Avant le retour à Paris de l’émissaire présidentiel français Jean-Yves Le Drian, le leader des Forces libanaises Samir Geagea l’a informé de sa position qui se résume en trois «non» : non au dialogue, non à la modification de Taëf et non au retour à l'accord de Doha. Il a, par ailleurs, exprimé un seul «oui» concernant la nécessité d’appliquer les termes de la Constitution pour l'élection d'un président de la République par le biais de séances parlementaires ouvertes.
M. Geagea a précisé dans ce cadre que la Constitution ne mentionne aucunement le «dialogue» ni l’accord préalable pour l'élection d'un président; celle-ci ne devrait avoir lieu que lors des séances à la Chambre. Sur ce plan, un ancien ministre accuse certains responsables de vouloir outrepasser Taëf, prétextant "l'accord et le consensus, car le Liban est un pays fondé sur des équilibres", et certains ont même introduit la notion de "démocratie consensuelle". D’autres ont même été jusqu’à transformer l’esprit du Pacte national en une question sectaire, alors que le Pacte prévoit un équilibre entre les composantes chrétienne et musulmane et non entre les factions confessionnelles sectaires.
Compte tenu de ce qui précède, l'opposition refuse de consacrer par un texte constitutionnel les pratiques du Hezbollah, telles que le tiers de blocage au sein du gouvernement et l'attribution du ministère des Finances à la communauté chiite sous prétexte que celle-ci devrait bénéficier de la troisième signature au niveau du pouvoir exécutif. Le Hezbollah prétend que cela avait été convenu oralement à Taëf. Les députés qui avaient participé à la conférence de Taëf soulignent toutefois que ce qui avait été consacré à l’époque c’était un partage du pouvoir sur base de la parité entre musulmans et chrétiens et non pas un partage du pouvoir sur base de trois tiers (entre chrétiens, sunnites et chiites). De ce fait, la plupart des factions refusent de consacrer les pratiques du Hezb dans la Constitution et refusent, surtout, de légitimer les armes du parti pro-iranien, sous n’importe quel prétexte. Ces factions locales refusent dans ce cadre de transformer la milice chiite en une institution nationale, comme c’est le cas des Forces de mobilisation populaire en Irak.
Il reste que selon un observateur local, le Hezbollah n’insiste plus sur le dialogue pour imposer son candidat à Baabda et légitimer ses pratiques dans la Constitution. Au vu des diatribes intensives à son encontre, il a fait profil bas sur la question de la «résistance». Aussi, la déclaration du député Mohammad Raad était-elle frappante à ce propos: «Le Hezb est attaché à l'accord de Taëf, ne veut pas y apporter la moindre modification et veut l'appliquer sans avoir recours à une nouvelle formule politique». Notons que l’opposition estime que le Hezb s'appuie sur une interprétation particulière de Taëf, «légalisant ses pratiques». Dans le même temps, le récent repli médiatique du Hezb par rapport à ses positions antérieures n'a pas été accompagné de mesures concrètes. Par conséquent, l’opposition estime que la posture actuelle du parti chiite est une position tactique qui est une réponse aux demandes de fédéralisme et de décentralisation élargie; le Hezb craint ces demandes et en redoute les répercussions sur le nouvel ordre prévu au Moyen-Orient.
Le Hezb, qui contrôle l'État, ses institutions et ses décisions, tente d’imposer son candidat à la présidence et à la tête du gouvernement, de manière à influer sur la formation du cabinet. Il a pu neutraliser les sunnites en retirant Saad Hariri de l'équation, en écartant Walid Joumblatt de la scène politique au profit de son fils Teymour, en amplifiant les divisions au sein du camp chrétien, le tout dans le seul but de réaliser son projet, ce que certains au sein du Hezb refutent.
Par ailleurs, un ancien ministre affirme que l’attitude de Gebran Bassil qui s’est démarqué sensiblement du Hezbollah et qui a soutenu, avec l'opposition souverainiste, la candidature de Jihad Azour, a porté un coup dur au projet du Hezb, lequel a vite fait de boycotter le chef du CPL et de poser des conditions au retour du "fils prodigue", comme le rapportent des sources proches du Hezb.
Par ailleurs, les Cinq de Paris (Etats-Unis, France, Arabie saoudite, Egypte et Qatar) ont accusé le Hezb de retarder l'élection présidentielle pour légitimer ses «privilèges» et utiliser cette carte au profit de l'agenda iranien dans les négociations entre Téhéran et Washington, et cela expliquerait les récentes positions en flèche de Mohammed Raad.
L'état de vacance généralisé dans lequel se trouve (ou se trouvera très prochainement) le pays, en particulier au niveau des postes clés, tels que le gouverneur de la Banque centrale ou le commandant de l'armée, ne sert plus les intérêts du Hezb, comme le pensaient certains. Cela s’est même plutôt retourné contre lui suite aux accusations dirigées contre lui par certaines parties locales et étrangères qui lui font assumer la responsabilité de l'effondrement du Liban sur les plans politique, financier et économique, sans compter que ses armes sont un instrument régional au service de l'agenda iranien.
Si le Hezb continue à utiliser la carte du dialogue pour coincer des partis tiers et imposer son projet et son candidat, cela pourrait déclencher une crise qui mettrait en péril la formule de coexistence. En effet, certaines parties locales estiment qu'elles se trouvent face à un partenaire qui joue sur le rapport de force et tente d'imposer son projet politique, sa vision des choses et son mode de vie, faisant fi de la spécificité du Liban et de celle des autres parties libanaises.
Cette réalité a incité les acteurs internationaux concernés par le Liban, en particulier les Cinq de Paris, à agir en même temps que Le Drian, qui présentera une feuille de route pour sauver le Liban et la soumettra aux parties internes et aux Cinq pour éviter l'effondrement du pays. Certaines sources estiment que parallèlement à la mission de Le Drian, des responsables des Cinq pourraient entrer en jeu; Washington, notamment, relancerait ses efforts en vue d’une sortie de crise.
Un ancien ministre affirme toutefois qu'il ne se passera rien en ce qui concerne la présidence avant septembre. Un responsable occidental aurait lancé à ce propos: «Allez passer l'été et nous parlerons en septembre».
Cependant, ce qui se passe à la Banque du Liban avant le départ du gouverneur pourrait accélérer les étapes de la solution si aucun accord n'est trouvé sur la gestion de la vacance, notamment après que des parties étrangères aient insisté sur la nécessité d'avoir un gouverneur à la tête de la Banque centrale pour prendre des décisions, car cette dernière ne peut être gérée par un conseil central via le premier vice-gouverneur pendant une longue période.
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