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Les États latins ont permis une renaissance syriaque aux XIIᵉ et XIIIᵉ siècles avec la construction et la décoration de nombreuses églises ornées de fresques à inscriptions syriaques. Les scriptoria ont produit des ouvrages syriaques enluminés et des manuscrits monastiques en quantité. Les Syriaques avaient déjà traduit, avant l’époque des croisades, les sciences et la philosophie grecques du syriaque vers l’arabe. Au contact des Francs, ils allaient les transmettre à l’Europe.
Au Moyen Âge, les États latins du Levant étaient peuplés de Francs, d’Arméniens, de Grecs (ou communautés hellénisées) et de Syriaques. Ces derniers se déclinaient en nestoriens (les actuels assyro-chaldéens), jacobites (les actuels syriaques orthodoxes) et maronites.
Bien plus que les récits des byzantins et même des latins, ceux des syriaques dévoilent une véritable porosité entre ces quatre composantes, et une affinité particulière entre Francs, Syriaques et Arméniens. Les échanges continus sont traduits par les chroniqueurs contemporains des croisades, tels que les jacobites Michel le Grand et Bar Hebraeus, ou leurs successeurs tels que le maronite Barcleius.
Carte des États latins du Levant. (Wikimedia Commons)
La renaissance syriaque
Les États latins ont permis une renaissance syriaque aux XIIᵉ et XIIIᵉ siècles avec la construction et la décoration de nombreuses églises dans les cités comme Édesse, Antioche, Tripoli, Beyrouth, Tyr, Saint-Jean d’Acre et Jérusalem. Mais aussi dans les montagnes du Liban où les humbles chapelles et les églises de campagne se sont ornées de fresques pourvues d’inscriptions syriaques.
Les maronites ont développé à cette époque florissante leur écriture syriaque monumentale sous forme d’un estranguélo carré, comme à Notre-Dame d’Ilige, reprenant l’esthétique des inscriptions latines gravées en creux. Par ailleurs, on a vu les artisans orientaux exécuter les décorations du roi Foulque d’Anjou (1143) dans l’église du Saint-Sépulcre et dans la basilique de la Nativité de Bethléhem (1169) où ils ont gravé leurs noms en syriaque.
Cette période était prospère. Les scriptoria ont produit des ouvrages syriaques enluminés et des manuscrits monastiques en quantité. Ce sont surtout les Syriaques jacobites qui ont réalisé le gros des œuvres littéraires. Parmi ces écrivains et chroniqueurs, il y avait notamment leur patriarche, Michel le Grand, mais aussi Grégoire Bar Hebraeus, Denys Bar Salibi et Jacques Bar Shakako. Leurs ancêtres avaient déjà traduit, avant l’époque des croisades, les sciences et la philosophie grecques du syriaque vers l’arabe. Au contact des Francs, ils allaient les transmettre à l’Europe.
Les œuvres de saint Éphrem, traduites en latin, allaient exercer une grande influence sur l’Occident chrétien. Quant à «l’exégèse latine du XIIIᵉ siècle, elle doit quelque chose à l’exégèse antiochienne», écrit Claude Sélis. Ces échanges étroits allaient aboutir aux contacts repris au XVᵉ siècle avec notamment l’envoi à Rome de jeunes maronites dont l’illustre Gabriel Barcleius (1450-1516), puis l’ouverture, en 1584, du collège maronite de Rome.
Fresques remontant à la renaissance syriaque dans les États latins du Levant. Église maronite Saint-Saba de Eddé-Batroun. XIIᵉ-XIIIᵉ siècle. Elles sont pourvues d’inscriptions syriaques dans la graphie monumentale qu’est l’estranguélo carré. ©Amine Jules Iskandar
Les sciences et les lettres
Le médecin jacobite Théodose d’Antioche, proche de la cour de Frédéric II, allait léguer à l’Occident le Secret des secrets attribué à Aristote. Denys Bar Salibi, mort en 1171, a composé un ouvrage traitant de la structure du corps humain, d’un Commentaire des Évangiles et de Commentaires sur l’Apocalypse, les actes des apôtres et les épîtres catholiques.
Michel le Grand, en syriaque Mikhael Rabo, fut patriarche jacobite de 1166 à sa mort en 1199. Dans sa Chronique (J.B. Chabot), il a repris les anciens auteurs grecs et syriaques et les a complétés jusqu’en 1195. Sa Chronique, constituée de 21 livres, aborde l’histoire des croisades au livre XV, dès le septième chapitre.
Jacques Bar Shakako, connu également comme Séwérios (Sévère) était moine jacobite. Mort en 1241, il est l’auteur du Livre des dialogues et du Livre des trésors, qui sont de précieuses références sur les sciences mathématiques, physiques et physiologiques.
