La caméra de David Hury scrute New York
©Crédit photo : David Hury

 
Sa poésie se reflète dans ses photos. David Hury affiche une philosophie de la vie en mouvement en saisissant l’instant, au-delà du rythme effréné. Des instants «fugaces» qui racontent des vies. De passage à New York, le photographe capte des instants de vie, vécus par des «fantômes» de passage. L'œil de sa caméra s’accorde à son regard. Il observe, il voit. Derrière ses photos cadrées, ciblées, vives, transparaît son désir d’apprendre, encore et toujours, mais aussi de se mêler à la foule, ici ou là, humain parmi les humains… et de dévisager le monde.
L’objectif de la caméra de David Hury toise New York. À travers les quatre séries du photographe, notamment Walk in the City (Marche dans la ville), Ghosts of Times Square (Le fantôme de Times Square), Looking for NYC  (À la recherche de New York) et Sky is not the limit (Le ciel n’est pas la limite), l’artiste capture dans ses clichés des instants de vie et nous transmet sa philosophie teintée de poésie.
Walk in the City
"Walk in the City".
Crédit photo : David Hury
«Et puis j’ai compris: le seul moyen de cueillir ses âmes, ses immeubles et son rythme, c'était de partir de la base. Du sol.»
À quel point pensez-vous qu’on puisse être ancré dans une ville aussi mouvementée que New York?
Peut-on vraiment être ancré dans cette ville? Je n’ai jamais vécu à New York, je n’y étais que de passage. En rentrant à Paris, j’ai eu l’impression de retrouver un village tranquille, alors que les gens de province, par exemple, trouvent souvent la capitale française beaucoup trop speed. Tout est relatif.
Et puis je regarde évoluer les quelques New-Yorkais que je connais. Ils n’habitent pas dans le cœur de Manhattan, plutôt à Brooklyn où la frénésie citadine est beaucoup moins violente. Ils y sont bien ancrés, comme j’ai pu l’être pendant de nombreuses années à Beyrouth, ou maintenant à Paris. L’ancrage ne dépend pas du mouvement ambiant; celui-ci nous fait onduler comme des roseaux sous le souffle du vent.
Les êtres en mouvement que nous sommes, seraient-ils ancrés le temps d’une seconde ou d’un cliché photographique? Qu’essayez-vous de capturer?
Dans cette série, j’ai voulu capturer à la fois les individus dans leur course folle et les façades de cette cité verticale. Saisir le mouvement en un dixième de seconde crée deux perspectives: un point net, là où les pieds et les jambes sont ancrés au sol, et une zone légèrement floue au niveau du reste du corps qui, lui, est en mouvement. Avec, en arrière-plan, les immeubles monolithiques. Durant ce 10e de seconde, les individus sont donc à la fois immobiles et en mouvement. Ce 10e de seconde ne reviendra jamais dans leur vie, il est désormais figé dans le temps, ils étaient là à ce moment-là, en partance pour ailleurs. C’est ce moment fugace que j’ai voulu capter: l’être humain saisi dans son monde, intérieur et extérieur, sans qu’il ne s’en aperçoive.
Ghost of Times Square
"Ghosts of Times Square"
Crédit photo : David Hury
«Le premier jour, j'ai tout raté. Puis j'ai tenté plusieurs choses.»
Qu’est-ce qu’une photo «non ratée» pour vous? Comment «réussir» un cliché artistique? Quelles tonalités de couleurs captez-vous?
Ce premier jour à New York, j’étais prévenu: mes amis photographes m’avaient dit que je n'obtiendrais rien d’intéressant! J’étais persuadé de pouvoir les démentir, mais ils avaient raison! Ensuite, l’idée pour moi n’était pas de prendre la photo sympa pour Instagram, mais de penser en termes de «séries». Soit sur un thème particulier, soit selon un graphisme. Le premier soir passé à Times Square, j’ai fait des photos comme tout le monde. J’étais écrasé à la fois par la verticalité des immeubles et par cette foule complètement dingue. Le deuxième soir, je savais de quelle manière je pourrais gérer cette impression d’oppression: une courte pause, d’une seconde environ, destinée à estomper la foule, tout en gardant net l’arrière-plan. Dans ce décor aux lumières sans cesse changeantes en fonction des écrans publicitaires, tout est aléatoire. On ne sait jamais ce qui va vraiment sortir de chaque cliché, un peu comme le céramiste découvrant la couleur de ses émaux à la sortie du four. Ce n’est pas révolutionnaire, mais cela marche très bien à cet endroit. Pour cela, Times Square est un rêve.
