On se quitte sur le trottoir et la chanson de Moustaki à la chanteuse Barbara, m’accompagne: «c’est une longue dame brune»… Elle est pour elle. Je ne connaissais de Yasmina Farah qu’une autre chanson envoyée par un ami libanais qui me disait: «Cette femme va te plaire.»
Sur Instagram, la jeune avocate en droit des affaires rhabillait pour tous les hivers du siècle ces zaïms qui ont fait du Liban un infect marché où le clientélisme perpétue leur sinistre règne. Dans une adresse aussi acérée que subtile, Yasmina détourne Brassens et vise juste. Elle pourrait se contenter de sa vie apparemment confortable. Taire la révolte qui ne la lâche pas. Se résigner, en somme. Mais Yasmina chante. En octobre, elle a rempli une salle pendant trois soirées sur scène avec des chansons de Barbara. Les recettes participeront au financement de soins en pédiatrie à l’hôpital de la Quarantaine. Ce quartier pauvre de Beyrouth a été soufflé par l’explosion au port le 4 août 2020, ravageant l’unité de néonatologie du Dr Robert Sacy, le pédiatre des enfants de Yasmina. On le voit dans un reportage tourné quelques jours après l’explosion, figé au milieu des gravats et dire, déjà, qu’il reconstruira son service, qu’il faut recommencer.
Douce et déterminée, Yasmina est de la même trempe. N’allez pas lui parler de «résilience», concept galvaudé qu’on accole trop souvent à ces Libanais qui, toujours se relèveraient. Yasmina préfère parler de résistance. Elle est de cette génération «qui a tout connu». Née avec la guerre civile, elle a grandi dans un pays qui s’est battu contre l’occupation syrienne, a vécu une autre guerre en 2006, et qui s’est levé en 2019. Un peuple dans les rues pour hurler sa rage contre un système qui l’englue et brise les espoirs. «Beaucoup disent que la révolution a été un échec, mais elle a libéré la parole. Les barrières de la peur sont tombées.» Yasmina a vu aussi le souffle retomber, laminé par la terrible crise dont certains profitent encore, mais en mai, il y aura les élections. «J’espère que la société civile saura s’unir pour gagner. Sans cela, il sera impossible de crever le mur du son.» Dans un post récent, elle appelle la diaspora à se mobiliser, à s’inscrire sur les listes électorales parce qu’il ne suffit pas de cultiver de loin la nostalgie du pays.
Chanter Barbara, c’est emprunter les mots d’une «grande rebelle» et le faire avec élégance. Elle pose les siens aussi. Sur son blog, l’air de ne pas y toucher, délicate. Elle travaille sur un roman. Il me fallait trouver le bon endroit pour la photographier. Elle a choisi de s’installer devant sa bibliothèque. On a parlé livres, échangé quelques coups de cœur. Parfois, on me demande ce qui me lie à ce pays. Ce n’est pas ce bout de terre collé à la Méditerranée qui me touche tant, cette ville de Beyrouth devenue moche finalement avec ses tours et le béton qui gagne partout. Ce sont les gens d’ici qui me font revenir.
On se reverra Yasmina. Prends soin de toi.
Prochain article le lundi 10 janvier
Sur Instagram, la jeune avocate en droit des affaires rhabillait pour tous les hivers du siècle ces zaïms qui ont fait du Liban un infect marché où le clientélisme perpétue leur sinistre règne. Dans une adresse aussi acérée que subtile, Yasmina détourne Brassens et vise juste. Elle pourrait se contenter de sa vie apparemment confortable. Taire la révolte qui ne la lâche pas. Se résigner, en somme. Mais Yasmina chante. En octobre, elle a rempli une salle pendant trois soirées sur scène avec des chansons de Barbara. Les recettes participeront au financement de soins en pédiatrie à l’hôpital de la Quarantaine. Ce quartier pauvre de Beyrouth a été soufflé par l’explosion au port le 4 août 2020, ravageant l’unité de néonatologie du Dr Robert Sacy, le pédiatre des enfants de Yasmina. On le voit dans un reportage tourné quelques jours après l’explosion, figé au milieu des gravats et dire, déjà, qu’il reconstruira son service, qu’il faut recommencer.
Douce et déterminée, Yasmina est de la même trempe. N’allez pas lui parler de «résilience», concept galvaudé qu’on accole trop souvent à ces Libanais qui, toujours se relèveraient. Yasmina préfère parler de résistance. Elle est de cette génération «qui a tout connu». Née avec la guerre civile, elle a grandi dans un pays qui s’est battu contre l’occupation syrienne, a vécu une autre guerre en 2006, et qui s’est levé en 2019. Un peuple dans les rues pour hurler sa rage contre un système qui l’englue et brise les espoirs. «Beaucoup disent que la révolution a été un échec, mais elle a libéré la parole. Les barrières de la peur sont tombées.» Yasmina a vu aussi le souffle retomber, laminé par la terrible crise dont certains profitent encore, mais en mai, il y aura les élections. «J’espère que la société civile saura s’unir pour gagner. Sans cela, il sera impossible de crever le mur du son.» Dans un post récent, elle appelle la diaspora à se mobiliser, à s’inscrire sur les listes électorales parce qu’il ne suffit pas de cultiver de loin la nostalgie du pays.
Chanter Barbara, c’est emprunter les mots d’une «grande rebelle» et le faire avec élégance. Elle pose les siens aussi. Sur son blog, l’air de ne pas y toucher, délicate. Elle travaille sur un roman. Il me fallait trouver le bon endroit pour la photographier. Elle a choisi de s’installer devant sa bibliothèque. On a parlé livres, échangé quelques coups de cœur. Parfois, on me demande ce qui me lie à ce pays. Ce n’est pas ce bout de terre collé à la Méditerranée qui me touche tant, cette ville de Beyrouth devenue moche finalement avec ses tours et le béton qui gagne partout. Ce sont les gens d’ici qui me font revenir.
On se reverra Yasmina. Prends soin de toi.
Prochain article le lundi 10 janvier
Lire aussi
Commentaires