Parution d’une esquisse biographique du père Sahak Kéchichian, figure emblématique de la communauté pédagogique arménienne au Liban.
Une esquisse biographique du père Sahak (Isaac) Kéchichian (1917-2005), Le consolateur consolé, œuvre du Père Raffi Ohanessian, vient d’être présentée au cours de la commémoration du centenaire du Collège Saint-Grégoire l’Illuminateur (26-27 mai). Fondée au Liban en 1923, cette institution est le dernier fleuron de ce qu’il convient d’appeler la Mission d’Arménie, un extraordinaire élan missionnaire des jésuites vers l’Arménie, lancé par le Pape Léon XIII en 1881, auquel le génocide de 1915-1917 mit fin.
Figure emblématique de la communauté pédagogique arménienne au Liban, le père Sahak Kéchichian, fils de cordonnier, est né à Marache (Turquie) en 1917, en plein génocide. En 1923, ses parents gagnent la Syrie, puis le Liban, où il fera ses études secondaires et universitaires. Après sa décision de devenir prêtre jésuite, il poursuivra ses études de théologie en France. Il sera le dernier survivant de la Mission d’Arménie. Après la révolution d’Octobre 1917 en effet, la République soviétique d’Arménie contraindra les jésuites à fermer leurs institutions. Ce qui restait de la Mission se replia alors sur la Syrie (Alep et Damas) et le Liban, où fut fondé le Collège Saint-Grégoire l’Illuminateur (Achrafieh, Jeïtaoui), que le père Kéchichian dirigea de 1960 à 1998, après avoir exercé par intermittence la même fonction au collège Saint-Vartan, à Alep.
En 1998, les efforts du père Kéchichian pour se trouver un successeur jésuite arménien ayant tous échoué, ce phare pédagogique et culturel s’éteignit. Il se ralluma sans tarder, mais après avoir changé de vocation. Il fut en effet définitivement affilié au Collège Notre-Dame de Jamhour des pères Jésuites, dont il deviendra l’une des ailes pour le premier cycle. De ce fait, comme écrit le père Ohanessian, «son caractère arménien s’estompa. Les cours supplémentaires d’arménien disparurent progressivement, et la proportion d’Arméniens parmi ses élèves diminua».
L'ascèse d’un directeur d’école
Mesurons l’étendue de la patience et même de l’abnégation nécessaires à tout directeur d’école, pour apprécier le caractère et l’humanité dont le père Sahak fit preuve tout au long de ses 48 ans de carrière. Diriger une école avec les mille et un détails de cet épuisant travail, enfanter des générations de citoyens en les faisant parvenir à l’âge de raison, sans abuser de la puissance dont est dotée la fonction de directeur, fut en fait une longue ascèse pour cet homme remarquable que fut le père Sahak, souligne l’essai biographique. Dans son livre, Raffi Ohanessian énumère avec une pointe d’ironie la quinzaine de tâches que doit superviser ou accomplir tout directeur d’école qui se respecte, du prosaïque lavage à grande eau des classes, à la comptabilité, en passant par le travail propre à la direction: le scolaire et le parascolaire, la discipline, les absences, les autocars, les fêtes de fin d’année, les messes, les conflits entre les élèves, les visites des parents, etc.
Toutefois, ce service humain n’épuisa pas la soif d’absolu que Dieu avait déposée dans son cœur. Le ciel devait lui offrir pour étancher un peu cette soif la traduction, c'est-à-dire la passion du mot juste, de la tournure élégante, de la transposition fidèle, du maniement des langues, du respect de leur génie et même de l’amicale trahison. L’immense cadeau que reçut le père Sahak fut surtout la traduction vers le français des saints Grégoire de Narek et Nersès Chenorhali, deux géants de sainteté, dont les compositions paraîtront dans la prestigieuse collection Sources chrétiennes. Le père Sahak aura la profonde joie de voir Grégoire de Narek, le saint qu’il a traduit, proclamé docteur de l’Église catholique par le pape François, lors du centenaire du génocide arménien (avril 2015). «Je ne cherche pas le calme, mais le visage de Celui qui l’accorde», disait ce grand saint.
Dans sa tâche de traduction, il aura notamment pour compagnon de travail et vérificateur, le père Peter-Hans Kolvenbach, longtemps supérieur général des jésuites et d’autres érudits, comme le père Louis Boisset, avec lesquels il travaillera tantôt à la lumière de la lampe, et tantôt – lors des bombardements d’Achrafieh – à la lumière de la bougie. À l’occasion, il traduira aussi d’autres textes théologiques et poétiques, et composera lui-même des poèmes.
