Le communiqué signé conjointement par les quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban, distribué à la presse jeudi dans l’après-midi, a secoué le paysage politico-économique qui s'enfonçait dans une léthargie destructrice. Le texte en dit long sur la subtilité de la prochaine échéance, dans le secteur financier : celle de la désignation d’un nouveau gouverneur à la Banque centrale. Il donne le "la" pour le lancement des discussions autour de l'échéance du 31 juillet, date à laquelle prendra fin le mandat du gouverneur, Riad Salamé.
Les quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban, Wissam Mansouri, Bachir Yakzane, Salim Chahine et Alex Mouradian sont sortis de leur silence, pour la première fois depuis leur nomination en juin 2020, et ont signé conjointement un communiqué qui cloue au pilori la classe dirigeante dans toutes ses composantes.
Dans leur communiqué, les vice-gouverneurs ne vont pas par quatre chemins pour dénoncer explicitement et avec véhémence un comportement répréhensible de la classe au pouvoir, s’opposant à l’extension de «la notion d’expédition des affaires courantes à l’Autorité monétaire suprême de l’État», d’autant plus que les forces politiques sont en désaccord sur un plan de sortie de crise.
Le communiqué apparaît comme un coup de semonce clair adressé par les vice-gouverneurs aux dirigeants sous peine de démission. Si le mot de démission n’a pas été littéralement évoqué dans le communiqué, il a été sous-entendu, lorsqu'ils ont évoqué "des mesures qu'ils comptent prendre dans l'intérêt général". Un peu plus tard, la tendance à la démission a été confirmée par le troisième vice-gouverneur Salim Chahine à l’agence Reuters.
«Considérant les divergences politiques qui se sont manifestées, dans l'impossibilité d'élire un président de la République et de pourvoir aux postes vacants dans les administrations et institutions de l'État, et leur impact sur le travail des autorités législative et exécutive ; compte tenu du désaccord entre les forces politiques au niveau de leurs approches d'un règlement de la crise économique et financière, et puisque les banques centrales formulent leurs politiques monétaires conformément à la politique générale de l'État, ce qui est malheureusement incohérent dans la situation actuelle de l'État libanais ; en l'absence d'un plan global et clair pour rétablir l'équilibre financier et bancaire, ainsi que pour atteindre l'équilibre du budget de l'État, qui permettrait à la banque centrale de jeter les bases monétaires et financières pour restaurer la confiance, il est inacceptable que la notion d’expédition des affaires courantes s’étende à l’autorité monétaire suprême de l'État", ont-ils écrit dans l'exposé des motifs de leur cri d'alarme.
"Le mandat du gouverneur de la Banque du Liban venant à expiration le 31 juillet 2023, nous considérons qu'il est de notre devoir d'insister sur la nécessité de nommer un gouverneur conformément à l'article 18 de la loi monétaire et de crédit dans les meilleurs délais, faute de quoi nous serons contraints de prendre la mesure que nous jugeons appropriée dans l'intérêt public », lit-on dans le communiqué.
Démission et insoumission
Contacté par Ici Beyrouth, un des vice-gouverneurs qui a requis l’anonymat a confié que «l’indépendance des vice-gouverneurs exige des choix difficiles». Une source bancaire, qui a accueilli favorablement la position des vice-gouverneurs, a interprété le communiqué comme étant «l’expression d’une volonté claire de ces derniers de ne pas se soumettre aux désidérata des responsables politiques, qui distillent à la presse depuis un certain temps "des scénarios rocambolesques" au sujet de la gestion de la BDL avec la fin du mandat de M. Salamé». Des scénarios, qui prévoient tantôt que le gouverneur actuel de la BDL soit nommé consultant, tantôt que la Banque centrale soit gérée par une entité collégiale.
Cela dit, le communiqué signé conjointement par les quatre vice-gouverneurs dont le premier vice-gouverneur Wissam Mansouri, pressenti pour assurer l'intérim à la tête de la BDL, après le 31 juillet, prouve s’il en est besoin leur position unifiée et leur solidarité. Ils s'inscrivent en faux contre les prétentions de discorde entre eux véhiculées par certains milieux politiques et montrent qu'aucun d'eux n'est prêt à assumer la responsabilité d'un vide qui risque de se prolonger à la tête de la BDL, en raison des conflits politiques.
Dans ce contexte, une source politique, qui se réfère à des propos du chef du Législatif Nabih Berry sur la nécessité de ne pas laisser des postes-clés vacants, à l'instar de celui du commandant en chef de l'armée ou du gouverneur de la banque centrale, et la possibilité de recourir à des nominations "motivées par le principe de nécessité en droit constitutionnel", suppose l’existence d’un processus en cours à feu doux pour la prorogation du mandat de l’actuel gouverneur de la BDL. Un scénario peu probable peut-être, vu la série de déclarations faites par Riad Salamé dans lesquelles il a écarté toute possibilité de «rester à son poste» après la fin de son mandat actuel, mais qui n'est pas à écarter.
Quel que soit le développement de la situation dans les semaines à venir, les vice-gouverneurs auraient eu le mérite de faire entendre leur voix et le courage de vouer aux gémonies une caste politique criminelle.
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