«Il n’est jamais trop tard …», se sont sans doute exclamés nombre de Libanais à l’annonce de la décision de radier la procureure générale près la Cour d’appel du Mont Liban, Ghada Aoun, du Corps de la magistrature. Les membres du conseil de discipline, qui ont pris cette décision à l’unanimité, ont indéniablement fait preuve d’audace et effectué de ce fait un grand pas vers le rétablissement de l’aura et de la crédibilité d’un appareil judiciaire, gravement ébranlé dans ses fondements au cours des dernières années par les agissements burlesques – pour le moins qu’on puisse dire – de Ghada Aoun.
Jamais magistrat ne sera tombé aussi bas dans l’exercice de ses fonctions. Sous le prétexte fallacieux de lutter contre la corruption, Ghada Aoun a trainé dans la boue, sans vergogne, les principes les plus élémentaires, les plus basiques, d’un fonctionnement normal d’une Justice bien comprise. Bénéficiant de la totale couverture et du soutien aveugle de l’ex-président Michel Aoun lors de son funeste sexennat, la procureure était devenue l’instrument politicien (dans le sens le plus vil du terme) du directoire du courant aouniste qui se permettait ainsi de mener un combat hargneux contre moult milieux politiques, financiers et intellectuels perçus comme un obstacle à une soif insatiable de pouvoir.
Pour mener sa chasse aux sorcières jusqu’à ses derniers retranchements, Ghada Aoun n’a rien laissé au hasard et s’est livrée de manière surréaliste aux débordements les plus saugrenus: rejet de l’autorité de ses supérieurs hiérarchiques; fronde contre les mesures judiciaires prises à son encontre; harangue publique devant des groupes de partisans; prise d’assaut avec effraction, dans le plus pur style milicien, de sociétés privées (comment pourrait-on oublier la responsabilité morale, par ricochet, dans la fin tragique du très respecté Michel Mecattaf?); devoir de réserve foulé au pied; campagnes sur les réseaux sociaux contre ses détracteurs; tapage médiatique prémédité dans l’exercice de ses fonctions… La liste est encore très longue.
En peu de mots, l’on pourrait dire que le comportement de Ghada Aoun ces dernières années a été l’antithèse de l’action de toute Justice soucieuse de mener à bien sa mission. Nous nous trouvons à cet égard devant un cas d’école! Le tout sur base du slogan très populiste d'une prétendue lutte contre la corruption. Sauf que l’histoire ne nous explique pas pourquoi un tel zèle incontrôlé n’a pas inclus, à titre d’exemple, la structure financière et «bancaire» totalement illégale – source de toutes sortes de corruption – mise en place dans de nombreuses régions par le Hezbollah, en l’occurrence le Qard el-Hassan. Ce serait, en outre, peut-être trop naïf de demander pourquoi le hasard a voulu que ce combat hardis contre «les-corrompus-qui-volent-et-dilapident-l’argent-du-peuple» n’a englobé que les adversaires politiques du courant aouniste, sans songer à effectuer un petit détour par le ministère de l'Énergie qui a englouti mystérieusement une trentaine de milliards de dollars avec pour résultat de plonger le pays...dans le noir!
Il ne faut pas être éminent magistrat pour savoir que l’un des principaux piliers – sinon LE principal pilier – d’un État de droit est la Justice. Une justice saine, crédible, indépendante… Or c’est malencontreusement une telle justice qui a été déconstruite sous le mandat Aoun. Pourtant, l’ex président et fondateur du Courant patriotique libre avait bâti toute son aura politique sur, précisément, la (prétendue) défense de l’État de droit face aux milices. Résultat des courses: la soif de pouvoir l’a conduit à s’allier à une milice dont l’objectif stratégique est de saper cet État de droit qu’il prônait assidument… Et comble de l’ignominie, il a exploité l’appareil judiciaire pour laminer ceux qu’il percevait comme ses adversaires potentiels.
Au début des années 1990, le général Michel Aoun, alors en exil à la Haute Maison, en France, avait accordé à l’auteur de ces lignes une interview exclusive dans laquelle il dénonçait l’instrumentalisation de la Justice par les Services de Renseignements de l’époque. Arrivé au pouvoir, il a instrumentalisé la Justice pour servir, de manière réductrice, son propre parti! En s’appuyant, de surcroît, sur une organisation armée pour laquelle la notion de souveraineté nationale – jadis cheval de bataille du fondateur du CPL – est un obstacle majeur à ses desseins transnationaux.
Le Liban, éternel pays des paradoxes, dit-on souvent... Sauf que, parfois, ils peuvent être fâcheusement destructeurs. Mais la lueur d'espoir réside, contre vents et marées, dans l'audace de certains juges et l'engagement de ceux qui continuent de croire en un Liban pluraliste et libéral.
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