Le scriptorium de l’abbaye d’Echternach. Enluminure du Livre des péricopes d’Henri II. (Clm 4452 Bayerische Staatsbibliothek Munich)
De Bar Hebraeus à Barcleius
Gregorios (ou Grégoire) Bar Hebraeus (1225-1286) était, comme son père, un médecin réputé. Mais il a également travaillé dans le cadre de l’astronomie et des mathématiques dont il a traité dans son Livre sur l’ascension de l’esprit.
À son époque, l’école de Tripoli était fort réputée et c’est là que Bar Hebraeus a fait une partie de ses études, nous dit le vicomte Philippe de Tarazi. Tripoli a beaucoup produit, comme le montrent les colophons de certains manuscrits, pour ne citer que celui du British Museum (Brit. Mus. 14.695). Il s’agit de la «Pénqito hivernale» avec les «Canons gréco-syriaques copiés», nous dit le colophon, dans «l’honorable Tripoli en 1507 d’Alexandre» (1196).
Bar Hebraeus a abordé aussi les sciences naturelles dans la Crème de la science et dans le Candélabre des sanctuaires. Il est en outre l’auteur d’une Chronique profane, d’une Chronique ecclésiastique et du Livre de la colombe. Il a composé la grande grammaire dite le Livre des splendeurs et, en 1279, a écrit le Livre des éthiques. Après sa mort, en 1286, sa chronographie a été complétée par son frère Bar Sauma.
Après le départ des croisés, au XVᵉ siècle, le maronite Gabriel Barcleius a continué d'écrire sur l’histoire de cette époque en reprenant parfois Bar Hebraeus. Il a notamment disserté sur les événements de 1283 concernant les luttes qui s’engageaient entre Bohémond VII de Tripoli et Guy II de Gibelet.
Urbain II prêchant la croisade en novembre 1095 au concile de Clermont. Miniature du XVᵉ siècle attribuée à Jean Fouquet (Bibliothèque Nationale de Paris in Herodote.net)
La société des États latins
L’esprit d’œcuménisme qui caractérise encore aujourd’hui les communautés chrétiennes d’Orient a vite fait de se transmettre aux Francs. Voici ces Occidentaux, arrivés pleins de dédain pour tout ce qui n’était pas uni à Rome, ces mêmes croisés qui allaient saccager et piller Constantinople, les voilà intégrés à la société orientale. Quel geste plus révélateur que celui de Josselin II d’Édesse qui, en 1157, dans les geôles d’Alep, nous dit Grégoire Bar Hebraeus, s’est agenouillé devant l’évêque jacobite Ignatios, et «a reçu de ses mains la communion des Saints Mystères?»
Les mariages intercommunautaires étaient fréquents, notamment entre Arméniens et Francs. Le roi Thoros II de Cilicie avait épousé, en 1149, Isabelle de Courtenay, fille de Josselin II d’Édesse. Les échanges avec les Grecs étaient aussi courants. Lorsque Josselin II fut capturé et déporté à Alep par les Turcomans le 4 mai 1150, son épouse Béatrice de Saône, ne pouvant plus défendre les remparts, a fini par vendre Édesse aux Byzantins en août 1150.
Durant la minorité de Bohémond VII de Poitiers, fils de Bohémond VI d’Antioche, c’est sa mère Sibylle d’Arménie qui a assuré la régence du comté de Tripoli. Cette fille du roi Héthoum Iᵉʳ d’Arménie a administré, pour un temps, un territoire peuplé de Francs et de maronites.
Les Francs intégraient à leurs États les Arméniens et les Syriaques, qu’ils soient maronites ou jacobites, dans tous les domaines de la vie sociale. Les Syriaques, surtout maronites, y jouaient pleinement leur rôle dans le cadre de la défense. Leurs soldats grossissaient les rangs des croisés, et leurs interprètes occupaient des postes administratifs importants. C’est aussi parmi les intellectuels jacobites notamment que les Latins trouvaient leurs meilleurs médecins et pharmaciens.
Enfin, dans chaque district administré par les croisés, ces derniers formaient un tribunal civil constitué de six membres dont quatre Syriaques et deux Francs, écrit Emmanuel-Guillaume Rey. Et, lorsque les Ordres latins ont dû quitter l’Orient, ils ont remis leurs monastères aux chrétiens indigènes. Ainsi l’abbaye cistercienne de Belmont (Balamand) a été léguée en 1287 aux Syriaques jacobites qui l’ont remise à leur tour aux Grecs (roum) en 1603.
