L’amnésie collective sur la dette publique

Qui se rappelle encore qu’on a une dette publique? Personne n’en parle plus en haut lieu, personne ne sait si l’État a l’intention de la rembourser en entier, en partie, ou rien du tout.  Les autorités ont complètement occulté le sujet depuis le premier ‘plan de redressement’ en 2020, jusqu’au dernier, arboré par Saadeh Chami. C’est là où la dette s’est transformée, par un tour de magie, en ‘trou financier’. Pauvres lexicographes.
De temps en temps, des organismes internationaux la rappellent à nos bons souvenirs alors qu’on n’a rien demandé. Dernièrement, l’agence de notation Fitch l’a fait, et pas pour la bonne cause. Elle a encore dégradé la notation du Liban, alors qu’on croyait que ce n’était plus possible, qu’on était déjà arrivé aux tréfonds du Titanic depuis qu’on a fait défaut sur notre dette en dollars en 2020.
Ben si, il semble qu’il y avait encore un gouffre à creuser. La dégradation de Fitch a pour nom ‘restricted default’ (ou défaut restreint), sur la dette en LL cette fois. Car il semble que l’État, qui ne paie donc plus rien aux créanciers en dollars, a aussi arrêté récemment de payer les intérêts sur la dette en LL, soit les bons de Trésor détenus par la banque centrale, qui en possède la plus grosse partie. Il continue de payer de tels intérêts aux banques (qui en détiennent près de 25%). Mais Fitch croit que ça ne saurait tarder: pourquoi s’arrêter en si bon chemin. La réputation étatique est déjà calamiteuse, alors un larcin en plus ou en moins! Puis, comme on a déjà dévalisé les banques en dollars, autant continuer en LL.
L’occasion pour nous de reclarifier cette histoire de dette et comment s’en sortir, selon les scénarios proposés ici et là.
Les dettes en dollars, donc ces eurobonds sur lesquels on a fait défaut, doivent totaliser maintenant, avec les intérêts cumulés, autour de 40 milliards de dollars, détenus actuellement à 80% par des fonds étrangers, plus quelque 12% par la Banque du Liban et le reste par les banques locales et des particuliers.
Ces créances internationales, même si on n’en entend plus parler, ne disparaissent jamais, ni dans 1 an, ni dans 10, ni dans 30. Aucun créancier ne va dire ‘’allez, on oublie’’, considérant que c’est une ‘dette irrécouvrable’. Ce scénario n’existe pas. Les emprunts russes du tsar Nicolas II ont traîné jusqu’en 2019 avant que la question ne soit réglée par les politiques d’abord, puis les tribunaux. Et encore, il y a un groupe qui veut mettre la main sur la cathédrale Saint-Nicolas à Nice, qui appartient à la Russie…
Entretemps, ces eurobonds sont échangeables sur les marchés autour de 6-7% de leur valeur nominale, ce qui ramène les 40 milliards de dollars à juste 2,5 milliards.  Camille Abou Sleiman, ancien ministre et grand spécialiste dans ce domaine, a exhorté l’État à les racheter à ce prix cassé. Mais personne ne l’a écouté.

Évidemment, les obtenir à ce prix serait bon pour nos finances, mais pas pour notre réputation. Puis à supposer que le gouvernement décide de le faire, les prix vont nécessairement monter. Du coup, la négociation avec les créanciers semble la voie la plus raisonnable afin d’obtenir une réduction.
Le FMI, dans son dernier rapport, croit que le marché peut aller jusqu’à 75% de réduction, ou ‘haircut’, sur certaines séries, mais c’est une simple supposition, pas la position des créanciers. Si cela s’avère possible en fin de compte, il reste quand même à payer 10 milliards de dollars, dont l’État n’a pas le premier centime, pas même de quoi acheter une tirelire cochon pour faire la quête.
De son côté, la dette en monnaie locale est égale à quelque 100 trillions de LL. Si on la calcule au prix du marché, ce serait à peine égal à 1,2 milliard de dollars, une broutille. Mais, encore une fois, on n’a pas de quoi la rembourser. Pire, on n’arrive pas à en payer juste les intérêts.
En réalité, il faut relativiser cette ‘incapacité’ de payer. Disons plutôt un refus de s’acquitter de cette charge, d’honorer ses engagements. Car depuis le temps que ça dure, des propositions par dizaines ont été émises par des spécialistes. Elles tournent d’une façon ou d’une autre autour d’une meilleure gestion des actifs de l’État, ses institutions à caractère commercial, ses terrains, et son or.
Face à ces propositions, les décideurs soit refusent en bloc d’en parler, soit, quand la formule de résolution est un peu complexe, ils n’ont rien compris. En tout cas, ils prétextent que ces actifs appartiennent à tous les Libanais, comme si la proposition était de faire profiter les Gabonais. La vraie raison est évidemment que ces actifs sont des vaches à lait, actuelles ou potentielles, pour les pilleurs de la République, et qu’il serait vraiment bête de s’en séparer.
On a d’ailleurs remarqué que dans les gouvernements de gestion des affaires courantes, les ministres et leurs cours respectives sont généralement plus gourmands à cause de la précarité de leurs strapontins.
Mais en bas lieu, on se console comme on peut face à ce phénomène, en se disant que, tout compte fait, Barbie, elle, est au moins restée chaste.
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