Dans sa première exposition solo à Beyrouth, Tarek Elkassouf nous propose une introspection au cœur des formes et de la matière. Voyage en pays minimaliste.
C’est un propos très personnel que nous livre Tarek Elkassouf à la galerie Saleh Barakat, dans une forme qui semble pourtant minimaliste et froide. Ce qui semble comme un paradoxe est à la base de ce long travail de maturation et d’épuration qui ressemble à une alchimie.
Retour vers le minimalisme et les héritiers du «less is more», ces artistes qui, comme Robert Morris, Carl Andre, Donald Judd, Frank Stella, Richard Serra ou Sol Le Witt, eurent en commun d’avoir voulu privilégier le dépouillement formel et la neutralité. Utilisant des structures élémentaires et des formes épurées réalisées dans des matériaux simples, ces artistes voulaient communiquer cette impression que la composition adoptée est la dernière possible avant sa dissolution. Le contenu d’une forme minimaliste n'étant autre que la forme elle-même, dans sa définition essentielle, l’objet produit n’a donc pas pour enjeu de transmettre une histoire émotionnelle.
Ce n’est pourtant pas ainsi que l’entend Tarek Elkassouf qui invite, à travers matières et formes, à une introspection qui est, de son propre dire, à la genèse même du processus créatif. S’inscrivant dans la lignée d’un certain minimalisme sculptural, c’est pourtant un langage personnel et profondément introspectif qu'Elkassouf revendique. Vécu comme une langue universelle par cet artiste à la formation d’architecte, le langage géométrique pur est, pour lui, à même de permettre une communion avec autrui. Il donne lieu, dans ce cas précis, à une forme où les enjeux plastiques et des contenus «spirituels» (émanant de la vie de l’esprit) se retrouvent au sein d’un dialogue entre le visible et l’invisible.
«Ceci est une invitation à vivre un deuil, nous dit-il au seuil de la visite, un processus par lequel j’ai dû passer pour produire ces œuvres (…). J’ai commencé par vouloir pleurer ma ville, Beyrouth, et j’ai voulu me réconcilier avec elle. Mais il est finalement apparu que je devais me réconcilier avec moi-même avant de rétablir ma relation avec la ville.»
The Future is Near se propose donc comme réponse humaine, intime, mais complexe, au phénomène de la perte. De fait, l’exposition s’organise autour des cinq étapes du processus de deuil: le déni, la colère, la négociation, la dépression et l’acceptation et s’achève sur un épilogue: Who are you now? («Qui es-tu maintenant?»). Ce faisant, ce voyage, on le comprend très vite, est surtout l’occasion, pour l’observateur, de contempler des objets au fini extrêmement étudié, au point qu’on se demande aussi si ces objets ne pouvaient pas tout aussi bien s’imposer en dehors de leur référence au récit qui les fonde.
Car Elkassouf est un artiste qui a un véritable langage plastique. Ce dernier est constitué de quatre matériaux, constitutifs de sa grammaire: le basalte, qui est une pierre volcanique, a également la particularité d’exister abondamment à travers le monde. Cette pierre explosive et unificatrice à la fois nous relie donc en tant qu’humains tout en nous reliant à l’énergie de la terre. Le deuxième matériau qui est le marbre de Carrare relie l’artiste à 2000 ans de sculpture, et donc à sa pratique. Le troisième élément, une pierre calcaire locale, cristallise le lien à son pays. La feuille d’or enfin, évoquant l’art religieux, lui permet de créer un espace sacré.
C’est donc à la croisée de connexions multiples et profondes que se conçoivent ces objets qui entretiennent également entre eux et avec l’espace qu’ils habitent des liens formels. À travers eux, Elkassouf explore les rapports entre les pleins et les vides. Rendus visibles, comme des espaces dans les espaces, ou entre eux, ces vides génèrent également d’autres formes. Le vide, dira-t-il, est comme «l'espace entre les mots, ou le silence dans la musique qui est aussi important que les notes elles-mêmes. C’est un espace entre deux mondes».
Ce travail sur les formes et les vides qu’elles laissent est également un travail sur les rapports de la lumière et de l’ombre, traitée elle aussi comme une matière, dans sa valeur positive: «J'essaie de comprendre les matériaux, combien de lumière ils contiennent et combien d'ombre. Et je trouve l'inspiration dans la recherche d'un équilibre dans les énergies des matériaux extraits du cœur de la terre.»
Car la question essentielle est effectivement celle d’une recherche d’équilibre: équilibre des énergies, des matières, des ombres et des lumières, des vides et des pleins qui sont autant de chemins plastiques que se donne l’artiste pour explorer le concept, lui aussi essentiel, de la conquête de l’équilibre après la perte.
Cette quête d’équilibre se conçoit parallèlement dans une dynamique de l’un et du multiple qui passe par une atomisation de l’objet qui, dispersé, ou démultiplié, acquiert une autre énergie: l’objet est ce qu’il est, mais il est également ce qu’il devient, et son évolution dans l’espace et le temps est constitutive de ce qu’il est. Mais il se ramasse aussi et se retrouve, dans une dynamique inverse, en dialogue avec le grand tout qui est ici l’espace de la galerie et son architecture cubique, et plus largement géométrique. C'est aussi ce que, empruntant au vocabulaire de la psychologie, l’architecte Walter Gropius appelle la «gestalt», désignant la sensation du tout, plutôt que la juxtaposition des parties. Vu de cette manière, chaque élément est ainsi à la fois autonome et unique tout en faisant partie intégrante de ce tout.
Après des études d’architecture et d’urbanisme, Tarek Elkassouf s’oriente vers le design puis la sculpture. En 2018, il est sélectionné pour une résidence à la Swatch Art Gallery de Shanghai. Et il a collaboré avec des marques internationales comme Cartier et Fifa. Ses œuvres font partie d’importantes collections et ont été présentées dans plusieurs expositions au Moyen-Orient, en Asie, aux États-Unis et en Europe. Il est aujourd’hui basé entre Beyrouth et Sydney.
The Future is Near, un titre qui donne envie d’aller de l’avant. À la galerie Saleh Barakat jusqu’au 12 août 2023.
Nayla Tamraz
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