Trente voyages en Arménie
Pour maintenir vivants ses liens avec l’Arménie, le père Sahak y multipliera ses voyages, une trentaine en l’espace de 35 ans. Il y connaîtra la joie de voir occasionnellement sa mère et sa sœur. Plus tard, il s’emploiera, face au stalinisme rigoureux du régime, à réveiller la foi de jeunes Arméniens anesthésiés et leurrés par l’athéisme dominant. Il ne ratera aucune occasion d’introduire clandestinement, ou de faire introduire par des amis voyageurs, des Bibles et d’autres livres de prière ou liturgiques.
Aumônier scout
Comme pédagogue, le père Sahak saura être un parfait aumônier scout. Il faut avoir goûté au scoutisme pour savoir ce que cette activité d’encadrement de la jeunesse recèle comme capacité de mobilisation et d’élévation de l’âme. C’est une école de vie qu’il n’hésitera pas à mettre au service du Christ. Il y sera un excellent aumônier, prélude à la tâche qu’il assumera plus tard à l’Hôtel-Dieu, dans son grand âge. Il s’éteindra dans son lit, durant la nuit du 24 août 2005, non sans avoir vécu une dernière épreuve: quelques semaines auparavant, en effet, une voiture l’avait renversé à Antélias, et il avait dû passer quelques jours à l’Hôtel-Dieu.
En homme de prière, et en bon jésuite, le père Sahak Kéchichian vécut au rythme bien ignatien des «consolations» et des «désolations» qui sont le lot de tout disciple, dans une existence où rien n’est permanent, sinon les sacrements et l’amour de Dieu. Il fera de son mieux, assure le père Raffi Ohanessian, pour transmettre, sous l’effet de l’Esprit consolateur, cette «dilatation de l’âme» habituelle à tous ceux qui vivent près du Christ, foyer de toute consolation. Entièrement dévoué à servir le Liban et l’Arménie, sa vie ne fut pas sans déceptions profondes, que ce soit celle de voir la Mission d’Arménie disparaître, ou d’assister à la déstabilisation du Liban.
Le livre du père Ohanessian est un précieux travail de conservation et de mémoire, destiné à perpétuer les souvenirs d’une vie et les liens entre les générations. À la fin du livre, qui est agréablement illustré, son auteur publie en annexe la liste complète des premiers communiants du Collège Saint-Grégoire, de 1953 à 1998, avec des photos d’époque, ce qui en enrichit le côté album.
Une esquisse biographique du père Sahak (Isaac) Kéchichian (1917-2005), Le consolateur consolé, œuvre du Père Raffi Ohanessian, vient d’être présentée au cours de la commémoration du centenaire du Collège Saint-Grégoire l’Illuminateur (26-27 mai). Fondée au Liban en 1923, cette institution est le dernier fleuron de ce qu’il convient d’appeler la Mission d’Arménie, un extraordinaire élan missionnaire des jésuites vers l’Arménie, lancé par le Pape Léon XIII en 1881, auquel le génocide de 1915-1917 mit fin.
Figure emblématique de la communauté pédagogique arménienne au Liban, le père Sahak Kéchichian, fils de cordonnier, est né à Marache (Turquie) en 1917, en plein génocide. En 1923, ses parents gagnent la Syrie, puis le Liban, où il fera ses études secondaires et universitaires. Après sa décision de devenir prêtre jésuite, il poursuivra ses études de théologie en France. Il sera le dernier survivant de la Mission d’Arménie. Après la révolution d’Octobre 1917 en effet, la République soviétique d’Arménie contraindra les jésuites à fermer leurs institutions. Ce qui restait de la Mission se replia alors sur la Syrie (Alep et Damas) et le Liban, où fut fondé le Collège Saint-Grégoire l’Illuminateur (Achrafieh, Jeïtaoui), que le père Kéchichian dirigea de 1960 à 1998, après avoir exercé par intermittence la même fonction au collège Saint-Vartan, à Alep.
En 1998, les efforts du père Kéchichian pour se trouver un successeur jésuite arménien ayant tous échoué, ce phare pédagogique et culturel s’éteignit. Il se ralluma sans tarder, mais après avoir changé de vocation. Il fut en effet définitivement affilié au Collège Notre-Dame de Jamhour des pères Jésuites, dont il deviendra l’une des ailes pour le premier cycle. De ce fait, comme écrit le père Ohanessian, «son caractère arménien s’estompa. Les cours supplémentaires d’arménien disparurent progressivement, et la proportion d’Arméniens parmi ses élèves diminua».
