Rien ne sert de parlementer avec le Hezb
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Atatürk ayant fini par supprimer le califat en 1924, certains avaient pu croire que c’était le constat officiel de la liquidation du sacré dans la vie politique en terre d’Islam. Qui, à l’époque, pouvait imaginer le «retour du religieux»?
Toute personne a sa vérité, comme ses interrogations, ses doutes et ses hésitations. Mais cette situation, tant qu’elle est individuelle, relève de la liberté personnelle de penser, de dire et d’agir. En revanche, quand un groupe croit être dans le vrai, à l’exclusion de tous les autres, la situation peut se révéler périlleuse! Se prenant pour la vérité incarnée, il ne va pas chercher à composer avec d’autres groupes, comme l’exigerait jusqu’à un certain point toute saine politique; loin de là, ledit groupe tentera, par la force des choses, d'imposer aux autres entités ses convictions sacrées et son autorité incontestée.
D’où l’inutilité d’engager le débat avec ceux de la wilayat al-faqih, débat auquel nous appellent des facilitateurs autoproclamés ou ceux qui font profession de jouer les bons offices. Certes, on peut jouer à négocier avec le Hezbollah, quitte à le faire sans trop y croire, comme pour gagner du temps ou pour reculer les échéances fatidiques. Mais au bout, il n’y a rien; d’ailleurs, il n’y a jamais rien eu! Pour la simple raison que de la Révélation, sur laquelle nous reviendrons ci-dessous avec Proudhon, ne procède que l’Absolu, c’est-à-dire le vide pour ceux qui ne font pas partie du nombre des élus!
Ainsi donc, inutile de se faire des illusions. Seul un «combat douteux» est en mesure de départager entre camps opposés!
Inutile d'engager le dialogue avec des foules chauffées à blanc!
Bertrand Russell et l’abus de candeur
On peut, en revanche, et cela demande moins d’efforts et de sacrifice, capituler face aux exigences de la galaxie iranienne et lui remettre les rênes du pouvoir. Celui-ci en ferait le meilleur usage d’après certains esprits qui s’essayent à l’angélisme!
Ces égarés rejoignent, dans leur abus de candeur, Bertrand Russell (1) qui, en 1937, pensait qu’il ne fallait pas assurer la défense des Îles britanniques si elles étaient prises d’assaut par Hitler. À son avis, il aurait été plus judicieux de recevoir les envahisseurs en visiteurs de choix et de les convier à des four o’clock tea! Les nazis auraient été conquis par le mode de vie si paisible de la campagne anglaise et auraient renoncé vite fait à leurs tendances belliqueuses et à leur appétit de gloire militaire. Sir Bertrand, l’illustre Britannique, eut le temps de changer d’avis, la Seconde Guerre mondiale ayant déroulé sous ses yeux ce qu’il en coûte à un intellectuel d’ignorer les réalités et de s’autoriser des coquetteries de mondaine. Son pacifisme, sa niaiserie, cette idéologie généreuse, l’avaient largement abusé.
 Car on n’a pas le droit de céder à la menace! Et tant qu’à faire le choix de la capitulation, on ne se met pas à l’abri des soucis pour longtemps. Pensez-vous qu’en rendant les armes, en renonçant à leurs acquis qui ne sont que des garanties, les libertaires d’entre nous pourront enfin prétendre à la paix? Rien de tout cela, et ce n’est pas en se prosternant devant le diktat des ayatollahs qu’ils s’accorderont un répit ou… une ristourne.
Notre monde sécularisé et le retour du religieux
C’est qu’il y a une différence fondamentale entre Eux et Nous (2). Ayant opté pour un régime «moderne» s’inspirant du modèle occidental, nous avions à partir de 1839 enclenché un processus de réformes de nos mœurs politiques, à savoir celui des Tanzimat de l’Empire ottoman. La tendance était à la sécularisation, et le religieux était prié d’évacuer petit à petit les allées du pouvoir politique où la charia avait trôné des siècles durant.
