du virus – en maintenant les taux d'infection et de mortalité relativement bas avec une quarantaine stricte et des mesures comme la construction d'hôpitaux temporaires – la critique d'Ai Weiwei de ce pays que «le monde connait mal» reste implacable. Sur le site officiel de l’artiste, on peut lire ce qui suit: «À travers le prisme de la pandémie, Coronation dépeint clairement la machine chinoise de gestion de crise et de contrôle social – par la surveillance, le lavage de cerveau idéologique et la détermination brute de contrôler tous les aspects de la société.» Le film montre donc les changements qui ont eu lieu sous l’impact du virus, dans l'espace individuel, mais aussi dans la ville, l’atmosphère surréaliste des innombrables rues vides, souvent filmées par des drones, ainsi que des scènes de personnes en équipement de protection individuelle (EPI), semblant tout droit sorties d'un thriller de science-fiction.
Le résultat est une société qui manque de confiance, de transparence et de respect pour l'humanité, c’est le propos de Coronation. Malgré l'ampleur et la rapidité impressionnantes du confinement de Wuhan, nous y sommes confrontés à des questions essentielles: la civilisation peut-elle survivre sans l'humanité? Les nations peuvent-elles compter les unes sur les autres sans transparence ni confiance?
Cruel Youth Diary: Chinese Photography and Video est donc une exposition qui donne évidemment à contempler la prospérité de la Chine contemporaine, mais aussi à réfléchir aux défaillances de son système, dans un Hammer Museum récemment réaménagé.
Wuhan Central Station during the lockdown From Coronation (2020) dir. Ai Weiwei
Trailer accessible sur: https://youtu.be/uL4X26wEDQw
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