Troubles de la conduite alimentaire (4)- La boulimie mentale

 
Voici le poignant témoignage de VictoriaXPayne, publié sur le site RTL:
Salut, les filles, je préfère ne pas garder l’anonymat parce que j’aurais l’impression de ne dévoiler qu’à moitié ma souffrance.
Je ne me suis jamais vraiment souciée de ce que voulaient dire ces mots: «anorexie», «boulimie», «TCA» ou autres, et pourtant, ce qui m’arrive m’y oblige, bien malgré moi, car du haut de mes 15 ans je suis boulimique.
Tout a commencé juste à cause d’une phrase que ma mère m’avait crachée au visage: «Tu es grande et la plus grosse, voilà!» Je préfère vous épargner le pourquoi de l’origine de cette phrase, mais le fait est que c’est au début d’août 2013 que ma vie a, disons, basculé.
À mon entrée au collège, donc dans la puberté, les changements se sont tout de suite vus sur mon physique, mon poids par conséquent. Étant déjà dotée d’une taille supérieure à la moyenne, mon physique n’y arrangeait rien. Néanmoins, malgré quelques complexes, je ne me prenais pas la tête (à 11 ans, vous savez, moi…). Mais c’est plus tard que les complexes ont commencé à me pourrir la vie. Avoir subi le jugement de sa propre mère, se faire traiter de «grosse» ne m’a pas beaucoup aidée. L’année dernière a été la seule fois où ma mère m’a traitée ainsi. Malheureusement ce fut une fois de trop. Je n’ai pas commencé à me faire vomir suite à ça… Non! J’ai commencé par un régime suicidaire, une à deux pommes par jour pendant les trois dernières semaines de vacances, régime dit «bénéfique» puisque j’ai perdu 10 kilos. J’ai commencé à vraiment m’aimer, mais ce fut de courte durée.
Aussitôt le début des cours, j’avais l’impression que le regard des autres pesait beaucoup plus que d’habitude sur moi. J’adorais et en même temps détestais cela! À un moment donné, je n’arrivais plus à manger de gras et dès que j’en mangeais (les rares fois) je me faisais aussitôt vomir. Je ne voulais absolument plus grossir, et cela à tout prix (J’en arrivais à ne manger que le matin et à me peser au moins trois fois par jour). Au bout de trois mois, suite à quelques recherches, je commençais à me demander si je n’étais pas anorexique, ce que je confirmais quelques jours plus tard, car je présentais tous les symptômes.
 Il m’a fallu beaucoup de volonté, de courage et d’ardeur pour pouvoir en sortir en toute discrétion (je voulais garder ce secret honteux), mais la vie n’est pas un conte de fées et rester chez moi ne voulait plus dire se reposer et flâner… Non. Ça voulait dire manger et juste manger. Alors, autant vous dire que je détestais les vacances et je les déteste toujours, mais disons que jusque-là j’arrivais à résister.
Ma boulimie a commencé il y a deux mois environ. Au début, cela ne me dérangeait pas de me faire vomir, j’allais même lire les témoignages dans lesquels certaines filles citaient les conséquences ou disaient tomber en dépression, voire dans la démence, et moi j’en rigolais (pas des filles et de leurs problèmes, mais juste le fait de me dire «et pourquoi ça m’arriverait à moi?»). Je me disais que je n’étais pas boulimique et que j’arrêterais quand je voulais et que c’est moi qui tirais les ficelles… Le fait de me dire ça fut ma première erreur et une belle connerie.
Et puis, au bout de deux semaines, une différence s’est faite en moi. Je me suis mise à avoir des instants où la seule chose que je voulais inconsciemment c’était me remplir, et en quelques minutes je mangeais pour quatre voir cinq, et à la fin venait ce sentiment de dégoût et de culpabilité. La seule chose qui me soulageait était de me faire vomir. Quelquefois, je savais exactement tout ce que je mangeais et je me disais tout de même «bof, de toute façon, j’irais vomir tout ça». Alors ça a commencé comme ça, je ne savais pas que ressentir à chaque instant cette envie de se remplir s’appelait «crise» ou «craquer» et que c’était un symptôme de la boulimie. Je n’y prêtais pas vraiment attention.
Puis, au fil des semaines, je me suis mise à prendre des laxatifs (plusieurs en une seule journée) et ça a continué comme ça. J’avais ce sentiment, lorsque j’étais devant ma famille, de n’être qu’une hypocrite. Mon physique me dérangeait en public, j’avais honte de rencontrer des gens de peur qu’ils ne m’aiment pas. Mon physique m’obsédait et m’obsède toujours.

Il y a une semaine, j’ai décidé de contrôler ces «crises». Lorsque je n’y arrivais pas, je refusais de me faire vomir, mais la balance prend le dessus sur moi lorsque je vois mon poids alors je succombe. Je n’aime pas me sentir comme ça, je n’aime pas savoir que je suis comme ça et que je ne serais jamais satisfaite de mon corps. Je suis entrée dans un cycle infernal et je n’arrive plus à en sortir, j’ai envie d’en parler, mais je ne sais pas à qui, j’ai envie de m’en sortir, mais je ne sais pas comment. Ça devient trop dur pour moi et chaque jour ça me ronge la tête. Je déprime. Certes je ne suis pas dans la démence, je sors, je rigole, je m’amuse, mais j’ai l’impression de sombrer doucement.
