La messe Saint-Jean, une première mondiale au Liban

À l’occasion de la fête de l’Ordre de Malte, qui coïncide avec la fête de son patron, Saint-Jean-Baptiste, une messe fut célébrée en première mondiale, le 23 juin dernier, en l’église Saint-Joseph des Pères Jésuites - Monnot. Spécialement écrite pour la circonstance par le compositeur Nicolas Chevereau, elle était dédiée aux victimes du 4 août. L’église, décorée par Jean-Louis Mainguy, mariait subtilement les ornements floraux et les vases sacrés aux beaux drapeaux rouges avec leurs croix blanches aux huit pointes. La mise en lumière ocre et rouge mimait un soleil flamboyant au coucher. Pour que le tableau soit parfait, il y avait, venu pour la circonstance, Michel Tirabosco à la flûte de pan et la chorale de l’Université Notre-Dame de Louaizé dirigée par Père Khalil Rahmé, ainsi que la soprano Marie-Josée Matar et le ténor Béchara Moufarrej.
La Chorale de l'Université Notre-Dame de Louaizé le RP Khalil Rahmé le compositeur et pianiste Nicolas Chevereau la soprano Marie- Josée Matar le soliste Michel Tirabosco et le ténor Béchara Moufarrej
«Lorsqu'un malade viendra, qu’il soit porté au lit et là, tout comme s’il était le seigneur reçu, donnez ce que la maison peut fournir de mieux», précise la charte initiale de l’Ordre. Pour Marwan Sehnaoui, le président de l’association libanaise des chevaliers de Malte, «nos Seigneurs» sont les pauvres, les malades, les vieilles personnes, les abandonnés, les enfants défavorisés, les petits agriculteurs, les réfugiés, toutes les personnes en détresse, sans distinction de race ou de religion. Grâce à la générosité des donations et des partenaires, l’Ordre s’active sur quatre fronts, la santé, le social, l’agroalimentaire et le spirituel et mène actuellement soixante opérations différentes, réparties équitablement sur l’ensemble du territoire libanais.

Pourquoi Saint-Jean-Baptiste est le patron de l’Ordre de Malte?
Saint-Jean-Baptiste est le seul saint dont la naissance est fêtée dans le calendrier liturgique, avec la Vierge Marie et Jésus-Christ. Il est né un 24 juin, six mois avant la naissance de Jésus, son propre cousin. Son nom signifie «la grâce de Dieu». Jean définissait ainsi sa fonction qu’il connaissait à sa juste valeur: «Je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé avant lui» (Jean 3 : 28). Ou encore: «Il faut qu’il croisse et que je diminue» (Jean 3 : 30). C’est lui qui va baptiser Jésus dans les eaux du Jourdain et qui dira de lui: «Voici l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde». Il prêche une conversion constituée d’un bain rituel et de l’aveu des péchés, qui va préfigurer le sacrement du baptême. Son nom et son évangile sont associés à la joie. Celle qui le fit tressaillir dans le giron de sa mère quand la Vierge Marie rendit visite à sa cousine Elizabeth, sa mère. L’annonce faite à Zaccharie, le père de Saint-Jean, et l’annonce à La Vierge Marie sont étroitement liées. Y a-t-il une raison plus explicite pour justifier le choix de Saint-Jean-Baptiste comme saint patron de l’Ordre? Oui, c’est à l’emplacement même de la maison d’Elizabeth et de Zacharie, ses parents, que sera construite, en 1048, la première hospitalité de l’Ordre à Jérusalem, d’où son nom initial de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (son nom officiel dicté par son parcours historique étant l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte).

La messe composée par Nicolas Chevereau
L’œuvre de Nicolas Chevereau est principalement vouée à la musique vocale: un concerto pour soprano colorature et orchestre, une cinquantaine de mélodies pour chant et piano, des mélodies pour chant et orchestre et des pièces instrumentales. Ses œuvres ont été enseignées et jouées dans des académies prestigieuses. Elles ont été éditées chez Universal Edition, United Music Publishing et Delatour-France. En 2014, il reçoit le premier prix de composition au concours international Léopold Bellan. En 2016, il compose la musique des Chants d’amour, d’Alexandre Najjar, avec l’orchestre philharmonique du Liban, qui sera interprétée au palais de l’Élysée à Paris, à l’occasion de la visite d’État du président libanais en France en 2017. Cette même année, il obtient le prix de la Fondation Maurice Carême pour sa mise en musique de La Lanterne Magique. En 2021, ses Cinq poèmes de Baudelaire, pour baryton et orchestre, font l’objet d’une thèse de recherche, publiée par l’Université de Birmingham en Angleterre. En 2022, il obtient le «Best newly composed song», pour la mélodie Chez nous, à l’Opéra de Boulogne. Musicalement, Nicolas Chevereau se situe dans l’héritage de la musique française. Son style est tonal, mais avec une tonalité élargie, foisonnante d’imagination.

