L’éditorial – L’après 25 mai 2000 :  Entre espace et territoire

Vingt-trois ans, déjà… Plus de deux décennies se sont écoulées depuis le retrait israélien du Liban-Sud, le 25 mai 2000. Deux décennies et plus, c’est long, mais la situation dans la région méridionale du pays est quand même demeurée excessivement précaire, tant au plan socio-économique qu’au niveau du rétablissement de l’autorité de l’État central. Que d’opportunités perdues durant tout ce laps de temps…
En ce 25 mai 2000, l’espoir était au rendez-vous. L’espoir en une période de paix réelle et durable, passage obligé pour un développement et une prospérité tant attendus. Le Hezbollah criait alors victoire, se posait en «libérateur», revendiquait un statut de «résistance». Autant d’atouts qui auraient pu faire de lui un parti jouissant d’une envergure véritablement nationale, malgré sa dimension communautaire. Un parti qui aurait pu – qui aurait dû – tendre la main à ses partenaires qui composent avec lui le tissu social libanais afin d’édifier (réellement) un État digne de ce nom. Mais c’était sans compter sa doctrine théocratique supranationale, élaborée au début des années 1980 du siècle dernier et basée explicitement sur une allégeance inconditionnelle au Guide suprême de la Révolution islamique iranienne.
Le cas spécifique du Hezbollah s’applique aux travaux du politologue français Bertrand Badie qui a établi dans son ouvrage La fin des territoires une distinction dans tout comportement politique entre ce qu’il définit comme «la culture du territoire» et la «culture de l’espace». Dans le premier cas, l’acteur politique focalise son projet dans un cadre national. Dans le second cas de figure, le leader ou la faction donne à son action une dimension supranationale qui s’inscrit dans un espace régional, voire international, qui tient peu compte des impératifs et des considérations liés à un pays, à un territoire. Ce qui compte dans la «culture de l’espace» c’est le projet idéologique qui dépasse les frontières.

Le Hezbollah s’est positionné d’office, dès son émergence, dans cette culture de l’espace du fait de sa doctrine théocratique liée irrémédiablement au régime des mollahs de Téhéran, plus spécifiquement aux pasdarans. Rien d’étonnant ainsi qu’il n’ait pas entrepris de capitaliser sur l’élan dont il bénéficiait après le retrait israélien du 25 mai 2000, pour tisser avec ses partenaires locaux des rapports équilibrés au service d’un projet national profondément réfléchi. Tous les excès, tous les débordements, tous les comportements miliciens coercitifs et répressifs, pour le moins qu’on puisse dire, étaient donc permis et justifiés haut et fort pour se placer au service du parrain régional, au détriment des impératifs des équilibres internes.
En optant de la sorte pour cette «culture de l’espace», le Hezbollah représente l’antithèse du testament politique de feu Mohammed Mehdi Chamseddine, trop tôt disparu. L’ancien chef spirituel de la communauté chiite libanaise avait à la fin de sa vie, dans des enregistrements audio publiés dans un ouvrage de référence, exhorté ses coreligionnaires à «ne pas avoir de projet chiite» supranational. Il appelait les chiites, non seulement au Liban mais également dans la région, à limiter leur action politique à la société dans laquelle ils coexistaient avec d’autres composantes locales.
Le Hezbollah, véritable tête de pont stratégique des pasdarans sur les bords de la Méditerranée et aux frontières d’Israël, n’a évidemment pas pris en considération ce testament politique de l’imam Chamseddine. Et il ne semble pas prêt de le faire. Cela apporte un éclairage affligeant à la double stratégie de déconstruction des secteurs vitaux du pays et de paralysie des institutions de l’État mise en place minutieusement par la formation pro-iranienne. Et cela explique que tant qu’une solution sérieuse à ce nœud gordien que représente le lien organique du Hezbollah avec ses maîtres à penser à Téhéran n’aura pas été trouvée, toutes les tentatives de redressement et de réformes déboucheront sur une impasse, même si l’ensemble des rênes du pouvoir sont livrées à tous les anges et les saints.
Puissent les grandes puissances, qui ont entretenu à travers les siècles des rapports privilégiés avec le Liban, tenir compte d’une telle réalité, à l’occasion notamment de la présidentielle, en évitant de livrer le pays du Cèdre à ceux-là mêmes qui cherchent à le défigurer, à saboter ses spécificités et sa raison d’être pour l’ancrer à des projets de société en tous points obscurantistes.
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