Alors j’avais besoin d’extérioriser mes démons en espérant que ça aille mieux. Je sais que c’est long et merci de m’avoir lue.
Comment pouvons-nous comprendre ce trouble de la conduite alimentaire?
On aurait tendance à percevoir la boulimie en opposition à l’anorexie, alors que ce n’est pas vraiment le cas. Ces deux conduites se rejoignent dans le profond sentiment de malaise et d’anxiété ainsi que dans la même problématique originaire. Ici encore, le corps parle, exprime, avec son langage propre, des souffrances qui n’ont pu être autrement symbolisées. Comme toujours, le conflit non résolu utilise le symptôme comme un code dont la clé se trouve dans l’inconscient du sujet.
La boulimie est un trouble des conduites alimentaires qui se manifeste par des crises irrésistibles pendant lesquelles un sujet avale une grande quantité d’aliments sans pouvoir s’imposer une limitation. Bien que ce ne soit pas à chaque fois le cas, à ces crises peuvent souvent succéder une stimulation manuelle de la gorge afin de provoquer des vomissements. On observe également une forme qui associe anorexie et boulimie, comme le montre le témoignage de VictoriaXPayne.
Généralement, le sujet boulimique est obsédé par son image corporelle, par la nourriture et la prise de poids, sur fond de sentiments dépressifs, de manque de confiance en soi, de dégoût et de honte, accompagnés d’angoisse et parfois d’autoscarification. Le corps de ce sujet n’est pas sexuellement investi, la sexualité génitale est évitée parce que perçue comme violente. Le risque de mortalité est présent à cause des vomissements forcés, des purges, de l’hyperphagie et des troubles biologiques qui en sont issus.
En réalité, les symptômes apparents du sujet boulimique lui sont nécessaires pour se sentir vivants. Ils sont l’expression apparente d’une profonde souffrance psychique latente. Ce sujet a bien, certes, de l’appétence, mais pour bien autre chose que la nourriture. Tout comme pour l’anorexie, les sujets boulimiques entrent dans des conduites dangereuses, mais affirment, paradoxalement, que cela les soulage, l’hyperphagie agissant comme une extériorisation d’émotions et de pulsions enfouies, mais ressenties comme menaçant le fragile équilibre que lui donne son sentiment d’être en contrôle.
Comme l’explique Philippe Jeammet, pédopsychiatre et psychanalyste, la conduite boulimique est une appétence forcée qui fait suite à une importante déception initiale. À l’instar de nombre de spécialistes, il n’hésite pas à classer la boulimie, comme d’ailleurs l’anorexie, parmi les conduites addictives.
Que représente alors la nourriture pour ces sujets? C’est, le plus souvent inconsciemment, un succédané toujours trompeur du premier objet d’amour, c’est-à-dire de la mère, cet objet d’amour idéalisé, fantasmé. C’est la nourriture mère qui est incorporée et qui est censée lui procurer un sentiment de bien-être. Mais cet espoir sera toujours déçu puisque l’aliment ingurgité ne saurait combler son attente. Car le sujet boulimique désire la présence continue d’une mère rêvée, il n’a jamais pu accepter d’y renoncer, il est dans la recherche constante d’un témoignage de l’amour maternel, dans la nostalgie de la fusion primaire, de la dépendance réconfortante au corps et au sein maternels. L’excès alimentaire symbolise la démesure de ce «toujours plus» d’amour maternel qui l’obsède, comme si s’en séparer, donc grandir, est rendu impossible.
Bien que la boulimie se dévoile souvent à l’adolescence, elle s’origine dans la période infantile durant laquelle la relation à la mère, si fondamentale pour l’avenir de l’enfant, a subi un dérèglement. Tout comme l’anorexie, la boulimie apparait bien comme la perturbation du lien entre une mère et son enfant. Une investigation poussée permet de retrouver fréquemment, à l’aube de ce lien, des carences affectives, une mère intrusive, affectivement absente, n’ayant pu jouer son rôle de digue pulsionnelle ou, pour reprendre l’expression de D. Winnicott, de «mère suffisamment bonne». C’est par sa présence ou sa brève absence, par sa compréhension de ce qu’est le véritable amour maternel, qu’elle permettra à l’enfant de tolérer progressivement la frustration sans dégâts irréversibles, sans angoisses excessives. Une mère déprimée, par exemple, en proie à de grandes souffrances, ne saurait offrir les réponses adaptées aux besoins et désirs de son enfant, de même qu’une mère angoissée et surprotectrice empêchera le processus de différenciation et d’autonomisation de son enfant.
Quant au père, il est plutôt défaillant dans son nécessaire rôle de séparateur de la relation duelle mère/enfant, afin de dégager la voie à une relation tripartite, différenciée, ouverte à autrui. Ayant de la difficulté à occuper sa place de représentant de la loi, il échoue à favoriser le processus d’autonomisation de l’enfant qui demeurera alors dans le conflit entre, d’une part, le maintien dans la dépendance à la mère et, d’autre part, la tentative d’y échapper. L’aliment avalé par le sujet boulimique représentera la mère à laquelle il demeure noué, son vomi figurera la mère rejetée, dans le but de s’en libérer. S’installera ainsi le cercle répétitif d’une conduite mécanique qui réussira à éviter la représentation symbolique du trouble, faisant le vide de toute pensée.
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