Erdogan en tête: rien n’est encore gagné!
Coup de théâtre en Turquie! Dimanche 14 mai, les élections présidentielles ont débouché sur un résultat surprenant, créant une situation politique tendue dans le pays. Le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, connu pour sa longévité au pouvoir, n'a pas réussi à franchir la barre des 50% des suffrages, tandis que le chef de l'opposition Kemal Kiliçdaroglu a obtenu près de 45% des voix. Ce scénario inattendu a rendu inévitable la tenue d'un second tour pour départager les deux candidats en tête.

Plus encore qu’un devoir citoyen démocratique ordinaire, les élections turques ont révélé une polarisation croissante de l'électorat, avec une opposition qui gagne en popularité et un désir croissant de changement.
Conformément aux attentes, l'opposition a réussi à mobiliser un soutien considérable au sein de ses rangs, sans pour autant récolter le nombre nécessaire de voix pour une victoire dès le premier tour. Pour la première fois depuis 2003, elle a clairement démontré qu’elle est capable de rivaliser avec Erdogan et son parti, l'AKP.

L’enjeu du scrutin qui se tiendra le 28 mai prochain serait de déterminer si Erdogan pourra prolonger son règne ou si l'opposition parviendra à rassembler suffisamment de voix pour remporter la présidence. Cependant, comment analyser les résultats du 14 mai dernier? À quoi peut-on s’attendre pour le second tour?
Champagne ou tapis de prière

Le paysage politique en Turquie révèle une polarisation profonde, comme en témoignent les résultats des élections. Chaque élection met en lumière les deux facettes de la Turquie. La côte représente un courant plus libéral, tandis que le centre est davantage conservateur. Au-delà du choix entre deux candidats, les électeurs doivent choisir entre deux modes de vie.
D'une part, il y a ceux qui sont conservateurs sur le plan religieux, sunnites, favorables à une hiérarchie du pouvoir, au patriarcat et hostiles à l'Occident. D’autre part, ceux qui sont plus ouverts, adeptes du consensus et favorables à l'Occident. Bekir Bozdag, le ministre de la Justice de M. Erdogan, a parfaitement résumé ce schéma avant le scrutin en déclarant: «Le 14 mai, les Turcs auront le choix entre lever leur verre de champagne ou se prosterner sur le tapis de prière».
Dans ce cas, Recep Tayyip Erdogan demeure en position de force pour le second tour, tandis que les résultats préliminaires des élections législatives, qui se sont tenues le même jour, confèrent à l'alliance au pouvoir une majorité absolue claire.


Simultanément, le MHP, parti d'extrême droite dirigée par Devlet Bahceli, allié indispensable d'Erdogan, a clairement réussi à mobiliser son électorat, contrairement aux prédictions des sondages. De plus, l'alliance au pouvoir a surpassé les attentes dans les régions touchées par le tremblement de terre destructeur de février, en enregistrant des résultats exceptionnellement élevés dans les villes de Kahramanmaras, Gaziantep et la région de Hatay.
Le réseau d’influence d’Erdogan

Pour expliquer la résistance inattendue du courant ultraconservateur islamique incarné par le président Erdogan, plusieurs facteurs sont avancés. Les musulmans conservateurs auraient des réserves à voter pour Kemal Kiliçdaroglu, qui a revendiqué son alévisme, un courant religieux minoritaire en Turquie et souvent stigmatisé.
Parallèlement, la force incontestable d'Erdogan, qui a démontré à maintes reprises sa capacité à utiliser les ressources de l'État à son avantage, a également joué un rôle crucial. Le président s'est constitué un vaste réseau d'influence dans le secteur des entreprises, établissant des liens de clientélisme et de dépendance importants, surtout dans les régions où la situation économique et sociale est préoccupante.
La grande inconnue de ce scrutin: le report de voix du troisième candidat Sinan Ogan, qui a récolté un peu plus de 5% des suffrages exprimés. Il convient de rappeler que sa percée lors de l'élection présidentielle fait de lui une figure convoitée, et il est susceptible de négocier son soutien avec précaution. Lundi matin, dans une interview accordée au quotidien allemand Der Spiegel, il a indiqué qu'il appellerait à voter pour Kiliçdaroglu si ce dernier cessait de soutenir le parti pro-kurde HDP. Choix extrêmement difficile pour Kiliçdaroglu, étant donné qu’il a grandement misé sur les voix de l'électorat kurde pour le premier tour.

Dernière source d’inquiétude: le fait que le pays soit ingouvernable en cas de victoire de la coalition adverse. Néanmoins, la marge de manœuvre de l'opposition serait grande, étant donné que le Parlement a été réduit à un simple organe d'enregistrement, suite à la réforme constitutionnelle adoptée par référendum en 2017. Cette réforme a transformé le système parlementaire en un système hyperprésidentiel, éliminant tout contre-pouvoir. Le président, qui cumule également les fonctions de Premier ministre, détient un pouvoir absolu et gouverne par décrets.
Une victoire de Kiliçdaroglu au second tour de l'élection présidentielle serait en apparence affaiblie par les bons résultats de la coalition au pouvoir lors des élections législatives, surtout qu'elle conserve sa majorité parlementaire. Psychologiquement, cela aura un impact sur le choix des électeurs lors du second tour de l'élection présidentielle. Ils pourraient considérer qu'Erdogan est le maître, le garant de la continuité.
Le très bon score d'Erdogan qui arrive en tête au premier tour et capable de remporter un troisième mandat consécutif, a été accueillie comme une nouvelle à demi-teinte par les partisans de l'AKP. La perspective de deux semaines supplémentaires d'incertitude jusqu'au second tour prévu le 28 mai pourrait influencer un électorat qui demeure extrêmement volatile. Une chose est certaine, rien n'est encore joué.
Commentaires
  • Aucun commentaire