L'éditorial - Deux orientations et une confusion
A l’image d’un calendrier lentement dénudé par les pages qui s’envolent au vent jour après jour, le Liban traverse le temps, d’année en année, en s’engouffrant toujours davantage, toujours plus profondément, dans une grave crise existentielle dont peu de décideurs politiques semblent saisir la véritable dimension.

L’an 2022 sera marqué pour le Liban par des échéances cruciales au niveau local et par de sérieux défis à relever au double plan régional et international. Et, cerise sur le gâteau, dans un tel contexte à plus d’un égard critique, nombre de nos responsables ne parviennent pas encore à dissiper la confusion entre le sort de tout un pays et le nécessaire bien-être de tout un peuple, d’une part, et les petits calculs partisans et électoraux, voire les égos personnels, d’autre part. Si bien qu’à l’aurore de cette nouvelle année, deux graves orientations diamétralement opposées, aux effets contraires et centrifuges, paraissent se consolider et s’affirmer dangereusement, dans le prolongement d’un passé pas trop lointain.

La première de ces orientations – en tous points destructrices – se reflète une fois de plus dans le long discours télévisé du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, lundi soir. Le leader du parti pro-iranien persiste et signe, s’obstinant à faire preuve de cécité politique quant à la situation cauchemardesque dans laquelle se débattent les Libanais. Sa longue tirade dans laquelle il attaque au vitriol l’Arabie Saoudite – l’accusant de « terrorisme » (!) et affirmant qu’elle prend « des milliers de Libanais en otage » (!!) – constitue manifestement la réponse du berger à la bergère.

Le secrétaire général du Hezbollah a balayé en effet d’un revers de la main, avec arrogance et cynisme, la petite phrase lancée par le président Michel Aoun qui avait dénoncé clairement, dans sa dernière intervention télévisée, « les ingérences dans les affaires internes » de certains pays arabes, allant jusqu’à relever, en substance, qu’il ne comprenait pas quel intérêt ont les Libanais à s’impliquer dans les conflits régionaux, comme le fait la formation chiite ancrée au projet iranien. Les propos incendiaires de Hassan Nasrallah sont en outre une réponse directe aux efforts déployés par le Premier ministre Nagib Mikati – ainsi que par le président français Emmanuel Macron – en vue de rétablir les ponts entre le Liban et le royaume saoudien, et les pays du Golfe, en général.

En adoptant une telle attitude en flèche au sujet d’un problème aussi sensible, et crucial pour les Libanais, que les rapports avec Washington et Ryad, le chef du Hezbollah s’emploie à consolider une double posture : il confirme, d’abord, pour la N ième fois son alignement prioritaire et inconditionnel sur la ligne de conduite stratégique du Guide suprême de la République islamique iranienne ; ensuite, il réaffirme à la face du monde qu’il tient très peu compte (en réalité pas du tout …) des positions du Premier ministre et du président de la République (fut-il son proche allié) ainsi que des autres composantes nationales, comme pour bien souligner qu’il se considère comme le « seul maître à bord ».


Cette posture transnationale à deux volets s’accompagne, dans le camp adverse, d’une tout autre posture, nombriliste celle-là, qui se limite à l’horizon réducteur des petits calculs partisans et électoraux. Paradoxalement, ces deux types de posture, bien que diamétralement opposés, ont un point en commun : elles font fi, pour des raisons totalement divergentes, du devenir du Liban et des intérêts vitaux de la population. Si bien que le pays est littéralement déchiré entre deux forces contraires : l’une, centrifuge, qui tente d’ancrer le pays à un projet expansionniste régional dont il n’a cure ; et la seconde, centripète, certes, mais qui nous plonge dans un gouffre sans fond et nous entraîne dans les méandres d’une politique politicienne qui fait barrage à tout sursaut national susceptible d’engendrer un plan global et intégré de redressement.

En cette année doublement électorale, une lapalissade s’impose aujourd’hui plus que jamais : toutes les factions souverainistes sont appelées à unifier leurs rangs et à faire converger leurs efforts pour élaborer un projet national dont les fondements devraient être la neutralité positive et la sauvegarde de ce qui, historiquement, a constamment constitué la raison d’être et la particularité du Liban dans cette région du monde.

Cela ne signifie pas pour autant que les parties concernées devraient abolir leurs spécificités partisanes ou occulter tout débat politique démocratique. Loin de là … Le but recherché devrait être de mener un combat, pacifique, autour d’un objectif fondateur bien précis : le recouvrement de la souveraineté de l’Etat, sans laquelle tout projet de réforme serait de la poudre aux yeux.

Le Liban a besoin aujourd’hui de leaders dotés de qualités d’homme d’Etat, capables de transcender la confusion entre les fondamentaux d’une nation et les petits calculs partisans, entre alliances extérieures équilibrées et annihilation totale – au profit d’aventures transnationales – des intérêts libanais les plus élémentaires.
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