Valérie Cachard en mots, Hadi Deaibes en extension artistique…
Le texte de
La pièce est un lieu de rencontre. Dans les ruines d’une maison abandonnée, une femme en rencontre une autre à travers ses cahiers, lettres et objets. Elle se demande alors ce qui les a menées l’une vers l’autre. Construit sous forme de fouille archéologique littéraire, ce texte questionne les fondements de nos identités et l’histoire mouvementée de Beyrouth et de ses habitants. La scénographie du spectacle nous immerge dans la vie de Victoria K et de l’autrice et nous invite à un voyage entre le passé et le présent, l’absence et la présence, à travers un dispositif sonore et visuel qui met en dialogue le metteur en scène, l’autrice et le texte.
Dans des lieux submergés de douleur, là où l’on se plaît à trouver des boucs émissaires pour étancher la soif d’un avenir autre et assouvir des désirs de vengeance, le théâtre guérit. Au-delà des jugements et des affrontements, le théâtre est renouveau, mots sur maux, catharsis, résistance, pardon et espoir. Comme Valérie Cachard le mentionne dans la pièce: «Après l’ordre le désordre ou après le désordre l’ordre. Tout est une question de point de vue.»
Valérie Cachard et Hadi Deaibes répondent aux questions sur leur projet:
Quel est votre ressenti au fil des spectacles/lectures et de la transformation du texte initial? Sentez-vous que l'interprétation s'alourdit à force de vécu – le 4 août notamment?
Notre objectif est de faire entendre ce texte depuis que nous avons commencé à travailler en septembre 2021. Nous pensions faire une lecture musicale, mais très vite Valérie s’est détachée du texte. Elle le connaissait par cœur, Hadi a commencé à la diriger de manière naturelle et il a vite senti que la musique n’avait pas sa place ici, qu’il y avait une empreinte sonore contenue dans le texte qu’il devait faire émerger.
Chaque résidence nous a permis d’approfondir la dramaturgie, de définir nos places sur scène, de décider la ligne artistique à suivre pour élaborer la matière sonore et la lumière. Nous avons travaillé de nombreuses heures en ligne, vu que Valérie vit à l’étranger. Nous avons d’abord présenté en français un travail qui a constitué le socle de notre représentation actuelle qui est en arabe avec des surtitres en français. Il y a une distance qui s’est alors créée avec le texte initial que Valérie a choisi d’oublier pour pouvoir l’apprendre en arabe. Cela lui a permis de le redécouvrir et de l’aborder avec un imaginaire autre. Les mots en arabe ne renvoient pas aux mêmes images.
Nous avons travaillé une interprétation fluide, ouverte, accueillante. Nous parlons au public à travers un micro alors qu’il est dans le hall du théâtre. Nous l’accueillons à son entrée, l’aidons à se placer, l’abordons par moments. Hadi a posé sa table de travail au milieu du public et Valérie va à deux reprises se placer entre les spectateurs. Nous avons choisi de jouer à Zoukak, un des espaces artistiques les plus endommagés par le 4 août. Nous ne pouvons pas faire abstraction de notre environnement urbain qui se situe à quelques mètres du port. Mais le spectacle n’a rien à voir avec le 4 août.
 
