L’homme doit s’appuyer sur le passé et tendre vers l’avenir, nous dit Henri Bergson. De ce siècle dernier où notre pays a connu diverses occupations, la famine, des guerres et des misères, nous allons retenir l’édification d’une nation, son impact dans le monde, son rayonnement culturel et sa formidable vitalité. Mois par mois, un peu de ces petites lucioles d’hier pour éclairer notre chemin vers demain.
Juste commencer par l’événement phare qui a éclairé juillet de la plus belle des lumières. Le 25 juillet 1972, Miss Liban, Georgina Rizk, 18 ans, est sacrée à Miami plus belle fille de l’univers. Née à Beyrouth en 1953 d’un père libanais et d’une mère hongroise, Georgina Rizk est déjà mannequin et connue du milieu lorsqu’elle remporte, en 1970, le titre de Miss Télévision. Les choses vont s’enchaîner. Le 7 novembre 1970, elle sera élue Miss Liban 1971 lors d’une cérémonie à l’hôtel Phoenicia, puis «la plus belle fille de l’univers». Le pays est en liesse.
Sinon, en juillet, Beyrouth se vide de ses habitants qui «estivent». Cette habitude remonte même à l’époque où la capitale était intra-muros, «,à l'intéreur des murs». On choisissait alors les collines de Kantari, Geitaoui et même Moussaïtbeh plus venteuses. Plus tard, c’est dans de charmants villages que l’on passait l’été, une fois l’année scolaire terminée, en attendant la rentrée d’octobre. Les expositions artistiques, les représentations théâtrales et les conférences laissaient alors la place aux festivals, aux fêtes sur les plages, aux compétitions sportives et aux nombreuses manifestations touristiques partout au Liban. Ainsi le Festival de Baalbeck est au rendez-vous, chaque année, immanquablement, depuis 1955. Le 22 juillet 1956, c’est l’ouverture du IIe festival qui vient d’être officiellement institutionnalisé par le Président Chamoun pour en faire un événement incontournable chaque été. Les touristes, mais surtout les Libanais, assistent, ravis, au récital du violoniste Aldo Mancinelli accompagné de l’orchestre national de Hamburg. Il sera suivi du pianiste Wilhelm Kempf. L’année suivante, l’inauguration se fera le 25 juillet avec la troupe de l’Old Vic qui interprète devant plus de 1.200 spectateurs Le Marchand de Venise de Shakespeare. Il n’y aura pas de festival en 1958 à cause des événements, mais le 25 juillet 1959, ce sont les I Musici de Rome qui ouvrent le bal avec trois récitals dont le dernier verra la performance de la soprano Rosalind Elias originaire de Zahlé.
En 1960, c’est un spectacle d’un genre nouveau qui inaugure le Festival, le 16 juillet. Dans un superbe son et lumière, les spectateurs éblouis vont revivre les heures glorieuses de la Cité du Soleil. Dans un tout autre registre, c’est avec le théâtre et les grands noms de la Comédie Française, comme Robert Hirsch, Jacques Charon, Annie Ducaux, Georges Descrières et Michel Aumont, que s’ouvre le Festival le 19 juillet 1961. Les Fourberies de Scapin de Molière, Britannicus de Racine, L’Île des Esclaves de Marivaux enchantent le public. Le 19 juillet 1962, la flûte enchantée de Jean-Pierre Rampal inaugure le Festival, suivie le 27 juillet de ce qui devait devenir une habitude incontournable: les Nuits folkloriques. Dans une opérette des Rahbani, les voix de Feyrouz et Nasri Chamseddine s'élèvent haut dans le ciel. Les années suivantes, c’est de nouveau avec le théâtre que vont s’ouvrir les éditions de 1963 et 1964, avec Horace, Le Bourgeois gentilhomme, Amphitryon et Cyrano de Bergerac magnifiquement interprété par un Jean Piat au meilleur de sa forme. Le 22 juillet 1964, c’est le puissant duo de Rudolf Noureev et Margot Fonteyn qui va danser dans le superbe site. En juillet 1965, retour à la musique avec l’orchestre de chambre de Moscou, et, le 29, Andromaque, avec Geneviève Page et Alain Cluny dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault. En 1966, 1968 et 1970, c’est Oum Koulsoum, l’«Astre de l’Orient» qui va inaugurer les festivités devant un parterre en délire. Le 17 juillet 1971, c’est Ella Fitzgerald qui se produit devant plus de 3.000 personnes et le 6 juillet 1973, Miles Davis enflamme les pierres. Deux géants pour un festival qui prend de plus en plus d'envergure. Le 18 juillet 1974, c’est Aragon en personne qui présente en première mondiale sa pièce Le Fou d’Elsa. Le festival s’éteindra par la suite pour reprendre en 1996 avec la soprano Barbara Hendrix.