La messe composée par Nicolas Chevereau contient onze morceaux, comprenant l’ordinaire de la messe en latin, comme le Kyrie Eleison; le Gloria; le Sanctus; l’Agnus Dei ainsi que d’autres textes inspirés des Écritures saintes, notamment les psaumes et les hymnes liturgiques de la tradition catholique, voire même d’anciennes prières chrétiennes. Il y a le piano, le chœur, les deux solistes et un autre instrument, la flûte de pan. Le texte d’entrée est un hommage à l’action et au martyre de Saint-Jean qui, le feu dans le cœur, a annoncé la venue du Rédempteur. Avec le piano, Chevereau dit qu’il a essayé d’imiter le son de l’Angélus pour l’entrée, et beaucoup de fidèles dans l’assistance l’ont entendu de cette manière. La forme de cette musique, c’est le rondo, formé d’alternance entre refrain et couplets. Le refrain est chanté par le chœur et les couplets sont distribués aux solistes. L’esprit général de cette messe est inspiré par la joie de l’Esprit saint. Les textes sont récités en grec, latin et français. Ils sont traités le plus souvent de manière syllabique, dans un souci constant de clarté. Le Kyrie se distingue par des couleurs très douces, des tonalités mineures. Le Gloria, qui est toujours un gros morceau, déploie une musique extrêmement joyeuse. C’est une forme classique ABA. Le piano mène la danse, avec un style concertant. Le psaume 24, «Seigneur, enseigne-moi tes chemins», est interprété par Marie-Josée Matar, accompagnée du piano. Le compositeur et pianiste l’a mis en musique sous forme de mélodie jouée au piano, de caractère introverti. Ensuite, c'est l’Alléluia avec les solistes, Marie-Josée Matar et Béchara Mouffarej, qui chantent alors que, derrière, on entend le chœur qui les accompagne sans texte pour constituer un fond sonore. Puis retentit l’hymne à Saint-Jean-Baptiste en français, suivi de l’offertoire, qui est une pièce pour flûte et piano, juste instrumentale, une pièce de circonstance. Ensuite, c'est le Sanctus, avec le chœur et le piano, sans solistes. L’Hosanna remplit le lieu, dans une couleur piano, introvertie, méditative, suivi de l’Agnus Dei, une écriture fuguée où les voix se répondent. Après, c’est la première Communion avec le Tantum Ergo qui est à la base un chant grégorien, avec juste l’intervention du ténor et du piano. Chevereau a conçu un morceau musical nouveau créé sur le texte. Mais il a tenu à faire ressortir une couleur à l’ancienne: «J’ai tenu à ce que, dans cet air, le ténor puisse faire des mélismes orientaux sur le mot Amen, en hommage à la musique orientale que j’aime. Je l’ai signalé clairement dans ma partition», confirme-t-il à Ici Beyrouth. Puis vient la deuxième Communion avec «Âme du Christ», une ancienne prière chrétienne jouée et chantée à l’unisson pour symboliser l’union dans le Christ et l’union dans la paix. Vers la fin, la flûte reprend la mélodie accompagnée du piano et nous entendons résonner tutti pour «Âme du Christ». En guise de clôture, la sortie se fait sur l’hymne à Saint-Jean-Baptiste, «Ut queant laxis resonare fibris», le célèbre texte qui a donné naissance aux notes musicales. Tout le monde l’interprète à l’unisson, puisque l’accent est à la joie.
«C’est l’occasion pour moi qui suis chrétien catholique de mettre ma foi au service de la musique, même si je considère que la musique profane est aussi de la musique religieuse, car toutes les expressions du beau constituent pour moi une louange à Dieu», déclare Nicolas Chevereau, lors du vin festif.
Le compositeur de la messe Nicolas Chevereau Le Père Khalil Rahmé qui a dirigé le Choeur les solistes Marie- Josée Matar et Béchara Mouffarej et le concertiste Michel Tirabosco
Les acteurs du succès