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Les États latins ont permis une renaissance syriaque aux XIIᵉ et XIIIᵉ siècles avec la construction et la décoration de nombreuses églises ornées de fresques à inscriptions syriaques. Les scriptoria ont produit des ouvrages syriaques enluminés et des manuscrits monastiques en quantité. Les Syriaques avaient déjà traduit, avant l’époque des croisades, les sciences et la philosophie grecques du syriaque vers l’arabe. Au contact des Francs, ils allaient les transmettre à l’Europe.
Au Moyen Âge, les États latins du Levant étaient peuplés de Francs, d’Arméniens, de Grecs (ou communautés hellénisées) et de Syriaques. Ces derniers se déclinaient en nestoriens (les actuels assyro-chaldéens), jacobites (les actuels syriaques orthodoxes) et maronites.
Bien plus que les récits des byzantins et même des latins, ceux des syriaques dévoilent une véritable porosité entre ces quatre composantes, et une affinité particulière entre Francs, Syriaques et Arméniens. Les échanges continus sont traduits par les chroniqueurs contemporains des croisades, tels que les jacobites Michel le Grand et Bar Hebraeus, ou leurs successeurs tels que le maronite Barcleius.
Carte des États latins du Levant. (Wikimedia Commons)
La renaissance syriaque
Les États latins ont permis une renaissance syriaque aux XIIᵉ et XIIIᵉ siècles avec la construction et la décoration de nombreuses églises dans les cités comme Édesse, Antioche, Tripoli, Beyrouth, Tyr, Saint-Jean d’Acre et Jérusalem. Mais aussi dans les montagnes du Liban où les humbles chapelles et les églises de campagne se sont ornées de fresques pourvues d’inscriptions syriaques.
Les maronites ont développé à cette époque florissante leur écriture syriaque monumentale sous forme d’un estranguélo carré, comme à Notre-Dame d’Ilige, reprenant l’esthétique des inscriptions latines gravées en creux. Par ailleurs, on a vu les artisans orientaux exécuter les décorations du roi Foulque d’Anjou (1143) dans l’église du Saint-Sépulcre et dans la basilique de la Nativité de Bethléhem (1169) où ils ont gravé leurs noms en syriaque.
Cette période était prospère. Les scriptoria ont produit des ouvrages syriaques enluminés et des manuscrits monastiques en quantité. Ce sont surtout les Syriaques jacobites qui ont réalisé le gros des œuvres littéraires. Parmi ces écrivains et chroniqueurs, il y avait notamment leur patriarche, Michel le Grand, mais aussi Grégoire Bar Hebraeus, Denys Bar Salibi et Jacques Bar Shakako. Leurs ancêtres avaient déjà traduit, avant l’époque des croisades, les sciences et la philosophie grecques du syriaque vers l’arabe. Au contact des Francs, ils allaient les transmettre à l’Europe.
Les œuvres de saint Éphrem, traduites en latin, allaient exercer une grande influence sur l’Occident chrétien. Quant à «l’exégèse latine du XIIIᵉ siècle, elle doit quelque chose à l’exégèse antiochienne», écrit Claude Sélis. Ces échanges étroits allaient aboutir aux contacts repris au XVᵉ siècle avec notamment l’envoi à Rome de jeunes maronites dont l’illustre Gabriel Barcleius (1450-1516), puis l’ouverture, en 1584, du collège maronite de Rome.
Fresques remontant à la renaissance syriaque dans les États latins du Levant. Église maronite Saint-Saba de Eddé-Batroun. XIIᵉ-XIIIᵉ siècle. Elles sont pourvues d’inscriptions syriaques dans la graphie monumentale qu’est l’estranguélo carré. ©Amine Jules Iskandar
Les sciences et les lettres
Le médecin jacobite Théodose d’Antioche, proche de la cour de Frédéric II, allait léguer à l’Occident le Secret des secrets attribué à Aristote. Denys Bar Salibi, mort en 1171, a composé un ouvrage traitant de la structure du corps humain, d’un Commentaire des Évangiles et de Commentaires sur l’Apocalypse, les actes des apôtres et les épîtres catholiques.
Michel le Grand, en syriaque Mikhael Rabo, fut patriarche jacobite de 1166 à sa mort en 1199. Dans sa Chronique (J.B. Chabot), il a repris les anciens auteurs grecs et syriaques et les a complétés jusqu’en 1195. Sa Chronique, constituée de 21 livres, aborde l’histoire des croisades au livre XV, dès le septième chapitre.
Jacques Bar Shakako, connu également comme Séwérios (Sévère) était moine jacobite. Mort en 1241, il est l’auteur du Livre des dialogues et du Livre des trésors, qui sont de précieuses références sur les sciences mathématiques, physiques et physiologiques.
