L'escalade des tensions entre Israël et l'Iran dans la région est devenue si préoccupante que de nombreux observateurs estiment que nous nous approchons d’un été qui sera «l’été de tous les dangers». Les manœuvres militaires récurrentes le long de la frontière libano-israélienne, en particulier ces dernières semaines, suscitent des inquiétudes croissantes. Surtout qu’elles interviennent dans le sillage de développements majeurs portant sur le dossier nucléaire iranien: un nouveau rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) révèle que les stocks d'uranium dépassent désormais 23 fois le seuil autorisé de 3,67%. Dans ce contexte, la région est sur le point d'entrer dans une période critique, du fait que les risques et les enjeux sont plus élevés que jamais.
Les manœuvres militaires le long de la frontière libano-israélienne et le dossier nucléaire iranien ne peuvent être dissociés, mais sont en réalité étroitement liés. En effet, Israël redoute de plus en plus que l'Iran ne parvienne à rejoindre le club très restreint des puissances nucléaires, ce qui constituerait un danger existentiel pour l’État hébreu; une telle appréhension fait l’unanimité sur la scène politique israélienne. La décision de l'administration américaine de se retirer de l'accord nucléaire JCPOA, sous la présidence de Donald Trump, a engendré une intensification de la production d'uranium iranien, au point que l’Iran détient désormais de l'uranium enrichi à 60%.
Certains rapports suggèrent même la présence d'uranium enrichi à 90% dans des installations souterraines gardées secrètes. De plus, l'Iran dispose de centrifugeuses ultramodernes, telles que les UR 235, qui renforcent sa capacité à enrichir de l'uranium à des niveaux dangereusement élevés. Le timing de l’escalade des tensions à la frontière libano-israélienne n’est donc pas un hasard, mais intervient dans un contexte de craintes israéliennes croissantes concernant le dossier nucléaire iranien.
La montée des tensions irano-israéliennes ces derniers mois se manifeste de manière inquiétante à travers trois territoires clés: le Liban, la Syrie et Gaza. Cette convergence d'actions souligne la notion d'unité des champs de bataille iraniens. Un exemple marquant de cette situation s'est produit début avril, lorsque le Hamas a lancé 30 roquettes depuis le sud du Liban vers Israël. En mai, des affrontements ont éclaté entre le Jihad islamique (pro-iranien) à Gaza et Israël avec le soutien du Hamas. Le 1er juin, le quotidien américain Washington Post a révélé de nouvelles informations concernant le financement par l'Iran de groupuscules anti-israéliens et anti-américains en Syrie. Ces trois événements, directement liés à l'Iran, confirment la notion selon laquelle ces trois territoires environnants seraient utilisés en cas de confrontation directe entre Israël et l'Iran.
Parallèlement, l'accord de Pékin signé le 10 mars dernier (qui structure la normalisation des relations diplomatiques entre l'Iran et l'Arabie saoudite), intervient aussi dans ce contexte de tensions entre Israël et l’Iran. Le royaume saoudien y voit une opportunité précieuse pour se tenir à l'écart de toute escalade potentielle entre l'Iran et les États-Unis (sans compter la sortie du bourbier yéménite au prix d’un désengagement au Liban ou du rapprochement avec la Syrie par exemple), tandis que le régime des mollahs satisferait ses ambitions expansionnistes dans la région.
Le risque qu'une frappe américaine puisse déclencher une riposte iranienne en Arabie saoudite, ce pays étant un allié majeur des États-Unis, est alors écarté. Riyad espère réduire les tensions et jouer un rôle de neutralité, se positionnant ainsi en dehors des conflits régionaux et préservant sa propre sécurité. Le royaume saoudien s’emploie ainsi à s'éloigner de toute escalade éventuelle et cherche à renforcer sa stabilité et à préserver ses intérêts nationaux sans être entraînée dans une spirale de violence.
Il convient de rappeler dans ce cadre que la frappe sur le site pétrolier d'Aramco en 2019, qui a entraîné des pertes estimées à 10 milliards de dollars pour l'Arabie saoudite, n'a pas suscité de riposte militaire ou diplomatique stricte de la part des États-Unis. Bien que ces derniers aient condamné cette attaque, l'absence d'une réponse significative a eu pour effet que l'Arabie saoudite s’est sentie vulnérable et incertaine quant à la garantie d'une protection américaine en cas d'escalade future.
En outre, les Émirats arabes unis ont pris des mesures significatives pour se désengager de toute confrontation potentielle entre l'Iran et Israël, avec la signature des accords d'Abraham en 2020, qui établissent des relations diplomatiques entre les Émirats arabes unis et Israël, témoignant de leur volonté de normaliser les relations et de favoriser la stabilité régionale.
Cette approche de désescalade s'étend également à leur position vis-à-vis de l'Iran. En effet, le 1er juin, les Émirats arabes unis ont annoncé leur retrait de la force maritime déployée dans les eaux du golfe, une mesure qui pourrait être interprétée comme un geste de détente envers l'Iran et un désir d'éviter toute implication directe dans les tensions régionales. Ce retrait souligne leur volonté de préserver leur propre sécurité et de se tenir à l'écart des conflits qui pourraient éclater dans la région, priorisant leur développement économique et la stabilité interne. N’oublions pas : il s’agit d’une région importante pour les États-Unis qui avaient annoncé la fortification de leur flotte maritime dans le Golfe arabe en mai dernier. Sans compter qu’il s’agirait d’un message fort aux États-Unis qui n’avaient pas pris de mesures en janvier 2022 suite à l’attaque houthi de drones contre Abou Dhabi.
Les prises de position récentes de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis soulignent une certaine méfiance de la part des alliés des États-Unis en cas d'éventuelle confrontation militaire. L'Arabie saoudite, en cherchant à normaliser ses relations avec l'Iran par le biais de l'accord de Pékin, montre qu'elle ne veut pas être entraînée dans des affrontements directs et risqués susceptibles de mettre en péril le projet « Vision 2030 » incarné par le prince héritier Mohamad Ben Salmane. De même, les Émirats arabes unis, en signant les accords d'Abraham et en se retirant de la force maritime dans les eaux du golfe, expriment leur volonté de se distancer de toute confrontation régionale.
Ces positions des alliés clés des États-Unis révèlent une certaine préoccupation quant à la fiabilité et à la capacité de leur allié américain à garantir leur sécurité en cas de crise. Ces mouvements suggèrent que ces pays cherchent à préserver leurs propres intérêts nationaux et à éviter d'être entraînés dans des conflits régionaux complexes.
Si une confrontation directe entre l’Iran et Israël demeure, selon maints observateurs, encore lointaine, les risques d’escalade semblent s’accroitre. Que ce soit au Liban, en Syrie ou à Gaza, la fibre anti-israélienne prend de l’ampleur. Le dossier nucléaire iranien (dont l’issue semble se dessiner) serait la raison de tous les conflits (Iran-Israël et Iran-États-Unis) et de tous les rapprochements (Iran-Arabie et Iran-EAU) de par la garantie sécuritaire que cela apporterait.
Sommes-nous aux portes d’une guerre régionale avec l’arrivée de « l’été de tous les dangers » ?
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