Que vous reste-t-il de ces «fantômes» pris en photo?
À New York, tous les visiteurs passent un jour ou l'autre par Times Square: ils y laissent leur empreinte, comme des fantômes. En découvrant le résultat, de retour à Paris, j’ai fait ma sélection parmi de nombreuses images. Ces visages formant des traînées de couleurs, ces corps disparaissant en fonction de la vitesse du mouvement, ces silhouettes se chevauchant l’espace d’une seconde… Je me dis simplement que moi aussi, je faisais partie de ces fantômes d’un soir.

Looking for NYC
"Looking for NYC".
Crédit photo : David Hury
«… une ville que l’on croit connaître à cause des films auxquels on a été biberonné depuis les années 70... Il ne manque qu’une chose dans ces photographies. Le son…»
Quels sont les films des années 70 qui, pour vous, représentent NYC? Avez-vous retrouvé cette ambiance que vous recherchiez dans vos photos?
C’est difficile de retrouver ce New York des années 70-80 qui a bercé mon enfance, car la ville a beaucoup changé, elle s’est un peu aseptisée. Elle est moins sale et brutale que ce que l’on peut voir dans des monuments du cinéma comme Taxi Driver (Martin Scorsese), Year of the Dragon (Michael Cimino), Manhattan (Woody Allen), Serpico (Sydney Lumet) ou même des films plus récents comme Carlito’s Way (Brian de Palma), King of New York (Abel Ferrara), Donnie Brasco (Mike Newell), 25th Hour (Spike Lee) ou même encore Cloverfield (Matt Reeves). Il y en a tellement…
Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les voitures. Exit les vieux taxis, ce ne sont plus que des Toyota aux formes quelconques. En termes de photographie, c’est d’une tristesse à pleurer! Mais, de manière générale, marcher des heures dans les rues de New York, c’est marcher dans un décor de cinéma géant. On s’attend toujours à voir Al Pacino débouler au coin d’une rue.
Si vous pouviez sélectionner un seul son pour représenter la ville dans vos photos, lequel choisiriez-vous?
Sans conteste les sirènes des camions de pompiers et des ambulances! Là, il suffit de fermer les yeux et la magie opère, ce son semble intemporel. Il perce les tympans et couvre tout le reste.
Sky is not the limit
"Sky is not the limit".
Crédit photo : David Hury
«Car avant que le regard puisse se poser sur le ciel bleu, il percute le béton et le verre.»
Comment votre caméra regarde-t-elle ce béton, ce verre, au-delà du bleu? Est-ce un regard admirateur, critique, singulier?
Prendre un immeuble ou une façade en photo pourrait apparaître comme le choix le plus facile: le sujet est statique, il n’y a pas de prise de risque. Mais jouer avec les lignes verticales, horizontales et obliques, avec les perspectives est un grand plaisir. L’œil humain a tendance à tout voir, tout percevoir d’un coup, quelle que soit la luminosité ou la profondeur du champ. L’objectif d’un appareil ne fonctionne pas de la même manière: aussi perfectionné soit-il, il n’arrive pas à la cheville de la fantastique mécanique de nos yeux. Il faut alors faire des choix, saisir un cadre, le déformer dans l’œilleton de l’appareil, orienter son regard selon le résultat voulu. Ça marche, ça ne marche pas, on ne sait jamais vraiment sur le moment. Il ne s’agit donc pas d’être critique ou subjectif, il s’agit de créer un équilibre.
Quelle est la limite, pour vous, dans vos photos?
La limite évidente est mon regard de néophyte: je ne connaissais pas New York. J’aimerais y retourner, choisir le coin d’une rue et y rester une journée, juste pour voir. Ce n’est pas comme Paris ou Beyrouth que je connais comme ma poche. New York était une découverte, et il est évident que je ferai autre chose la prochaine fois. Sans savoir encore quoi.
Pour consulter le site de David Hury, cliquer ici.
Marie-Christine Tayah
Instagram:
Commentaires
  • Aucun commentaire