L'ascèse d’un directeur d’école
Mesurons l’étendue de la patience et même de l’abnégation nécessaires à tout directeur d’école, pour apprécier le caractère et l’humanité dont le père Sahak fit preuve tout au long de ses 48 ans de carrière. Diriger une école avec les mille et un détails de cet épuisant travail, enfanter des générations de citoyens en les faisant parvenir à l’âge de raison, sans abuser de la puissance dont est dotée la fonction de directeur, fut en fait une longue ascèse pour cet homme remarquable que fut le père Sahak, souligne l’essai biographique. Dans son livre, Raffi Ohanessian énumère avec une pointe d’ironie la quinzaine de tâches que doit superviser ou accomplir tout directeur d’école qui se respecte, du prosaïque lavage à grande eau des classes, à la comptabilité, en passant par le travail propre à la direction: le scolaire et le parascolaire, la discipline, les absences, les autocars, les fêtes de fin d’année, les messes, les conflits entre les élèves, les visites des parents, etc.
Toutefois, ce service humain n’épuisa pas la soif d’absolu que Dieu avait déposée dans son cœur. Le ciel devait lui offrir pour étancher un peu cette soif la traduction, c'est-à-dire la passion du mot juste, de la tournure élégante, de la transposition fidèle, du maniement des langues, du respect de leur génie et même de l’amicale trahison. L’immense cadeau que reçut le père Sahak fut surtout la traduction vers le français des saints Grégoire de Narek et Nersès Chenorhali, deux géants de sainteté, dont les compositions paraîtront dans la prestigieuse collection Sources chrétiennes. Le père Sahak aura la profonde joie de voir Grégoire de Narek, le saint qu’il a traduit, proclamé docteur de l’Église catholique par le pape François, lors du centenaire du génocide arménien (avril 2015). «Je ne cherche pas le calme, mais le visage de Celui qui l’accorde», disait ce grand saint.
Dans sa tâche de traduction, il aura notamment pour compagnon de travail et vérificateur, le père Peter-Hans Kolvenbach, longtemps supérieur général des jésuites et d’autres érudits, comme le père Louis Boisset, avec lesquels il travaillera tantôt à la lumière de la lampe, et tantôt – lors des bombardements d’Achrafieh – à la lumière de la bougie. À l’occasion, il traduira aussi d’autres textes théologiques et poétiques, et composera lui-même des poèmes.
Trente voyages en Arménie
Pour maintenir vivants ses liens avec l’Arménie, le père Sahak y multipliera ses voyages, une trentaine en l’espace de 35 ans. Il y connaîtra la joie de voir occasionnellement sa mère et sa sœur. Plus tard, il s’emploiera, face au stalinisme rigoureux du régime, à réveiller la foi de jeunes Arméniens anesthésiés et leurrés par l’athéisme dominant. Il ne ratera aucune occasion d’introduire clandestinement, ou de faire introduire par des amis voyageurs, des Bibles et d’autres livres de prière ou liturgiques.
Aumônier scout
Comme pédagogue, le père Sahak saura être un parfait aumônier scout. Il faut avoir goûté au scoutisme pour savoir ce que cette activité d’encadrement de la jeunesse recèle comme capacité de mobilisation et d’élévation de l’âme. C’est une école de vie qu’il n’hésitera pas à mettre au service du Christ. Il y sera un excellent aumônier, prélude à la tâche qu’il assumera plus tard à l’Hôtel-Dieu, dans son grand âge. Il s’éteindra dans son lit, durant la nuit du 24 août 2005, non sans avoir vécu une dernière épreuve: quelques semaines auparavant, en effet, une voiture l’avait renversé à Antélias, et il avait dû passer quelques jours à l’Hôtel-Dieu.
En homme de prière, et en bon jésuite, le père Sahak Kéchichian vécut au rythme bien ignatien des «consolations» et des «désolations» qui sont le lot de tout disciple, dans une existence où rien n’est permanent, sinon les sacrements et l’amour de Dieu. Il fera de son mieux, assure le père Raffi Ohanessian, pour transmettre, sous l’effet de l’Esprit consolateur, cette «dilatation de l’âme» habituelle à tous ceux qui vivent près du Christ, foyer de toute consolation. Entièrement dévoué à servir le Liban et l’Arménie, sa vie ne fut pas sans déceptions profondes, que ce soit celle de voir la Mission d’Arménie disparaître, ou d’assister à la déstabilisation du Liban.
Le livre du père Ohanessian est un précieux travail de conservation et de mémoire, destiné à perpétuer les souvenirs d’une vie et les liens entre les générations. À la fin du livre, qui est agréablement illustré, son auteur publie en annexe la liste complète des premiers communiants du Collège Saint-Grégoire, de 1953 à 1998, avec des photos d’époque, ce qui en enrichit le côté album.
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