Autres festivals qui agitent l’été: celui de Byblos qui s’affirme et celui de Deir el Kalaa qui se distingue. Également inscrit dans le calendrier de l’été, le festival des Cerises de Hammana qui rassemble chaque année en juillet petits et grands. Le 29 juillet 1972, le festival international de Tyr fait scintiller la côte libanaise. Après la guerre, le festival de Beiteddine, dont les spectacles s’étalaient plutôt durant le mois d’août, reprend sa place avec notamment, le 11 juillet 1997, la troupe du Bolchoï et, en 1998, une programmation qui donne le tournis avec Cesaria Evora, Andrea Bocelli, Marie-Claude Pietragalla.
Le nom du Liban brille fort au firmament et la presse occidentale ne tarit pas d’éloges. Le 25 juillet 1961, le pavillon du Liban à la Foire internationale de Chicago reçoit une médaille d’honneur pour son aménagement. En juillet 1963, le Times écrit, dans un article consacré au pays, que «le Liban a beaucoup à offrir aux visiteurs. Beyrouth apparaît comme un visage moderne, souriant, couronné de fleurs». La même année, le Conseil national du tourisme inaugure le premier bureau du Liban à Francfort, événement salué par la presse allemande. Mais l’événement le plus important de cette formidable époque aura été sans conteste le Bal des petits lits blancs. Tenue pour la première fois hors de France, cette grande fête qui durera trois jours, début juillet 1964, réunira au Liban plus de 250 participants étrangers et autant de membres de la presse. Trois jours de folie comprenant une somptueuse soirée au Casino (le 3) où un énorme buffet préparé par Georges Rayess réunira le summum de la gastronomie libanaise, avec, sur les terrasses, des femmes «battant» le kebbé ou faisant virevolter le pain markouk, tandis que les hommes tournent les broches des shawarmas. Tout ce beau monde assistera ensuite à la revue S’il vous plaît. Le lendemain, un bal aura lieu au palais de Beiteddine qui s’achèvera neuf heures plus tard par un magnifique lever du soleil à Baalbeck. Parmi les présents: Gilbert Bécaud, Philippe Bouvard, Géraldine Chaplin, Pierre Cardin, Jean Piat et des têtes couronnées venues du monde entier.
Juillet au Liban, c’est aussi l’inauguration par Roosevelt, le 13, en 1939, du Pavillon libanais à la World Fair de New York. À cette occasion, le commissaire pour le Pavillon, Charles Corm, prononça un discours en arabe, français et anglais. Ce sont des noms français qu’on choisira pour baptiser certaines rues de Beyrouth, en 1943: place de l’Étoile, rue de France, rue du Général de Gaulle. C’est aussi les élections, en 1953, au cours desquelles les femmes votent pour la première fois. S’investissant parfaitement en politique, les Libanaises poursuivent sur leur lancée et en juillet 1963, deux femmes, Lamia el Hadathi et Alice Rassi seront élues moukhtars. La même année, Laure Moghaizel est élue vice-présidente de l’Union internationale des femmes. Le 13 juillet 1964, la marquise Alice de Freige, présidente de la Croix-Rouge libanaise, nous quitte après une vie consacrée à alléger les souffrances. S’ouvrant résolument au monde, le Liban s’apprête à construire une Cité sportive digne de ce nom d’une superficie de 525.000 m2 avec une capacité de 50.000 personnes. La première pierre sera posée à Bir Hassan le 19 juillet 1955 par le président Chamoun. Le 1er juillet 1959, la grotte de Jeita est ouverte au public pour la première fois. Avec ses frontières allant de Nahr el Kalb à Naamé en remontant jusqu’à Mansourieh et Jamhour, le Grand Beyrouth prend naissance le 15 juillet 1961, à la suite d'un décret gouvernemental. Le 9 juillet 1972, la Résidence des Pins est cédée à la France aux termes d’un accord conclu entre l’État français et la municipalité de Beyrouth.
Dans le cadre d’événements un peu insolites et qui n’arrivent que chez nous, l’arrivée d’Oscar Niemeyer au Liban pour travailler sur la Foire, en juillet 1962, a failli ne pas avoir lieu à cause d’un fonctionnaire qui avait décidé de son propre chef que l'architecte figurait sur la liste noire de boycott d’Israël. En juillet 1964, Hussein Oueyni, un peu trop pudique, s’offusque de la mode des bikinis et décide d’interdire le port de ce maillot qui «porte atteinte aux bonnes mœurs et aux traditions nationales». En juillet 1969, il sera interdit aux hommes portant les cheveux longs d’entrer au Liban. La mode hippie ne passera donc pas par Beyrouth.
Tania Hadjithomas Mehanna
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