Le père Khalil Rahmé fonde en 1993 la chorale et l’école de musique de Notre-Dame de Louaizé, alors qu’il occupe plusieurs fonctions au Conservatoire national de musique libanaise, dont celles de directeur de la chorale et d’instructeur en formation musicale. Il a composé plusieurs oratorios, motets, musiques de chambre et musiques de films. Il est à l’origine de la Semaine libanaise de l’orgue (SOL) dont il est le directeur artistique. Quant à la chorale de l’Université Notre-Dame (NDU) qu’il a fondée, elle ne cesse d’accumuler les distinctions et les récompenses internationales et s’est produite dans le monde entier, lors des grands festivals. La chorale collabore avec l’orchestre philharmonique du Liban et d'illustres compositeurs internationaux comme Gabriel Yared, Iyad Kanaan et Valentino Miserachs Grau, dans le cadre de la riche panoplie de musique libanaise qui s’ajoute à son répertoire annuel comprenant des chœurs symphoniques. Dirigée par le chapelain de l’Ordre de Malte, le père Khalil Rahmé, la chorale de l’Université Notre-Dame est devenue l’une des plus performantes et les plus prisées de la région.
L'église Saint-Joseph décorée par Fra Jean-Louis Mainguy à l'occasion de la fête de l'Ordre de Malte qui coïncide avec la fête de son patron Saint- Jean Baptiste.
Marie-Josée Matar, dont la voix touche par son timbre cristallin autant que par sa puissance et la justesse de son expression, s’est produite dans de grandes salles de concert dont celles du palais de l’Élysée, de l’Hôtel de Ville à Paris, du Palais des Nations Unies à Genève, ainsi qu'au festival des Nuits d’Orient à Dijon. Elle a collaboré avec le pianiste Georges Daccache et les compositeurs libanais Béchara el-Khoury, Toufic Succar et Iyad Kanaan en ayant pour objectif de défendre le patrimoine musical libanais. Parmi ces récentes interprétations, citons le Requiem de Fauré avec l’orchestre philharmonique Georges Enescu à l’Athénée roumain de Bucarest; le Lobesang de Mendelssohn et la Neuvième Symphonie de Beethoven avec l’orchestre philharmonique libanais; le requiem de Mozart et le Requiem de Brahms. Le soir du 23 juin, sa voix s’est élevée dans l’église, pure comme un diamant, renforçant l’ambiance de recueillement.
Bechara Moufarrej a suivi des études en Italie, avant de rejoindre le studio d’Opéra de Beyrouth. Partout où il chante, sa prestation connaît un retentissement énorme et bien mérité de l’avis des entraîneurs vocaux, des chefs d’orchestre internationaux et des connaisseurs. Il s’est produit avec des orchestres illustres tels que le Royal Philharmonic Orchestra, le Bayerische State Orchestra, l’orchestre philharmonique libanais, la Filarmonica Romana et le Welch National Orchestra. Il a également collaboré avec des étoiles au firmament de la musique comme Badiaa Sabra Haddad (Liban), Simone Alaimo (Italie), Micaela Mingheras (France) et beaucoup d’autres. En 2016, Béchara Mouffarej a obtenu un visa de talent exceptionnel octroyé par le gouvernement britannique pour intégrer le National Opera Studio et depuis, il réside à Londres. Béchara Mouffarej a réussi à transporter l’audience, la veille de la Saint-Jean, au septième ciel, avec sa voix chaude et cristalline, auréolée de mysticisme.
Michel Tirabosco, musicien concertiste d’origine suisse, nait et grandit dans une famille d’artistes à Rome. À l’âge de sept ans, il commence la flûte de pan qu’il trouve adaptée à sa morphologie, ayant les deux bras atrophiés. À vingt ans, il est le premier à obtenir un certificat de flûte traversière avec félicitations du jury. Il approfondit ses études musicales, obtient un diplôme du Conservatoire supérieur de Genève et remporte le prix du Conseil d’État. Son talent le propulse sur la scène internationale et le fait considérer par la presse comme le jeune prodige de la flûte de pan. Il donne aujourd’hui cent concerts par an dans les auditoriums et théâtres prestigieux du monde. La musique correspond pour lui à une quête de soi. Sa prestation en l’église Saint-Joseph est un tour de force qui transcende la musique vers les hautes sphères du spirituel. «Donne-moi la flûte et chante, le chant est la meilleure des prières» Khalil Jibran.
 
Commentaires
  • Aucun commentaire