Le scriptorium de l’abbaye d’Echternach. Enluminure du Livre des péricopes d’Henri II. (Clm 4452 Bayerische Staatsbibliothek Munich)
De Bar Hebraeus à Barcleius
Gregorios (ou Grégoire) Bar Hebraeus (1225-1286) était, comme son père, un médecin réputé. Mais il a également travaillé dans le cadre de l’astronomie et des mathématiques dont il a traité dans son Livre sur l’ascension de l’esprit.
À son époque, l’école de Tripoli était fort réputée et c’est là que Bar Hebraeus a fait une partie de ses études, nous dit le vicomte Philippe de Tarazi. Tripoli a beaucoup produit, comme le montrent les colophons de certains manuscrits, pour ne citer que celui du British Museum (Brit. Mus. 14.695). Il s’agit de la «Pénqito hivernale» avec les «Canons gréco-syriaques copiés», nous dit le colophon, dans «l’honorable Tripoli en 1507 d’Alexandre» (1196).
Bar Hebraeus a abordé aussi les sciences naturelles dans la Crème de la science et dans le Candélabre des sanctuaires. Il est en outre l’auteur d’une Chronique profane, d’une Chronique ecclésiastique et du Livre de la colombe. Il a composé la grande grammaire dite le Livre des splendeurs et, en 1279, a écrit le Livre des éthiques. Après sa mort, en 1286, sa chronographie a été complétée par son frère Bar Sauma.
Après le départ des croisés, au XVᵉ siècle, le maronite Gabriel Barcleius a continué d'écrire sur l’histoire de cette époque en reprenant parfois Bar Hebraeus. Il a notamment disserté sur les événements de 1283 concernant les luttes qui s’engageaient entre Bohémond VII de Tripoli et Guy II de Gibelet.
Urbain II prêchant la croisade en novembre 1095 au concile de Clermont. Miniature du XVᵉ siècle attribuée à Jean Fouquet (Bibliothèque Nationale de Paris in Herodote.net)
La société des États latins
L’esprit d’œcuménisme qui caractérise encore aujourd’hui les communautés chrétiennes d’Orient a vite fait de se transmettre aux Francs. Voici ces Occidentaux, arrivés pleins de dédain pour tout ce qui n’était pas uni à Rome, ces mêmes croisés qui allaient saccager et piller Constantinople, les voilà intégrés à la société orientale. Quel geste plus révélateur que celui de Josselin II d’Édesse qui, en 1157, dans les geôles d’Alep, nous dit Grégoire Bar Hebraeus, s’est agenouillé devant l’évêque jacobite Ignatios, et «a reçu de ses mains la communion des Saints Mystères?»
Les mariages intercommunautaires étaient fréquents, notamment entre Arméniens et Francs. Le roi Thoros II de Cilicie avait épousé, en 1149, Isabelle de Courtenay, fille de Josselin II d’Édesse. Les échanges avec les Grecs étaient aussi courants. Lorsque Josselin II fut capturé et déporté à Alep par les Turcomans le 4 mai 1150, son épouse Béatrice de Saône, ne pouvant plus défendre les remparts, a fini par vendre Édesse aux Byzantins en août 1150.
Durant la minorité de Bohémond VII de Poitiers, fils de Bohémond VI d’Antioche, c’est sa mère Sibylle d’Arménie qui a assuré la régence du comté de Tripoli. Cette fille du roi Héthoum Iᵉʳ d’Arménie a administré, pour un temps, un territoire peuplé de Francs et de maronites.
Les Francs intégraient à leurs États les Arméniens et les Syriaques, qu’ils soient maronites ou jacobites, dans tous les domaines de la vie sociale. Les Syriaques, surtout maronites, y jouaient pleinement leur rôle dans le cadre de la défense. Leurs soldats grossissaient les rangs des croisés, et leurs interprètes occupaient des postes administratifs importants. C’est aussi parmi les intellectuels jacobites notamment que les Latins trouvaient leurs meilleurs médecins et pharmaciens.
Enfin, dans chaque district administré par les croisés, ces derniers formaient un tribunal civil constitué de six membres dont quatre Syriaques et deux Francs, écrit Emmanuel-Guillaume Rey. Et, lorsque les Ordres latins ont dû quitter l’Orient, ils ont remis leurs monastères aux chrétiens indigènes. Ainsi l’abbaye cistercienne de Belmont (Balamand) a été léguée en 1287 aux Syriaques jacobites qui l’ont remise à leur tour aux Grecs (roum) en 1603.
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