À l'heure du tout numérique, la presse papier n'a pas dit son dernier mot

Lassitude d'une actualité uniformisée et dématérialisée: plusieurs médias voient dans la presse-papier un moyen de recréer du lien avec leurs lecteurs, face à l'accélération d'un journalisme numérique où la brève est parfois devenue le langage de base de l'information.


"Les Français ont énormément consommé depuis la pandémie (sur les écrans), il y a une +fatigue oculaire+", relève pour l'AFP l'historien des médias Fabrice d'Almeida. C'est aussi ce que constate Claire Blandin, également historienne dans ce domaine: "On est dans une ère où on est très connecté. Il y a une nécessité de couper, de voir d'autres formats et supports."C'est donc le pari lancé par les journalistes Annabelle Perrin et François de Monès, fondateurs du nouveau média épistolaire La Disparition, qui paraîtra à la mi-janvier sous la forme d'une lettre directement envoyée dans la boîte aux lettres de leurs abonnés.

Longue de 7 à 12 pages, celle-ci racontera une disparition (d'un service public, d'une espèce, d'un métier, d'une ville ou encore d'une maladie).

"La lettre est un format qui s'adresse directement aux lecteurs, c'est personnel, intime et ça crée un lien entre le lectorat et le média", avance François de Monès.

Cette nécessité croissante de lien, elle passe notamment par "l'objet de presse" pour Eric Fottorino, directeur de la publication du journal Le 1, fondé en 2014.

"Plus on dématérialise l'information, plus on a besoin de retrouver des objets de presse incarnés. Les gens veulent une information qu'ils puissent conserver, qui soit tangible, concrète et belle. Ils préfèrent des formats plus libres, qui peuvent être très longs", estime le co-fondateur du quotidien, vendu par abonnement ou en kiosque.

Les lecteurs "ont envie qu'on leur parle, et ça passe par la subjectivité du journaliste, par son regard", précise-t-il. "C'est ça qui fait que le lecteur peut s'identifier et sentir qu'on lui raconte une histoire à lui".

Avec la multiplication des temps d'écran liée à la pandémie, Eric Fottorino note un appétit croissant pour les contenus papier qui abordent notamment des questions sociétales autour de la dimension du lien aux autres.


Et le dernier numéro de l'année 2021 "Migrants: sommes-nous encore humains?" a battu un record de vente (40.000 exemplaires). "Le papier c'est notre navire amiral", dit le directeur de l'hebdomadaire, qui compte 23.000 abonnés en papier contre 2.000 en numérique.

Laurence Brière, 53 ans, préfère le papier. "Je trouve qu'on est déjà beaucoup sur les écrans, donc je n'ai pas envie de m'informer sur ce support", admet cette employée dans l'immobilier. "J'associe la presse-papier à un moment de détente. J'aime bien me balader avec, écrire des choses dessus, le corner", dit-elle, magazine en main dans un kiosque boulevard Montmartre à Paris.

Pour l'historien Fabrice d'Almeida, "il y a une place pour ce type de média dit de +niche+, destiné à un public délimité". Sa consoeur Claire Blandin note cette tendance à la "slow information", avec des formats plus longs, en période de crise.

"On a vu après la Première guerre mondiale un retour aux grands reportages qui a vraiment occupé tout l'entre-deux-guerres", rappelle-t-elle. "Des formats où la plume est importante et porte une parole plus personnelle et plus militante, avec plus d'espace pour développer un point de vue sur la société", poursuit l'historienne.

La presse-papier ne semble pas avoir dit son dernier mot, mais les deux historiens sont formels: elle est le plus souvent désormais un complément à la presse en ligne, elle ne la remplace pas.

Et même s'il est possible de remarquer un retour vers la presse-papier, la vente au numéro en version papier est passée de 58% à 52% sur les cinq dernières années, alors que celle en version numérique a grimpé de 4% à 20%, a indiqué à l'AFP l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM).

AFP

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