Nul mieux que Proudhon n’avait résumé la situation quand il avait déclaré, pour ce qui était de l’Europe: «L’idée de Progrès remplace, dans la philosophie, celle de l’Absolu. La Révolution succède à la Révélation. La Raison, assistée de l’Expérience, expose à l’homme les lois de la Nature et de la Société, puis elle lui dit: Ces lois sont celles de la Nécessité même. Nul homme ne les a faites; nul ne te les impose.» (3)
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la voie de ladite sécularisation, prescrivant une scission progressive entre le domaine public et la sphère religieuse, allait être plus ou moins suivie dans les pays du Levant, et ce à partir de la redéfinition des frontières internationales. Atatürk ayant fini par supprimer le califat en 1924, certains avaient pu croire que c’était le constat officiel de la liquidation du sacré dans la vie politique en terre d’Islam.

Qui, à l’époque, pouvait imaginer le «retour du religieux»? Or la prise du pouvoir par Khomeini quelque soixante ans plus tard allait constituer une revanche sur l’idée de séparation du religieux et du politique, ce «divorce impie» (al-fissam al-nakid) que les fondamentalistes vouent aux gémonies.
Quand toute opposition est bannie.
Nos principes fondateurs et les leurs
Pour en revenir à notre texte fondateur, nous pouvons valablement prétendre que la Constitution libanaise était née, au sens large, d’un pacte entre parties prenantes (4). Témoignant toute déférence à la religion, notre Charte fondamentale n’en disposait pas moins que le pouvoir procède du peuple (5), et non de l’Être suprême. À partir de là, c’était le droit positif qui nous régissait, la loi divine étant l’exception qui règlementait le statut personnel. En bref, notre régime politique n’est pas celui de la République islamique d’Iran où préside un Guide suprême (6), jouissant d’une légitimité religieuse et coopté par les ulémas, ses pairs, un imam que nous n’avions pas élu et dont les oukases ne nous engagent pas. Mais allez expliquer cela à un pasdaran ou à un sans-culotte de la révolution khomeyniste! Comment faire entendre raison à un militant de base si, d’aventure, le vicaire d’Allah sur terre s’est prononcé sur une question?
D’où la difficulté de trouver un terrain d’entente avec la wilayat al-faqih. Nous en sommes à un point où il est difficile de nous entendre avec ce groupe qui a Dieu pour lui, alors que nous sommes de pauvres hères ballotés par le cours de l’histoire, tant nous avons perdu nos repères religieux et nos convictions messianiques.
Alors j’en reviens à mes laïcistes, autrefois gauchistes avec qui divergences, discussions et débats sont toujours de mise. Ces déçus du déterminisme historique gagneraient à s’opposer à la mainmise du religieux, car s’il était triomphant, ils en seraient les premières victimes. Néanmoins, tout comme les pacifistes d’une autre époque, ces salonbolchevisten (7) se trompent d’adversaire. Ils en sont encore à la vieille rengaine qui dénigre le communautarisme, cette plaie du régime libanais. Ils réclament, dans leur extrême cécité, l’abolition du confessionnalisme politique – abolition qui, à l’évidence, ferait le lit d’un régime d’ayatollahs.
Youssef Mouawad
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1- Mathématicien, logicien, philosophe et prix Nobel de littérature en 1950.
2- Je le dis, même si je dois être accusé de racisme ou inculpé de repli identitaire.
3- P. J. Proudhon, Idée générale de la révolution au XIXe siècle, 1851.
4- La Constitution syrienne également!
5- Le confessionnalisme politique, à savoir le partage des postes dans l’administration entre les communautés religieuses, relève de la protection des minorités. Il n’a rien à voir avec l’Absolu, le sacré, la religion ou la Révélation.
6- La République islamique d’Iran se définit, depuis sa création en 1979, comme un «régime hybride qui revendique une double légitimité, religieuse et populaire. Elle repose sur la loi islamique, la Charia». Le Guide suprême, Ali Khamenei, au pouvoir depuis 1989, supervise les trois pouvoirs, fixe les grandes orientations, et les forces de l’ordre sont placées directement sous son contrôle.
7- Terme allemand utilisé pour désigner les «bolcheviques de salon»; le pendant de l’expression anglaise «revolutionaries of the drawing room».
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