Jacques Rozier: un génie de la Nouvelle Vague s'éteint
Cinéaste épris des vastes espaces et des horizons lointains, Jacques Rozier, qui s'est éteint à l'âge de 96 ans, a, malgré un nombre restreint d'œuvres cinématographiques, émergé en tant qu'éminente figure de la Nouvelle Vague, suscitant l'admiration de ses contemporains et des critiques éclairés.

Jacques Rozier, lauréat du Prix Jean Vigo 1986 pour Maine Océan et du prix René Clair 1997 pour l’ensemble de son œuvre, ainsi que du prestigieux Carrosse d’or à Cannes en 2002, reste un réalisateur français emblématique. Parmi ses œuvres les plus notables figurent Adieu Philippine (1962), Du côté d’Orouët (1973) et Les Naufragés de l’île de la Tortue (1976). En plus de ces créations, il compte à son actif Fifi martingale (2001), qui n’a jamais connu les salles de cinéma, et Le perroquet parisien (2007), resté inachevé.



Qualifié de tendre anarchiste, Rozier était un fervent admirateur des voies moins fréquentées, un metteur en scène tantôt incontrôlable, tantôt dilettante, mais aussi un chercheur obsédé par l’image parfaite. Sa filmographie comprend également une vingtaine de courts métrages souvent acclamés et divers travaux pour la télévision.

En 2019, le regretté Jean-Luc Godard rendait hommage à l’influence durable de Rozier sur le cinéma français: «Quand Agnès Varda est morte, j’ai pensé: la vraie Nouvelle Vague, on n’est plus que deux. Moi et (…) Jacques Rozier qui a commencé un peu avant moi.»

La Nouvelle Vague, mouvement cinématographique des années 1950, visait à rompre avec les techniques traditionnelles au profit d’une approche expérimentale et individualiste, parfois même iconoclaste. Jacques Rozier, aux côtés de figures emblématiques telles que Jean-Luc Godard, François Truffaut, Agnès Varda, Louis Malle, Claude Chabrol, Jacques Demy et Éric Rohmer, reste l’un des piliers de ce mouvement.

La Cinémathèque française, saluant son décès, a ainsi évoqué: «Des cinéastes de la Nouvelle Vague, Rozier est celui qui divague. Celui qui aime que tout aille de travers, pour mieux alimenter son sens très particulier de la dramaturgie (…)»

Rozier voit le jour le 10 novembre 1926 à Paris. Diplômé de l’IDHEC (l’école de cinéma devenue la Fémis) en 1947, il assiste Jean Renoir pour French Cancan (1955) et réalise des courts métrages tels que Paparazzi et Le Parti des choses (les deux en 1963), mettant en scène les coulisses du tournage du Mépris de Godard.


Son premier long métrage, Adieu Philippine, sort en 1962. Capturant l’ambiance douce-amère de la jeunesse française pendant la guerre d’Algérie, il devient l’un des films emblématiques de la Nouvelle Vague. Malgré le soutien de Truffaut et de Godard, le film peine à trouver son public, tout comme son successeur Du côté d’Orouët, sorti onze ans plus tard.



Dans Les Naufragés de l’île de la Tortue, Jacques Rozier recrute l’étoile montante du cinéma français de l’époque, Pierre Richard. Ce film connaît un accueil un peu plus favorable que ses prédécesseurs. Le public y découvre l’humour cynique caractéristique de Rozier et son penchant pour les atmosphères oniriques. L’intrigue tourne autour de deux employés d’une agence de voyages qui tentent de lancer un concept touristique innovant, à la manière de Robinson Crusoé, qui se solde finalement par un fiasco.

Par la suite, Maine Océan (1985) présente un périple pataphysique à travers l’ouest de la France, peuplé de personnages excentriques: une chanteuse brésilienne, deux contrôleurs de train interprétés par Bernard Menez et Luis Rego, une avocate hystérique et un marin pêcheur irascible.

Lors d’une rencontre, en 2019, organisée par Télérama, le cinéaste émergent Guillaume Brac rend hommage au vétéran du cinéma: «Vos films dégagent une fausse légèreté, une fraîcheur qu’on ne trouve que dans les premiers films (…). Tous vos films ressemblent à de premiers films.»

Il continue en citant des réalisateurs français qui s’inspirent de l’approche singulière de Rozier, comme Sophie Letourneur, Justine Triet et lui-même: «Nous partageons la particularité d’avoir écrit et tourné notre premier film en quelques semaines, avec un scénario souvent incomplet et un financement minime. Des conditions qui vont à l’encontre de la norme actuelle où l’écriture peut prendre des années.»

À cela, le toujours pétillant Rozier rétorque: «Dès que j’entends quelqu’un me dire qu’il peaufine son scénario depuis deux ans, j’ai envie de lui dire de le garder pour lui. Le cinéma est une question de risque et de désir. Comme l’amour.»

Avec AFP
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