Quel a été le retour du public après la représentation?
En règle générale nous avons ressenti un bon accueil de la part du public. Il y avait une très belle qualité d’écoute. Le texte est exigeant et demande un engagement mental. Nous avons senti que la plupart des spectateurs ont eu une écoute engagée. On nous a dit que les images ont fait voyager le public, qu’on a réussi à travers une mémoire individuelle à ramener la mémoire collective grâce à de petits détails. Parfois des spectateurs se sont réveillés le lendemain avec des images que les mots avaient suscitées en eux. Plusieurs étaient surpris d’entendre Valérie parler l’arabe. Ils ont apprécié le travail accompli pour arriver à ces représentations et ont été très sensibles à la relation que nous établissons entre nous et avec eux. Ils ont eu envie de lire le texte par la suite, ce qui nous fait évidemment très plaisir. Ils ont aussi eu chaud. Nous avons eu des soucis de climatisation…
(À Valérie C.) Vous qui, au fil des répétitions, remaniez vos propres mots, pensez-vous qu'un texte connaît jamais une fin?
Je pense qu’à un moment, le texte est terminé, oui. Il le faut, pour passer à autre chose. Pour Victoria K, cela s’est confirmé au moment de sa publication en version bilingue. Que le texte soit terminé ne signifie pas qu’il est figé. Nous avons passé des heures avec Hadi à réfléchir aux coupes que nous ferions, à comment et pourquoi transformer des passages écrits en matière sonore et visuelle. Je crois aussi qu’il y des parties qui résonnent plus fort ici et d’autres qui résonnent plus fort en Europe. Le texte permet, vu sa nature morcelée, d’avoir différentes partitions avec le même fil conducteur. Nous avons testé une lecture bilingue l’an dernier en France devant un public non arabophone et cela a fonctionné. L’arabe contient une si belle musicalité que les auditeurs ne ressentaient pas le besoin de comprendre tout ce qui se disait.
Jouer à Zoukak nous a aussi permis d’aborder l’espace de la salle autrement, en faisant entrer le public par la porte arrière. Traverser la scène l’engage déjà et lui indique qu’il sera quelque part partie prenante du spectacle.
Que ce soit pour le texte ou pour la mise en scène, à un moment le squelette est là, les intentions sont claires, mais nous pouvons nous permettre de modifier des choses à l’intérieur. Le spectacle est vivant et jouer devant un public apporte un nouveau regard. J’ai effectué de nouvelles coupes dans le texte au fil des quatre représentations par exemple.
 

Quel avenir pour la petite chaise jaune? Sera-t-elle toujours là à observer et raconter? 
Pour nous, la petite chaise jaune est le symbole d’une certaine mémoire, elle représente aussi le patrimoine délaissé. Elle est une invitation à s’asseoir à son tour et à prendre le temps de réfléchir à ce qui nous lie à la ville et à ses habitants. Nous avons la sensation qu’elle a bien joué son rôle durant ces quatre soirs de représentation. Nous avons hâte de la ressortir.
 
Qu'est-ce que le théâtre apporte au Liban? 
De la résistance. Une déconnexion. De la poésie. C’est un excellent exercice pour les sens. Il nous aide à maintenir une certaine distance avec le vécu du quotidien et parfois à repenser à des choses importantes oubliées. L’art fait cela en général. C’est une invitation à entrer en soi et une nourriture pour l’imaginaire.
En tant qu’interprète et metteur en scène, le théâtre nous permet de tout oublier et de focaliser toute notre attention sur la fabrication de cet objet que nous souhaitons partager.
Nous croyons qu’en partageant un spectacle, nous partageons aussi le temps qu’il a pris pour exister, les difficultés qu’il a traversées et toutes les étincelles qui ont jailli dans ce processus de création. Victoria K est très chargée. C’est un spectacle qui fatigue un peu parce qu’il demande la pleine attention du spectateur, mais nous croyons qu’il permet aussi de mettre de l’ordre ou du désordre, comme Valérie le dit dans la pièce: «Après l’ordre le désordre ou après le désordre l’ordre. Tout est une question de point de vue.»
Quels sont vos projets futurs?
Nous aimerions déjà pouvoir tourner avec ce spectacle. L’amener dans différents quartiers de Beyrouth et dans d’autres régions et puis, on espère, à l’international.
Nous allons travailler à une technique moins lourde pour les lieux qui seraient moins équipés et repenser notre format de lecture. Nous allons aussi continuer à faire vivre notre création radiophonique Paroles de femmes. Chacun de nous est aussi pris par des projets personnels (en lien avec le son, pour Hadi, et l’écriture, pour Valérie).
 
*Le texte du spectacle, édité par Esse éditions, est disponible dans toutes les branches de la Librairie Antoine.
Lien Instagram du spectacle: 
 

Marie-Christine Tayah
Instagram : @mariechristine.tayah
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